GESTION DU GAZ

 

Par Cyril Marchal et Frank Vasseur
Schémas : Hervé Chauvez, Denis Grammont et Cyril Marchal.

D'après une idée originale de Jean-Pierre THIRY : 1985 « Techniques de plongée souterraine » Société spéléologique de Wallonie – Liège, 66 p.

- 2006 -


Photo Hervé Chauvez

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L'autonomie est le maître mot des logiques de sécurité en plongée souterraine européenne. Cela consiste à ne dépendre de quiconque ni de quoi que ce soit, si ce n'est de sa propre configuration (organisation et disposition matérielle sur et autour du plongeur).

Cette notion peut être assimilée à l'art de se tirer seul de toute situation critique, sans intervention ni assistance d'un équipier.
Ce qui implique, en circuit ouvert, de disposer de suffisamment de gaz pour solutionner son/ses soucis, avant de rejoindre une surface salvatrice. Aussi, les règles de consommation en plongée souterraine, comme les principes généraux inhérents à cette discipline, tendront vers cette notion d'autonomie.

La gestion du gaz en milieu souterrain noyé obéit à des logiques rigoureuses.

Les pionniers, après quelques aventures en mono-bouteille, ont très rapidement envisagé une redondance sur la réserve de gaz embarquée.
Les premières adaptations passaient par l'ajout d'une petite bouteille indépendante du mono dorsal (G.R.P.S - 69), puis des bi-mono dorsaux sur lesquels ont vidait d'abord une bouteille à l'aller, pour conserver la seconde pour le retour.

L'évidence s'impose alors : il ne suffit pas de disposer d'une redondance sur le scaphandre pour assurer le retour. La consommation doit être étudiée et planifiée avant la plongée, puis le gaz doit être géré pendant l'immersion.

La littérature atteste une évolution vers l'équilibrage de la consommation entre les deux bouteilles dorsales. La respiration alternée imposait le demi-tour après avoir consommé une petite moitié de chaque bouteille.

Par la suite, l'élaboration de la règle des tiers consistait à conserver une quantité de gaz supérieure à celle utilisée à l'aller / retour, comme marge de sécurité.

Afin de permettre au plongeur de regagner tout de même la sortie, en dépit de soucis induisant un allongement du temps d'immersion et une majoration de la consommation.

Les années 70 voient l'explosion de l'activité et des explorations d'envergure. Ce montée en puissance de la pratique révèle les limites de la règle des tiers.

Aussi, en 1978, la tendance s'oriente vers les cinquièmes, fréquemment reprise par la suite.
Avec le temps, certains cadres préconisent la règle des cinquièmes durant la période d'apprentissage puis un passage progressif à la règle des quarts avec l'acquisition progressive de l'autonomie.

En 2004, la F.F.E.S.S.M. abandonne l'enseignement de la règle des cinquièmes au profit de celle des quarts.

Quelque soit la « règle » choisie, quelques bases communes font référence.

- Les calculs d'autonomie s'appliquent à un scaphandre homogène, avec deux blocs de même capacité à pression identique. Dans le cas ou les pressions seraient différentes, il convient de prendre en considération la plus faible. Certains emportent une lyre de transfert et équilibrent leur scaphandre avant de plonger.

- Le calcul se fait au moment de l'immersion. Les variations de température, d'éventuelles fuites pendant le portage et d'autres incidents peuvent modifier la pression d'un bloc. Une astuce consiste à immerger ses bouteilles équipées (repérage de fuites) pendant l'équipement, afin d'équilibrer les températures. Le calcul se fera ainsi avec des bouteilles à la température du siphon, dont la pression ne variera pas lors de l'immersion. En plein été, lorsqu'on immerge des bouteilles, stockées dans un coffre de voiture avec 30°C à l'ombre, dans une eau à 10 °, la pression dans les blocs peut chuter de plus de 20 bars.
On est certes dans le sens de la sécurité, mais il est rarement bénéfique de tendre vers des extrêmes.

- Pour s'assurer régulièrement du bon fonctionnement des deux détendeurs, et pour conserver sensiblement le même volume d'air dans chacune des bouteilles le plongeur souterrain respire alternativement sur chaque flacon.
Le changement de détendeur se pratique en général tous les 5 ou 10 bars, selon le scaphandre et la profondeur à laquelle on évolue.

- La gestion des paliers n'entre pas en compte dans l'application de cette règle.
Si la plongée peut générer des paliers de décompression, il est salutaire de prévoir une ou plusieurs bouteilles supplémentaires, déposées dans la zone de paliers et dédiées à cet usage. La marge de sécurité du scaphandre dorsal ne peut être considérée comme une réserve valide pour la décompression.
Des bouteilles dédiées à la décompression pourront, de plus, contenir des gaz et des mélanges appropriés en vue de sécuriser et d'optimiser l'élimination des gaz dissous dans l'organisme.

1. Règle des tiers

La règle des tiers, longtemps considérée comme LA règle fondamentale de sécurité en plongée souterraine, répond au postulat « doit être égal au minimum au double » du volume d'air consommé à l'aller.
Elle reste valable en théorie, mais s'est souvent révélé erronée voire dangereuse dans la réalité .

En effet, la fatigue, le froid, le stress en cas d'incident au point de retour ou dans un point bas, augmenteront la consommation du plongeur pendant la gestion du problème, puis durant toute la durée du parcours jusqu'à la sortie.
La règle des tiers n'intègre pas ces paramètres, variables d'un individu à l'autre.
Elle serait à réserver à certaines conditions d'explorations, pour des plongeurs ayant mûrement réfléchi l'engagement de leur plongée.

Son application consiste à faire demi-tour une fois qu'environ 30% de la réserve de gaz aura été consommée.

Lorsque tout va bien, le plongeur sort avec les bouteilles pleines au 1/3.
Lors d'un problème survenant au point le plus éloigné de l'entrée (c'est à dire lors du demi-tour) :
Le plongeur finit la plongée sur une seule bouteille et sort avec le bloc vide.

Dans cette situation il ne peut faire face à une augmentation de sa consommation.

2. Règle des cinquièmes

En 1978, avec les premiers stages de plongée souterraine organisés par la F.F.S., Jean-Claude Frachon élabore la REGLE DES CINQUIEMES, qui accorde une marge de manœuvre confortable en cas de problème. Son application consiste à faire demi-tour une fois que 20% de la réserve de gaz initiale aura été consommée.

Lorsque tout va bien, le plongeur sort avec les bouteilles pleines au 3/5.

Lors d'un problème survenant au point le plus éloigné de l'entrée (c'est à dire lors du demi-tour), le plongeur finit la plongée sur une bouteille et dispose de 2/5 de gaz pour rentrer.

Ce volume lui permet de faire face à une augmentation de sa consommation due au stress, à la gestion de l'incident, au ralentissement du rythme de progression dans l'eau troublée … etc.

3. Règle des quarts

Elle consiste à faire demi-tour une fois que 25% de la réserve de gaz aura été consommée.
Lorsque tout va bien, le plongeur sort avec les bouteilles à moitié pleines.

Lors d'un problème survenant au point le plus éloigné de l'entrée (c'est à dire lors du demi-tour), le plongeur finit la plongée sur une bouteille et dispose de 1/4 de sa réserve de gaz pour regagner la sortie.

 

Survol de configurations plus complexes

Lorsque le plongeur progresse dans la pratique, il a rapidement besoin d'augmenter son autonomie en gaz (distance de progression et durée d'immersion).
Plusieurs options peuvent être mises en œuvre, et adaptées aux particularités de chaque cavité.

- Augmenter la capacité du scaphandre dorsal.
La gamme de bouteilles disponibles dans le commerce se décline du biberon de 2 litres à la « bonbonne » de 20 litres, voire 24 litres.
Le désormais très répandu bi-20 litres a conquis les amateurs de résurgences.
Son volume le rend moins hydrodynamique.

- Utiliser des bouteilles à pression de service élevée.
Plusieurs marques produisent des bouteilles à 300 bars. Les bouteilles en carbone sont également conçues pour cette pression.
Le choix de fonctionner avec ces pressions implique une adaptation, du matériel en usage, à ces contraintes (détendeurs, manomètres).

- Majorer le nombre de bouteilles sur le scaphandre dorsal
Avec l'exploration des puissantes résurgences, les années 80 virent le développement des tri, quatri voire quinti-bouteilles. L'encombrement de ces scaphandres restreint leur mise en œuvre aux siphons amples.
Le cumul de ces flacons solidarisés pose le problème de la masse globale de tels scaphandres et du dimensionnement, voire de la redondance du système d'équilibrage.
La quantité de blocs dans le scaphandre induit une révision du calcul d'autonomie.

Le calcul suivant : n – 1 / 2n – 1 (n = nombre de bouteilles du scaphandre de capacité identique) définit un calcul d'autonomie.
A noter que pour un bi-bouteille, ce calcul équivaut à la règle des tiers.

- Majorer le nombre de bouteilles emportées.
Les bouteilles – relais, embarquées par le plongeur le temps de leur utilisation, sont ensuite déposées à l'aller puis récupérées au retour.
Leur usage augmente l'autonomie mais aussi la sécurité.

A cubage de gaz emporté égal (ex. 2 x 18l et 3 x 12l), en cas de panne sur une bouteille, le plongeur équipé d'un bi-dorsal de grosse capacité se trouve privé de la moitié de sa réserve de gaz et ne compte plus que sur un seul détendeur.
Dans le cas d'un scaphandre assorti d'une bouteille-relais, en cas de défection d'une bouteille, le plongeur peut encore compter sur plus de la moitié de la réserve de gaz, et compte avec deux détendeurs (sur trois) en service.

Additionner une bouteille-relais à une configuration de base (bi-bouteilles) induit une autre gestion du gaz. Le principe consiste à pouvoir pallier à une défaillance de la bouteille-relais au moment le plus pénalisant (récupération sur le retour). La réserve de sécurité du scaphandre dorsal doit permettre au plongeur de regagner la sortie sans le relais.

En guise de conclusion.

Il peut arriver que le plongeur, bien qu'ayant convenablement géré son autonomie en gaz, se trouve en difficulté pour regagner la sortie (perte de fil, égarement, touille, étroiture difficile à repasser…etc).

Dans ce cas, on peut être amené à se replier vers une autre surface salvatrice, s'il en existe, que la sortie.

Plusieurs plongeurs ont du leur salut à l'attente volontaire dans une cloche ou post-siphon, plutôt que de s'acharner à regagner l'entrée.

 

 

Photo. : Groupe Rhodanien de Plongée Souterraine (1970) par Henri Bougnol.

 

Jacques de Schryver au Rupt du Puits – années 1970
Bi-mono relié avec robinetterie à réserve.

 

1976 : Bertrand Leger à la source du Lison. Photo. : Jean-Louis Fantoli. L'apparition des manomètres permet une gestion du gaz.

 

Changement de détendeur. Photo. : Richard Huttler.

 

 

Décompression au mélanges suroxygénés (sur le plongeur) et à l'oxygène (bouteilles sur la corde). Photo. : Roger Cossemyns.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Scaphandre 2 x 20l. Photo.: Richard Huttler.

Départ pour une plongée d'exploration en profonde derrière des étroitures sévères réduisant le volume des bouteilles utilisables.
Tous les blocs sont en Carbone et gonflés à 300 bars.
Photo. : Frank Vasseur.

Mise à l'eau avec un quinti-20 litres. Photo. : Gérald Fabvre.

« Sherpatonaute » avec deux bouteilles-relais. Photo. : Frank Vasseur.

La surface. Photo. : Frank Vasseur