GOUFFRE BERGER

L'EXPÉDITION FRANÇAISE 1968

Par Alain (S.C. de la Seine)

 

 

 

Cette expédition a été préparée et organisée par le Spéléo-Club de la Seine, mais plusieurs groupes de la région grenobloise (FLT, SGCAF) y ont également participé.

Notre objectif principal était de plonger au siphon terminal (-1.122) pour vérifier les dires de Ken Pearce (août 1967). Celui-ci prétendait avoir franchi 2 siphons et exploré une galerie qui descendait de 30m en dénivellation, ce qui, comme par hasard, battait juste le record du monde. Etant sceptiques sur ce point, nous avons voulu voir nous-mêmes ce qu'il en était. Malheureusement, nous ne disposions d'aucune indication précise sur la longueur et la profondeur de ces 2 siphons, et il nous fallut aller à l'aventure.

Rappelons très schématiquement la description du gouffre Berger : une série de puits et de méandres jusqu'à -250, puis une grande galerie tantôt active, tantôt fossile jusqu'au Vestiaire (-640), début du 1er tronçon de la Rivière sans étoile qui se termine à -750. Ensuite le Grand Canyon, très incliné, et la 2eme partie de la rivière (de -860 à -1.000), coupée de hautes cascades (Gaché, 27 m, Ouragan, etc.). Enfin une grande galerie déclive, et, après le confluent de l'Affluent -1.000 (cote -1.075), un 3eme tronçon de rivière sub-horizontal jusqu'au siphon.

Le gouffre fut entièrement équipé en 4 expéditions (-250, -600, -705, -1.000) ; en même temps la ligne téléphonique fut vérifiée et réparée. Trois séances de portage furent nécessaires pour acheminer le principal du matériel à -640.

Le 8 juillet, les 4 bouteilles de plongée (18 kg chacune) sont transportées de -640 au Camp des Etrangers (-1.000), où une tente de 6 places en Rexotherm est installée et reliée à la surface par Généphone. Nous avons en effet préféré faire un camp souterrain unique à grande profondeur, avec une tente légère à -500 pour un repos éventuel lors de la remontée.

Réseau de l'Ouragan

Le 12 juillet nous partons à 6 pour le camp souterrain, lourde ment chargés. Au cours de la descente, une équipe de 2 entreprend une escalade au-dessus du puits de l'Ouragan et atteint une galerie concrétionnée suivie d'une longue et étroite diaclase. Celle-ci se ter mine par un puits donnant accès à une rivière assez importante coulant en diaclase. En aval la rivière est suivie jusqu'à une cascade de 10 m. En amont, la diaclase débouche dans une grande galerie (20 m de largeur sur 30 de hauteur) longue de 100 à 150 m. A son extrémité, la rivière jaillit de la paroi par une série de chutes que les deux équipiers remontent jusqu'à une cascade surplombante de 5 m. Le nouveau réseau est baptisé « Réseau de l'Ouragan ».

Le 13, nous portons le matériel de plongée et posons une ligne téléphonique jusqu'au siphon ; les 2 bi-monobouteilles sont montées sur place. Au retour, un réseau supérieur complexe est découvert dans les plafonds de la rivière.

Le lendemain, une forte crue nous empêche d'aller plonger et nous bloque pendant deux jours à -1.000 (à 11 dans une tente 6 places !). En attendant la décrue, nous escaladons sur 52 m une coulée stalagmitique située au-dessus des Griffons.

Premières plongées à -1.122

Le 16 juillet, le débit étant redevenu presque normal, nous retournons au siphon terminal, dont le niveau a monté de 2 m et qui est couvert de mousse de crue. Cependant, malgré l'aspect sinistre du siphon, Bertrand Léger plonge. Il s'enfonce d'abord dans un puits noyé de 13 m de profondeur puis s'engage dans la branche remontante, mais, au bout de 60 m de parcours, il est brusquement bloqué par le câble d'assurance et fait demi-tour sans avoir pu émerger de l'autre côté. Jérôme Dubois plonge également mais, trop lesté et le moral n'y étant pas, il pousse seulement une reconnaissance dans le siphon.

Le lendemain une 2° crue, plus forte que la première, nous bloque à nouveau au Camp des Etrangers. Nous sommes obligés de faire des alternances de 4 h pour pouvoir dormir correctement dans la tente, malgré le bruit infernal de l'Ouragan en crue (cascade de 50 m). Nous profitons quand même de notre réclusion forcée pour terminer l'escalade de la coulée, après 82 m de remontée, le petit affluent décou vert en haut se termine rapidement sur une fissure stalagmitée impénétrable.

Enfin, le temps s'étant amélioré en surface, nous ressortons du gouffre le 20 juillet, après 200 h passées sous terre.

Galerie de la Boue

En attendant qu'il fasse beau pendant plusieurs jours pour pouvoir entreprendre une nouvelle plongée sans risque de crue, nous allons faire une exploration à deux dans la galerie de la Boue. Après escalade, un méandre parcouru par un courant d'air est découvert et exploré jusqu'à la base d'un grand puits de 35 à 40 m de hauteur, remonté en escalade artificielle sur 20 m. Nous déséquipons également le gouffre de -250 à la surface car les Belges (qui commencent leur expédition) insistent pour mettre leurs agrès dans les puits ; malheureusement, ils n'ont pas les mêmes techniques que nous...

Enfin, le 27 juillet, nous partons à 8 pour une expédition rapide avec 2 objectifs précis : plongée au siphon et continuation du Réseau de l'Ouragan.

Deuxièmes plongées à -1.122

La première équipe trouve le siphon à son niveau normal. Ber trand plonge le 1er, au dévidoir, et franchit le siphon avec un sac de matériel. Ce siphon, clair et de vastes dimensions, mesure 70 m de long pour 11 m de profondeur. Jérôme plonge à son tour mais, avec son bi-mono et son sac de matériel, il est trop lourd et se trouve collé au plancher. Après 2 tentatives infructueuses, il laisse son sac et rejoint Bertrand de l'autre côté du siphon ; cet incident les oblige à faire toute l'exploration et la topographie à la seule lueur des lampes électriques.

Après une galerie exondée de 40 m, un nouveau siphon se présente, que les deux plongeurs franchissent sans difficultés car il ne mesure que 20 m de longueur pour 4 m de profondeur. Derrière, ils retrouvent le dévidoir abandonné par Ken PEARCE, attestant que celui­ ci avait effectivement franchi les 2 siphons en 1967. Au delà, la rivière disparait de nouveau et ils empruntent une galerie fossile, montante puis descendante, qui s'achève sur un ressaut vertical de 3 m. C'est là que s'est arrêté Ken PEARCE en 1967, mais la cote réelle est de -1.123 ni (et non -1.152 comme il l'avait affirmé).

La descente du ressaut Pearce est délicate, mais elle permet de retrouver la rivière. Plusieurs départs de galeries sont reconnus. Enfin, après avoir parcouru 70 m de rivière et descendu une cascade de 4 m (cascade des deux enragés), les plongeurs sont arrêtés par un 3e siphon, à la cote -1.133.

Cependant une galerie latérale, longue de 130 m leur donne accès à un ruisseau coulant dans une conduite forcée en forte pente. En aval il se termine lui aussi par un siphon à la cote -1.141 (point bas du réseau) ; en amont il continue, et par une lucarne de la paroi on aperçoit un 2e ruisseau parallèle au premier. Faute de temps ils sont obligés de s'arrêter, mais ils topographient quand même au retour 413 m de galeries entre les siphons 4 et 2. Enfin ils retrouvent leurs deux co-équipiers, qui les ont longuement attendus puisqu'ils sont restés 11 h derrière le siphon.

Réseau de l'Ouragan

L'équipe « Ouragan » se scinde en deux parties au début : 2 font la topo pendant que les 2 autres transportent le matériel et commencent à équiper l'aval de la Rivière. La cascade de 10 m est descendue, ainsi qu'une série de ressauts jusqu'à un point où la rivière se jette dans un puits étroit. Une cascade permet d'atteindre un réseau fossile complexe et accidenté (le Labyrinthe) ; on arrive finalement dans une galerie perpendiculaire horizontale (galerie Transverse).

Prenant à gauche, nous débouchons au bout d'une vingtaine de mètres dans une galerie plus vaste, de type conduite forcée. Vers l'amont, on retrouve la Rivière qui s'engouffre impétueusement dans un boyau fortement déclive et très sinueux (le Toboggan), dont la descente est assez impressionnante. Vers l'aval la galerie se poursuit, très érodée et percée de grandes marmites circulaires remplies d'eau à ras bord. Quelques ressauts, un passage en opposition au-dessus d'un puits de 15 m, et on atteint un nouveau cran en profondeur de 10 m. En bas, un petit affluent s'enfonce dans un méandre surcreusé qui descend assez rapidement. Un bruit de cascade de plus en plus net, et soudain on débouche sur une rivière de gros débit. Mais, après une voûte basse en eau profonde, on se heurte bientôt à un siphon. Le débit, l'aspect des lieux (roche noire et glissante), ainsi que la distance parcourue et la profondeur atteinte, tout porte à croire que nous avons retrouvé l'Affluent -1.000 en amont du siphon atteint en octobre 1967 (FLT).

Revenant à l'embranchement de la galerie Transverse, nous la suivons dans la direction opposée sur une assez longue distance, jusqu'à un puits circulaire de 8 m de profondeur. En bas, une galerie déclive nous amène dans un 2e complexe (le galeries en conduite forcée aboutissant à une 2e rivière souterraine, d'un débit semblable à la première , mais cascadant dans une conduite forcée assez large, basse, et fortement inclinée. La roche, noire et humide, est très glissante. En aval on est très vite arrêté par un siphon. En amont nous avons remonté la galerie sur plus de 100 m, franchissant des ressauts et des cascades, arrêtés seulement par l'heure tardive et l'incertitude des conditions météorologiques. En effet cette rivière torrentielle est très impressionnante car elle donne l'illusion d'être en crue ; nous l'avons baptisée « Rivière Ecumante ». L'autre s'appelle la « Rivière -1.000 », car nous supposons que ce sont ces deux cours d'eau qui se réunissent pour former l'Affluent -1.000.

Le Réseau de l'Ouragan, découvert de facon assez inattendue, s'avère donc très important (plus d'1 km de développement) et prometteur.

Fin de l'expédition

Le lendemain ce fut le retour vers la surface. La 2ième équipe dut déséquiper et tracter le matériel dans les puits, ce qui ne fut pas une mince affaire car il y avait au départ 21 sacs et bouteilles en bas de l'Ouragan ! A cinq, il ne fallut pas moins de 9 h pour remonter jusqu'à la Vire-tu-oses alors qu'il n'y a que 80 m de dénivellation. Le matériel fut laissé à la Salle de Joly (-915) et chacun ressortit avec un sac, le 30 juillet.

Le mois d'août vit le début de tous nos ennuis, comme on va le voir :

Le 2 août une équipe de 3 avance le matériel jusqu'au puits Gaché (-903). Le 4 août, 3 équipes de 2 descendent pour continuer le déséquipement. C'est alors que, coup sur coup, deux accidents se produisent : Bertrand Léger fait une chute au puits du Cairn (-80), Georges Marbach au puits Aldo (-250). Ce dernier, très sérieusement touché, est ressorti du gouffre 24 h plus tard, grâce au dévouement de tous.

Le temps devient de plus en plus mauvais et cela se répercute à l'intérieur. En effet, le 8 août, une nouvelle équipe descend et constate que la moitié du matériel entreposé au puits Gaché a été empor tée par une crue ; il faudra d'ailleurs descendre unéquipement de plongée pour pouvoir récupérer les 14 sacs dans un profond bassin. Peu de temps après, une crue nous bloque à 12 au camp belge de -750 pendant une journée. Deux jours plus tard, alors que nous remontons, nous sommes surpris par une nouvelle crue de la rivière et arrivons de justesse au Vestiaire ; c'est ensuite la douche intégrale dans les puits d'entrée.

Le 16, une équipe franco-belge descend à -750 pour remonter le matériel. 20 sacs sont déjà en haut de la cascade Claudine (-705) lorsque nous apprenons l'accident d'Yves Peeters. Soudain, alors que certains commencent à remonter, une crue terrible (la plus violente de l'été) se produit et isole les équipiers : 3 derrière un siphon aux Couffinades (-650), 3 en opposition au-dessus (le la Claudine (-705), et 2 au pied de la cascade. Par mesure de sécurité, les sacs et bouteilles déjà en haut ont été attachés à un spit par trois cordes de montagne ; mais la force du courant est telle que les cordes cassent et tout le matériel est précipité en bas (chute (le 17 m). Nous restons ainsi bloqués pendant 24 h, sans rien pouvoir faire les uns pour les autres et sans nouvelles du Belge accidenté. Ce n'est qu'après la décrue que nous pourrons participer au sauvetage et ressortir du gouffre, après 80 h d'émotions fortes.

Après la sortie d'Yves Peeters, il y eut encore 5 séances de déséquipetnent, de plus en plus pénibles. Finalement, ce déséquipement marathon se termina le 25 août en apothéose, puisque ce jour-là, 75 sacs furent extraits du gouffre !

Conclusion

Notre expédition 1968, retardée et contrariée par le mauvais temps et les accidents, a cependant permis de réaliser une importante progression dans la connaissance du réseau : franchissement du siphon terminal (-1.122) et exploration au delà de 600 m de galeries nouvelles jusqu'à la cote -1.141 ; découverte du Réseau de l'Ou ragan et en même temps de l'origine de l'Affluent -1.000 ; explorations annexes (galerie de la Boue, galerie Petzl, escalades dans la rivière vers -1.000) ; soit au total environ 2 km de « première ».

Mais il reste encore beaucoup de choses à découvrir dans ce magnifique réseau du gouffre Berger, et c'est à cela que nous nous emploierons l'été prochain.