L'avenir des Recycleurs

par Olivier Isler

 

article présenté lors du congrés international deplongée souterraine - Dijon avril 2000


Olivier Isler par gavin Newman

 

INTRODUCTION

Le 31 décembre 89, en réalisant la première exploration en plongée souterraine avec un recycleur, le RI2000, pensé et conçu pour cet usage. C'était au Cogol dei Veci, non loin de Venise, en Italie.
En 1990, je réussissais à franchir le Ressel, puis en automne, le même Cogol dei Veci, toujours avec le RI2000.

En 1991, la Doux de Coly était reconnue jusqu'à 4055 mètres. Sept ans plus tard, au prix d'un travail de ré-équipement titanesque, ce même siphon passait à 4250 mètres. 5 heures 42' au fond pour 15h22' de plongée totale, 4,1m3 consommés sur 16,7 emportés, voilà de quoi prouver la justesse d'une théorie éliminant toutes autres bouteilles relais que celle placées à l'endroit de la décompression.

Je pensais ainsi avoir posé les jalons d'une nouvelle voie dans l'exploration souterraine et, pourquoi pas, dans la plongée extême en général. 10 ans après mes premières explorations avec cette nouvelle technique, un bilan s'impose.

 


Le recycleur redondant, une idée valable ?

Autonomie totale, facilité de mise en oeuvre, rendement sur le terrain(une exploration extrême peut être envisagée très vite après l'arrivée sur place), tels sont les avantages de cette "philosophie". E, siphon ou en eau libre, la sécurité devrait donc logiquement reposer sur la multiplication des systèmes de recyclage (2, voir 3 pour les plongées extrêmes en grotte).

 

La voie de la redondance a-t-elle un avenir ?


par Gavin Newman

En théorie oui, car c'est la seule utilisant le principe du recycleur de manière rationelle et logique. la réalité, malheureusement, infirme ce qui devrait paraître évident.

En restera-t-il quelque chose ? Certainement, même si le proche avenir me semble assez sombre. les recycleurs de tout types, denrée rare durant les années 80, se multiplient aujourd'hui, au point de devenir un phénomène de mode. Partout, on en utilise de plus en plus. Mal.

En plongée souterraine, on assiste à l'émergence d'un groupe de plongeurs Américains : le WKPP (1). Leurs résultats sont impressionnants (2). Le gigantisme de leurs moyens l'est tout autant, car pour envoyer 3 plongeurs à la fois en pointe, 80 sont utilisés en soutien. Quel dommage que leur technique soit bâtarde ! Dans cette même source de Wakulla, leur concurrent, Bill Stone, n'a obtenu qu'une demi réussite. Ce pionnier de l'usage des recycleurs aux USA a fait certainement des erreurs, voulant par son audacieux Cis-Lunar imposer un appareil délicat à manipuler. mais il aura eu, au moins, l'énorme mérite de le penser en envisageant une version redondante, donc adaptée à un usage souterrain. Cela va dans le sens de l'histoire. Rien de tel, chez les membres du WKPP. Très critiques, dans un premier temps, à l'égard des recycleurs, ils ont dû se rendre à l'évidence de l'énorme potentiel apporté par ces engins. Ils ont de fait, jeté leur dévolu sur un recycleur semi-fermé, construit en Floride : l'Halcyon. Appareil à un seul circuit, cela va de soi. Avec une telle option, assurer leur sécurité ne peut se concevoir qu'en circuit ouvert. Ils mixent donc deux techniques totalement déséquilibrées, si l'on songe qu'à capacité de gaz emporté identique, un recycleur est au minimum 8 fois plus performant qu'un circuit ouvert ! La lourdeur de la méthode est évidente. Envisager une progression à longue distance signifie en premier lieu compter sur un nombre important d'immersions préparatoires, destinées à équiper la source le plus loin possible, en bouteilles secours, tous les 300 mètres environ. Lors du départ en pointe, chaque plongeur utilise son recycleur, aux côtés duquel sont disposées deux bouteilles à forte capacité, toujours et uniquement pour la sécurité. On ajoute à l'équipage au minimum deux bouteilles de mélanges pour alimenter l'Halcyon, additionnées à d'autres flacons, qui seront déposés à la suite de tous ceux qui sont déjà étagés dans le siphon. Ainsi, à chaque nouvelle pointe, cette équipe démontre que les recycleurs sont des engins aussi performants, ce que l'on sait depuis une cinquantaine d'année (3) !, que fragiles. Encore une fois, qu'il est regrettable qu'une telle technique aille exactement à l'encontre de l'évolution de ceux-ci vers un stade de maturité !

On pourrait comprendre cette façon de procéder si les membres de ce gigantesque groupe avaient l' élégance d'admettre que, n'ayant pas trouvé sur le marché un recycleur satisfaisant (ce qui est malheureusement vrai, à l'heure actuelle l), ils en étaient réduits à cette lourde alternative. Ou encore que, même si ils ne partageaient pas le même point de vue, ils respectaient l'idée de la multiplication des circuits pour la sécurité. Or, il semble évident, si l' on consulte quelques écrits de ces plongeurs, que non seulement ils ne portent aucun intérêt à la redondance des recycleurs, mais qu'ils la combattent énergiquement. Par articles réguliers dans les magazines, site internet et films vidéo, ils abreuvent la communauté internationale de leur "Do it right", pensée unique à laquelle adhèrent la plupart des plongeurs souterrains dans le monde.

Doit-on définitivement enterrer
l'idée de la redondance ?

Le constat actuel ne pousse pas à l'optimisme. Pourtant, en Europe, quelques plongeurs ont le courage de montrer qu'une autre voie peut être suivie. En France, Sylvain Redoutey, Fred Badier, en Allemagne Reinhard Buchaly construisent (comme je l'ai fait il y a 12 ans !) leur propre recycleur à plusieurs circuits indépendants.

Puissent-ils récolter les fruits de leur investissement. Pour ma part, je continue et continuerai à défendre l'idée d'un recycleur sûr, comme je l'ai fait dans Octopus à travers l'article ci-dessous. J'ajouterai pour terminer sur une note positive que je serai prêt à m'engager pour essayer de faciliter l'accès à la Doux de Coly à toute équipe désirant en poursuivre l'exploration avec des recycleurs adaptés à cet effet.


par Gavin Newman

QUELQUES REFLEXIONS SUR LES
RECYCLEURS

Le "boom" des recycleurs.

Il y a encore peu de temps, seules des revues spécialisées telles OCTOPUS en France ou DEEP TECH aux USA parlaient de recycleurs. Aujourd'hui, le plus basique des magazines de plongée présente régulièrement un article sur le sujet. D'autant plus que le nombre de constructeurs augmente à tel point que d'ici peu, il ne s'agira plus de savoir qui parmi ceux-ci aura sorti un nouveau modèle, mais plutôt qui n' aura pas encore produit un recycleur ! Chez les plongeurs, tout acheteur potentiel devrait analyser les motivations qui le poussent à utiliser cette nouvelle technique:

- simple plaisir ludique ?

- Approche de la faune facilitée (photographe professionnel, cinéaste ou biologiste par exemple)?

- Exploration d'épaves ?

- Exploration en spéléologie ?

- etc. etc.

Dans cette liste (qui n'est pas exhaustive), seul le plongeur qui désire exclusivement se faire plaisir peut, à mon avis, trouver chaussure à son pied. Les plongées, n'excédant pas une heure, sans palier, c'est-à dire avec possibilité de rejoindre rapidement la surface en cas de nécessité peuvent alors être réalisées à l'aide de recycleurs très simples (DRAGER RAY) par exemple. Ajoutons au système une
petite bouteille de secours munie d'un détendeur ordinaire et le tour est joué !

La faille !

Si l'on considère maintenant les trois autres exemples d'applications énumérés ci-dessus, réservés à des plongeurs confirmés, le problème se complique quelque peu !


par Gavin Newman
Les immersions peuvent s'étendre sur plusieurs heures et donc nécessiter des paliers conséquents. Et immanquablement on retombe sur le problème de la sécurité. Sachant qu'aucun appareil (dans n'importe quel domaine d'application !) ne peut être garanti fiable à 100%, on doit prévoir le pépin, toujours possible. En plongée classique, si vous vous trouvez en difficulté, votre collègue pourra toujours envisager de vous porter secours . En revanche, comme l'a judicieusement fait remarquer Jan F. Oldenhuizing (dossier recycleurs, OCTOPUS N° 21), pratiquer l'échange d'embout en circuit semi ou fermé est beaucoup plus difficile, voir tient de la gageure suivant les circonstances. D'ici à dire que l'utilisateur d'un recycleur est dans une configuration de plongée en solitaire, il n'y a qu'un pas...

A partir de ce constat, comment envisager sereinement de plonger profond et longtemps avec un appareil dont l'autonomie peut atteindre 6 voir 10 heures à n'importe quelle profondeur (il en existe sur le marché !). Il y a 2 solutions : la multiplication des circuits respiratoires ou la possibilité de repasser en circuit ouvert.

L'analyse des appareils existants montre clairement que cette seconde option a été choisie à une écrasante majorité. A tel point que le montage d'un embout complexe (et de dimensions imposantes I), permettant, sans le quitter, de passer d'un circuit fermé (ou semi-fermé) à un circuit ouvert constitue un argument publicitaire chez plusieurs concepteurs de recycleurs. Cette " remarquable" astuce, intéressante dans le seul cas du recycleur récréatif, mérite qu'on en analyse l'inadéquation.

Premièrement, par la simple comparaison des performances respectives des circuits ouverts et des recycleurs. A capacité de bouteilles égale, le rapport est au minimum de 1 à 10 (pour les recycleurs les moins efficaces) voir beaucoup plus. Il ne reste donc au plongeur qui veut assurer sa sécurité qu'à faire appel à un nombre absolument impressionnant de bouteilles qu'il traînera avec lui ou déposera à différents endroits selon le type de plongée envisagé. Travail d'Hercule, débauche d'énergie et de moyens pour des bouteilles qui rappelons le ne seront utilisées qu'en cas de pépin avec l'appareil principal. Quand on sait que l'avantage primordial d'un recycleur est d'emporter une capacité respiratoire maximale dans un volume minimum, la démonstration vire au flop magistral I Secondement, sur le plan "philosophique", la possibilité de recourir au circuit ouvert n'est -elle pas un terrible aveu de faiblesse ? N'est-elle pas la preuve éclatante que, si les recycleurs sont performants (ce que l'on sait depuis près de 50 ans merci I) leur manque de sécurité est un mal chronique ? Pour tenter une comparaison à peine osée, que penserait une compagnie d'aviation d'un constructeur lui offrant un avion à réacteur unique et lui proposant, comme gage de sécurité, de remorquer deux ou trois dirigeables utilisables en cas d'avarie ?! Le constat, on l'admettra je l'espère, est accablant. Et pourtant, la redondance existe. Ce qui est désolant, c'est qu'à part le RI 2000, prototype précurseur ayant prouvé dans des circonstances parmi les plus extrêmes

la validité du concept (voir OCTOPUS N° 16 ), le seul recycleur comportant un modèle à système redondant commercialisé est le CIS-LUNAR. Cela prouve à quel point les constructeurs ne s'en sont pas préoccupés I Quand on pense aux difficultés que peut rencontrer un plongeur sur épaves, deux circuits séparés ne constitueraient aucunement un luxe pour ce genre d'activités.

Même remarque pour un biologiste ou un cinéaste observant pendant des heures le comportement d'un animal.


par Gavin Newman

Quand au plongeur souterrain, mon expérience m'a montré que 3 circuits indépendants sont nécessaires pour envisager ce type d'immersion avec une certaine sérénité. Cela pose le problème du troisième circuit, de son emplacement et de son encombrement. Conçu non selon un design idéal, mais avec les moyens minimalistes dont nous disposions à l'époque (vieil appareil (PO 68) des stocks de la marine Française), le circuit ventral utilisé m'a permis de démontrer qu'il était parfaitement possible de travailler avec cet engin encombrant en milieu extrême. Il coule de source (!) qu'une étude professionnelle permettrait de miniaturiser ce troisième circuit réservé exclusivement à un rôle de secours.

A ce propos, pourquoi ne pas l'envisager ailleurs qu'en ventral, par exemple comme partie d'une stab qui pourrait se doubler d'un rôle respiratoire ? Beaucoup de solutions sont possibles pour qui veut s'atteler au problème. A moins que je ne fasse erreur, et mon excellent collègue Henri PAOLE ne manquera pas de me corriger, dans le cas des circuits fermés qui commencent de plus en plus à s'imposer sur le marché, la redondance offrirait une sécurité supplémentaire. On sait en effet que la fiabilité des sensors à oxygène est le talon d'Achille de ce genre d'appareils. En imaginant remplacer le diluant (pur le plus souvent) par un mélange faiblement oxygéné (10%, voir moins selon le profil de plongée envisagé), on pourrait, me semble-t-il vérifier la bonne marche des sensors. Chaque fois que le plongeur passerait d'un circuit à l'autre, il pourrait "rincer" le circuit non utilisé avec le diluant, et lire l'indication de sa PPO2, sachant lui-même quelle devrait être sa valeur. Par exemple, à 60 m, celle-ci devrait être de 0,7 bar pour un mélange à 10%. Cette opération, à mon avis, ne diminuerait que peu l'autonomie de l'appareil.


Quoi qu'il en soit, cette réflexion sur les recycleurs m'amène à la conclusion suivante


1 Woodville Karst Plain Project

2, Ils ont atteint 5540 mètres à Wakulla Spring, célèbre source située au Nord de la Floride.

3. Les recycleurs semi- fermés datent du début des années 50 et n'ont depuis subi aucune modification fondamentale du point de vue de leur fonctionnement.