La topographie
en plongée souterraine.

 

par Frank Vasseur


par Hervé Chauvez

 

Définition : représentation graphique d’une cavité souterraine.

Une topographie, si précise soit-elle, n'est - comme d'ailleurs toute carte de géographie - qu'une représentation et, à ce titre, une interprétation de la réalité. Elle symbolise autant des motivations de celui qui la fait, que de la cavité elle-même.

 

Introduction : Pourquoi la topographie ?

L’activité spéléologique est une discipline historiquement scientifique dont la topographie est un élément fondamental pour :

En ce qui nous concerne, il s’agit d’être capable de rapporter de chaque exploration un cheminement fidèle à la réalité.

par Hervé Chauvez

Bien que les adeptes de la topographie souterraine soient encore marginaux, dans un milieu qui ne l’est pas moins, on peut distinguer diverses approches. Des ultras qui négocient la visée au demi-degré près, aux désintéresses qui se contenteront d’un joli dessin dans le meilleur des cas.

Notre procédure, basée initialement sur la topographie d’exploration, consiste à adapter une technique de relevé, puis de report à la précision des instruments utilisés par les plongeurs.

En effet, à moins de consacrer un temps considérable à une seule cavité pour obtenir un relevé très précis en mettant en oeuvre des outils très précis (encombrement, temps consacré au relevé), les instruments les plus couramment utilisés ont une précision relative et il faut composer avec.

Le poids ruban du décamètre fait une flèche à partir d’une certaine distance. Il faut tenir compte de la rétractation du fil d’Ariane s’il n’a pas été trempé avant le métrage. Les compas sont gradués de 5 en 5. Les profondimètres électroniques sont sensibles à la pression atmosphérique.

Comment topographier ?

La topographie d’une caverne se décompose en deux temps distincts :

Principe de relevé

Depuis l’entrée ou le point de départ du relevé, le ou les plongeurs progressent d’un point à un autre, matérialisé par un changement d’orientation ou de profondeur de la galerie dans laquelle ils évoluent.

      Chaque point est appelé " station " et on manoeuvre ainsi en traçant un " cheminement " d’une station à l’autre.

      Le segment situé entre chaque station est appelée " visée ".

Les mesures, effectuées à partir d’une station, correspondent à la direction de la visée (avec le compas), à la distance entre les deux points (au décamètre ou au fil métré) et à la profondeur de chaque station (au profondimètre).

Matériel

Compas Silva
par josep guarro

Le compas : indique la direction horizontale de la galerie topographiée. Il doit être lisible aisément, d’une précision honorable, et ne pas être influencé par du matériel métallique environnant (le plongeur souterrain en porte souvent sur lui J ). Il peut être fixé sur une planchette topo ou sur le dos de la main, ou être porté séparément. Attention aux modèles longs à se stabiliser. Sur une séance de relevé, la différence de temps passé à lire son compas peut varier du simple au quadruple (vécu) !

 

 

Le profondimètre : il indique la direction verticale de la galerie. Les modèles électronique sont généralement assez précis pour ce qui nous concerne et offrent lecture aisée.

 

 

Le décamètre : il en existe deux sortes : à ruban plastique (qui risque de devenir illisible voire de se déliter par abrasion du sable) ou a ruban métallique (qui peut induire une déviation du compas) . Il doit être facile à rembobiner afin de ne pas devenir dangereux (emmêlage) pour les utilisateurs.

 

Le support de relevé :


Le bras gauche (chez un droitier).

par Gilles Di Raimondo.

  • La planchette topo qui peut supporter des feuilles de papier immergeable pour la prise de notes, voire le compas (il y a les inconditionnels et les réticents) ;
  • Le carnet topo de spéléo, immergeable mais parfois flottant. Il peut poser problème lors du changement de page si la spirale métallique a pris quelques chocs ;
  • L’ardoise de plongée (les modèles du commerce sont parfois très réduits en surface) ;
  • L’ardoise de poignet qui permet des relevés rapides.
  • Un soin particulier sera apporté au choix du crayon, capable de tracer durablement sur le support. Doté d'une mine robuste et composé d'un matériaux supportant des immersions répétées. Le modèle "Evolution" de chez Conté, entre autres, répond à ces exigences.

Organisation du support : le minimum d’indications que doit comporter un relevé sont, pour chaque visée : la longueur, la profondeur (ou la pente), la direction. Il est fort utile, pour faciliter ensuite l’habillage, de noter, par rapport à la station, la largeur à droite et à gauche, ainsi que la hauteur au-dessus (haut) et en-dessous (bas).

Pour éviter de se perdre sur une feuille de relevé aux données parfois mal alignées, certains numérotent les visées.

N° station

distance

direction

profondeur

station précédente

largeur à gauche

largeur à droite

hauteur

en haut

hauteur en bas

0

X

X

0

X

       

1

     

0

       

2

     

1

       

Le fil d’Ariane : pour l’utiliser comme un instrument et effectuer un relevé topographique dessus, il faut qu’il soit métré régulièrement (une étiquette chaque 10 m + une marque chaque 5m au minimum). Certains font une marque tous les deux mètres entre deux étiquettes.

Ensuite, il faut également que l’équipement soit irréprochable : si le fil a été enroulé autour de blocs ou de concrétions, le métrage n’est plus valable.

Attention également à la rétractation du fil d’ariane. Il faut le faire tremper avant de le métrer, ou bien le métrer avec 10% de marge excédentaire.

Technique de relevé

Exondé : la boite Vulcain est un ensemble compact qui rassemble, dans un faible volume, tous les instruments nécessaires au relevé. Sa facilité d’utilisation l’a rendue très populaire chez les spéléologues français.


Prise de notes par Hervé Chauvez
Siphon clair à deux au décamètre : Le premier plongeur (A) part avec l’extrémité du décamètre accrochée à un phare à main. Son rôle est important, car il va choisir la station suivante. Il s’arrête donc au " point topo " suivant où lorsque le second plongeur (B), le perdant de vue, le rappelle (tractions sur le décamètre).

Rembobinage du décamètre par Hervé Chauvez

A choisit alors précisément l’emplacement de la station (de préférence un repère stable), y pose l’extrémité de décamètre et le phare, dirigé vers B.

B, qui porte le compas, le support de relevé et le rouleau du décamètre peut alors viser sur le repère éclairé. Il note ensuite la longueur du décamètre après l’avoir tendu, puis note la profondeur de la station actuelle.

B note également, à vue de nez, les largeurs de la galerie par rapport à la station (largeur à droite et à gauche), ainsi que les hauteurs (en haut et en bas).

Une fois toutes les informations notées, B rejoint A en rembobinant le décamètre.

A indique précisément à B l’emplacement de la station, puis avance jusqu’à la prochaine station.

Un autre avantage de cette technique : quand A avance vers la prochaine station, B peut commencer à orienter le compas en direction des lumières de son collègue.

Elle implique cependant un apprentissage et une cohésion entre les deux équipiers.


Déroulage du décamètre par Hervé Chauvez

Retour d’exploration : fil métré (10m en 10m) avec marques tous les 5 m., compas du matériel personnel.

C’est la situation où la topographie est la plus importante. Au vu de l’éloignement des explorations actuelles, il est impératif de rapporter des données topographiques relevées directement lors de la pointe. Il y a peu de chances d’y retourner avec du matériel spécifique le week-end suivant.

On effectuera alors le relevé avec son matériel personnel " classique ".

Il est donc nécessaire, lorsqu’on équipe son fil durant l’exploration, d’y apporter un soin particulier. Pour sa propre sécurité d’une part, et pour l’utilisation du fil en tant que cheminement topographique d’autre part.


Visée sur éclairage
par Hervé Chauvez

Le fil sert également à évaluer les longueurs des visées. Il est généralement étiqueté chaque 10m, on peut très facilement marquer tous les 5 mètres avec un feutre indélébile lors du métrage. L’équipement du siphon joue un rôle primordial. Le fil, une fois installé ne doit pas comporter de fractionnements susceptibles de fausser son étalonnage.

Sa tension doit également être correcte.

Il suffit de noter la profondeur de chaque station (attention de ne pas oublier la première ou la dernière profondeur), et entre les deux de prendre la direction et noter la longueur.

par Hervé Chauvez

Pour simplifier le relevé des longueurs, certains ne notent que les distances (ex : première station à 140m ; deuxième à 134 ; troisième à 128m, etc au lieu de 6m ; 6m ; etc).

C’est la méthode la plus rapide, mais aussi la moins précise.

Cultellation

Cette technique très lourde à mettre en oeuvre a été utilisée par Bertrand Léger au Goul de la Tannerie, dans un cadre professionnel.

Dans le cas de nombreuses visées à réaliser sur un fil fortement incliné, il existe un important risque d’erreur dans la lecture des directions (erreur de parallaxe dans la lecture du compas).

La technique de topographie par cultellation (dite aussi des ressauts successifs) consiste à ramener l’ensemble du cheminement topographique à une succession d’horizontales et de verticales.

Les visées horizontales sont calées au profondimètre. Les verticales sont déterminées au fil à plomb.

Cette méthode permet d’éliminer les visées sur fil incliné et augmente de ce fait la précision du levé. Elle implique par contre, pour être efficace, l’utilisation d’amarrages artificiels à chaque station topo. Il est en effet utopique d’espérer disposer de suffisamment d’amarrages naturels ou de fissures pitonnables pour installer le fil topo par ressauts successifs.

Principe de report : méthode basique

Il existe des méthodes trigonométriques pour calculer les distances à reporter lors de la réalisation du plan. Nous ne présenterons ici que la méthode de report graphique, car elle est la plus simple. De plus, aujourd’hui, les topographes confient cette partie du report à un logiciel, qui réfléchit plus vite et plus précisément que nous.

Tracé du cheminement :

Avant de s’armer de son crayon et sa gomme, il est bon de reporter les données sur une feuille de relevé, au propre et plus lisible que le support de relevé utilisé dans le siphon.

Ensuite, il faut choisir une échelle pour reproduire ces mesures sur le papier. Le choix est relatif au développement de la cavité ou de la portion de cavité à représenter :

Pour tracer la topographie sur le papier, on commence par tracer le cheminement (le " squelette " de la cavité).

Avant de tracer, il faut choisir le mode de représentation de la cavité pour lequel on va opter.

Aucune topographie ne représentera la réalité. Il faut donc faire un choix.

La coupe développée : le plan de coupe suit l’axe de chaque visée. Cette représentation consiste à " étirer " la cavité de manière à la plaquer sur un support plan.

C’est la représentation la plus utilisée, car elle donne la meilleure idée du profil de la cavité tel qu’il apparaît aux explorateurs.

La coupe projetée : le plan de coupe suit l’axe majeur de plan de la cavité. Les portions qui sont orientées différemment sont tronquées.

La coupe et le plan sont de la même longueur sur le papier.

Le plan : comme une carte routière, on voit la cavité d’au-dessus. Ce que l’oeil voit, en matière de distance, ne correspond pas à la longueur réelle de la visée. Il convient d’en tenir compte dans les distances à reporter lors du tracé du cheminement en plan.

Les logiciels et coordonnées : le développement des logiciels de report topographique permettent de soulager le topographe de toute la phase calcul des données et surtout de tracé du cheminement.

Le calcul des coordonnées de chaque point est également assuré par le logiciel. Le rêve !!

méthode de report " basique "

Elle est applicable partout avec un minimum de matériel et adaptée à la précision des instruments de plongée traditionnels.

On trace d’abord le cheminement en coupe développée. On trace ensuite le plan, dont la longueur de chaque visée sera égale au sinus de l’angle formé par la visée en pente et l’axe vertical.

Il ne reste plus qu’à habiller le tout.

habillage 

Il est parfois tentant de produire une belle topo dépouillée de détails " inutiles ". Vu le temps et l’énergie consacrés à la réalisation d’une topographie, à fortiori en plongée, le but final étant de transmettre des informations aux autres, spéléologues ou non, toute indication enrichissant la description de l’allure d’un remplissage, d’un écoulement, des parois ou du sol, de concrétions, a son intérêt.

L’habillage du cheminement se fait à partir des croquis effectués sous terre. On commence par dessiner les contours des galeries et on complète ensuite le dessin par les détails, concrétions, remplissages, en utilisant les signes conventionnels de l’UIS.

largeurs et hauteurs :

Elles sont estimées, sauf cas particulier (dimensions exceptionnelles), lors du relevé. Sur le report, on reporte (par un point), les largeurs à droite et à gauche de chaque station. Il ne reste plus qu’à relier les points pour faire apparaître les contours de la cavité. Idem en coupe avec la hauteur " haute " et la hauteur " basse ".

symboles :

L’Union Internationale de Spéléologie propose une norme et des signes conventionnels pour l’habillage des topographies. Elle est fort utile pour enrichir une topo et diffuser, par son biais, le maximum d’informations
(http://www.karto.ethz.ch/neumann-cgi/cave_symbol.pl).

nomenclature siphons :

Plusieurs normes d'habillage des zones noyées sont également proposées en fonction de l'importance du siphon au sein de la cavité et de l'échelle utilisée pour la topographie :

Le système de hachures a été choisi pour les coupes afin de représenter le sens de l'écoulement : la partie haute de la hachure indique l'aval et la basse la provenance du courant. Ainsi, on connaît le fonctionnement de la cavité à la seule consultation de la topographie.

Des indications sur la distance par rapport à l'entrée de la cavité figurent parfois entre parenthèses, afin d'évaluer la distance parcourue depuis l'entrée, exercice malaisé dans les cavités sinueuses.

informations à faire figurer sur une topographie :

Enfin, une fois le dessin de la cavité terminé, ne pas oublier de détailler certaines informations :

les risques de la topographie


Josep

Guarro lève la topo au Cuelebre par Javier Lusarreta

  • Oubli de surveiller le milieu et son autonomie car concentration sur une tache précise comme toute activité spécifique requerrant une attention et une concentration particulière (équipement, film, photographie);
  • stations prolongées : turbidité plus importante car ramonage plus important (bulles expirées), chute de blocs ;
  • plongées statiques (froid) ;
  • temps supérieurs induisant, selon la profondeur, des temps paliers plus important, à prévoir dans la planification de la plongée.

En guise de conclusion

Trop longtemps, les plongeurs souterrains se sont contentés de " jolis dessins " en retour d’explorations.

Bien peu de choses en somme, lorsque l'on considère l'importance des moyens, à la fois matériels et humains mis en oeuvre pour réaliser de telles explorations, et l'utilité de ces mesures pour les recherches spéléologiques.

Il est aujourd’hui impératif de produire des documents précis après une exploration, tant pour ceux qui plongeront ensuite, que pour les propriétaires et autres gestionnaires d’accès aux cavités.

La tendance se dessine aujourd’hui. Soyons-en ravis.