" Evolution et avenir de la plongée souterraine "

Communication présentée lors des " Journées Maurice Laurès " 15/12/2001 – Grotte de Clamouse.

 

En 1950, le spéléologue Henri LOMBARD réalisait une campagne d’exploration des principales sources héraultaises en expérimentant à ses dépends les risques de la plongée souterraine.

Le résultat de ses explorations nous est parvenu sous la plume de Maurice Laurès qui a ainsi contribué au développement de ce type d’exploration spéléologique dans la région.

Aujourd’hui encore, Maurice demeure la personne-ressource de référence pour retrouver, dans la littérature spéléologique, les traces des explorations antérieures, voire quelque siphon vierge signalé par nos prédécesseurs.

D'obstacle ponctuel, le siphon est devenu sujet d'étude et d’exploration à part entière.

Les progrès humains et techniques, l’évolution des travaux scientifiques sur les problèmes de décompression ont permis de pousser les explorations, parfois jusqu'aux limites physiques et physiologiques de la machine humaine.

L’éloignement des zones d’exploration potentielles requiert plus de technique, plus de matériel, plus d’argent et des équipes conséquentes et structurées.

 

Limites actuelles 

Physiques et logistiques : seul ou en petit groupe on est très limité face aux objectifs d’exploration. Il est rare qu’en France, des clubs regroupent suffisamment de plongeurs et de compétences.

La nécessité de travailler en équipe élargie (nombreux coéquipiers avec divers domaines de compétence), en regroupant plusieurs équipes géographiquement éloignées, sur des objectifs importants n’est plus à démontrer. Aujourd’hui les explorations sont le fait d’équipes régionales voire nationales.

Cet état de fait contribue à ce que les plongeurs se connaissent mieux et échangent plus, au bénéfice du développement harmonieux de la discipline et de l’efficacité des équipes constituées dans la hâte en cas de secours en plongée.

Techniques : l’éloignement et les difficultés de portage pour atteindre certains siphons (encombrement), l’éloignement de certains terminus en siphons, l’allongement des durées d’immersion imposent le développement et la mise en œuvre de nouveaux équipements dont le développement n’est pas toujours systématique sur le marché de la plongée mer.

Le développement de la plongée dite " Tek " (technique) qui concerne les plongeurs profonds, épaves ou sous plafond (lac, carrières) a permis la démocratisation et l’importation en France de certains équipements utilisable en plongée souterraine qu’il fallait encore autrefois savamment bricoler voire inventer.

Aujourd’hui, les propulseurs, les recycleurs de gaz, l’usage de mélanges respiratoires suroxygénés (Nitrox) et Trimix, l’emploi de logiciels de décompression, la mise en œuvre de systèmes de chauffage et de cloches pour les longues décompressions, le développement d’éclairage à puissance et autonomie conséquente (leds et Hid) et de vêtements et sous-vêtements durablement chauds sont monnaie courante.

Il va sans dire de l’investissement financier pour acquérir ces équipements puis assurer leur entretien correct a un coût parfois prohibitif.

Ce stock est souvent acquis par des équipes dont chaque membre est propriétaire et responsable d’une partie du matériel, parfois par des structures fédérales qui mettent à disposition des projets ces équipements.

Le recours aux partenaires et sponsors est aujourd’hui impératif pour que l’activité demeure accessible en toute sécurité aux amateurs.

Physiologiques :

Certaines profondeurs (-150), certaines distances, certains profils (yo-yo, successives) imposent l’arrêt des explorations.

L’homme n’a pas spécialement été " conçu " pour vivre sous terre, ni sous l’eau et encore moins immergé sous terre.

La machine humaine a ses limites avec lesquelles on flirte dans certains siphons.

L’expérience et le recul nécessaire pour appréhender en toute sécurité certaines plongées (profondeurs, profils biscornus et cumul de paramètres aggravants) font qu’on évolue parfois dans l’expérimental.

 

La profondeur maximale atteinte en plongée autonome est de -308 en mer, –287 sous terre (au Mexique) dans une cavité à profil très vertical. Dans le cas de cavités avec du développement on a rarement dépassé –160.

En plongée professionnelle, la Comex a exceptionnellement fait descendre un homme à –701.

Selon certains spécialistes de la décompression, on dispose d’informations et de procédures fiables et du recul nécessaire pour les plongées amateur jusqu’à –120. Beaucoup moins de statistiques jusqu’à –150 et très peu au-delà. Des plongées au-delà de –150m sont considérées comme expérimentales.

Toute plongée en-deçà de –60 voire –50m sous terre induit l’utilisation de mélanges Trimix (O2/Azote/Hélium) pour diminuer les effets de la narcose et les risques d’essoufflement. La décompression doit impérativement être gérée avec des mélanges enrichis en oxygène et d’oxygène pur.

Mais la chose n’est pas si simple. Avant de fabriquer ses mélanges, qui ne seront valables que jusqu’à une profondeur maximale (risque de toxicité de l’Oxygène, de narcose à l’Azote), il faut définir sa profondeur maximale, puis choisir les mélanges gazeux en conséquence (confort et sécurité).

Vient alors le choix de la procédure de décompression. Les tables de décompression qui circulaient sous le manteau, un peu surannées, n’étaient pas adaptées à la plongée souterraine. L’apparition de logiciels de décompression a permis d’optimiser et de sécuriser les explorations. Mais plusieurs logiciels existent, avec des algorithmes et des modèles de décompression divers. Tous en sont pas adaptées à la plongée souterraine et une formation est nécessaire pour ne pas jouer aux apprentis-sorciers.

Enfin, reste à choisir la profondeur des premiers paliers, la vitesse de remontée et tous les équipements nécessaire pour assurer une bonne décompression (nourriture, protection contre le froid, assistance, confort).

Pour certaines cavités, les profondeurs, toutes proportions gardées " abyssales " approchent les limites de la plongée sportive amateur.

Exemple : Foux du Mas de banal (34).

A ce jour, le plus long siphon européen (Doux de Coly – France) approche 5000m de développement. En France,

85 siphons dépassent 500m de longueur, dont 30 supérieurs à 1000m et seulement 4 dépassent les 2000m.

Si la distance est combinée à la profondeur, elle implique l’utilisation de propulseurs car l’organisme humain n’est pas conçu pour réaliser des efforts à haute pression. Des accidents articulaires ont déjà atteint des plongeurs suite à de longues progressions à la palme en profondeur.

L’utilisation de propulseurs sous-marins permet d’élargir le champ des investigations (gain de temps car vitesse de progression supérieure, économie de consommation en gaz, moins de fatigue). Mais il faut envisager la panne :

- soit assez de gaz pour rentrer à la palme si l’on évolue pas trop profond ;

- soit assurer une redondance (un binôme, un second propulseur accroché sur soi ou laissé en " relais " dans la galerie).

La distance implique fatalement des durées d’immersion conséquentes, donc la nécessité d’être correctement protégé du froid (vêtements étanches, sous-vêtements efficaces) et d’adapter ses mélanges respiratoires pour réduire la saturation de l’organisme et diminuer les temps de décompression, tributaires de la durée d’immersion et de la profondeur d’évolution.

Exemples : résurgence de Gourneyras (34) , résurgence de Gourneyrou (34) , Foux de la Vis (30).

En plongée souterraine, c’est la cavité qui impose le profil de plongée. Les variations de profondeur répétées au cours d’une même plongée ne font pas bon ménage avec la physiologie humaine. Tant dans le domaine de la décompression que des baro-traumatimes (tympans, sinus).

Le plongeur évolue dans un milieu hyperbare (la pression augmente de 1 bar tous les dix mètres en profondeur). Comme il respire des gaz à pression ambiante (donc supérieure à la pression atmosphérique) son organisme se sature à la descente et dé-sature à la remontée. La dé-saturation impose une phase de décompression, durant laquelle l’organisme élimine les gaz dissous qu’il contient.

La capacité de l’organisme à supporter plusieurs des cycles saturation / dé-saturation rapprochés dans le temps est fort limitée. De plus elle varie énormément selon les individus (forme physique, physiologie) et selon les jours (fatigue, dispositions).

Après une plongée profonde, lorsque le plongeur entame une remontée, la pression diminue et les gaz dissous dans son organisme se libèrent. Il entame alors sa dé-saturation durant laquelle l’organisme génère des noyaux gazeux qui vont circuler pour être évacués via les poumons.

Si le plongeur redescend durant cette phase, il va recomprimer ces bulles circulantes. Elles réduisent alors de volume et risquent de passer dans la grande circulation avec la menace d’aller " coincer " n’importe où dans l’organisme. L’histoire de la plongée est tristement riche de plongeurs handicapés à vie suite à de graves accidents de décompression.

Les spécialistes de la décompression émettent des avis défavorables pour des plongées présentant des profils avec des points hauts au retour d’une profonde. Certains ont dès à présent refusé de participer à l’élaboration de décompressions.

Exemple : résurgence de Gourneyrou (34).

Pour la même raison, il est nécessaire de limiter le nombre d’immersions dans la même journée. Dans le cas d’explorations avec plusieurs siphons à franchir, surtout si le premier de la cavité (le dernier à franchir au retour) est assez profond pour saturer l’organisme, une dé-saturation intermédiaire peut s’imposer.

Cet arrêt peut impliquer des bivouacs entre les siphons avant de repasser un siphon profond au retour. Encore faut-il qu’un bivouac soit envisageable et qu’on puisse disposer d’un minimum de confort : absence d’eau courante, de bruit, de CO2.

Exemples : Grotte des Fontanilles (34), source de Marnade (30), émergence du Ressel (46).

La plongée souterraine européenne se caractérise par des paramètres aggravants : eau fraîche ou froide (inférieure à 10°C), étroitures, visibilité se déteriorant durant la plongée.

Quand ces paramètres se combinent à d’autres difficultés spécifiques de la plongée souterraine (distance, variations de profondeur…etc.) ils peuvent être rédhibitoires à la poursuite de l’exploration.

Exemple : Rivière souterraine de Laval de Nize (34).

Lorsque des plongées importantes (nombre des siphons, longueur et profondeur) sont réalisées en fond de cavité, plusieurs problèmes sont à envisager.

Le portage nécessaire à l’acheminement du matériel et à son évacuation après la plongée. Cette partie physique nécessite des aides compétents et en quantité suffisante pour s’assurer que tout le matériel arrive en état de fonctionnement au siphon puis remonte de même à la surface.

L’éloignement, les délais d’interventions très longs pour les équipes de secours en cas d’accident sont à considérer et à prévoir dans l’organisation (points chauds, nourriture et réserve d’éclairage supplémentaires). Ces prévisions induisent un " alourdissement " nécessaire de l’opération.

Lorsque le temps passé dans la partie aquatique de la cavité est important, et que la sortie de la cavité est à plusieurs heures de progression, un bivouac peut s’imposer.

Exemple : aven de Camellié (30).

 

Repousser ces limites peut constituer en soi-même un challenge.

En résurgence, on notera l’apparition d’équipes " Teks " ultra-organisées et disposant de gros moyens matériels, financiers et logistiques, dont l’approche n’est plus du tout basée sur l’étude et l’exploration du milieu, mais sur le " défi ", le " record ", le " succès " de l’homme sur le milieu.

 

L’état français

La France est encore au stade expérimental de certaines techniques, alors qu’elles sont couramment répandues aux U.S.A. et dans d’autres pays d’Europe (recycleurs, logiciels de décompression).

Le développement du sponsoring et la fabrication en série de matériels spécifiques (lampes, vêtements, accessoires spécifiques, chauffages…etc) demeure timide. La part de " système D " reste non négligeable.

Il n’existe pas de manuel technique de plongée souterraine en français alors que l’Espagne, l’Italie, le Royaume-Uni, la Belgique ... etc. ont produit les leurs. Ce document fait défaut, dans la mesure où les plongeurs souterrains ne sont plus uniquement des explorateurs curieux de caverne, mais de plus en plus des promeneurs sans connaissance spéléologique préalable.

La publication est limitée à des fanzines parallèles qui ont certes le mérite d’exister. Mais elle est peu attrayante et inadaptée à faire passer des messages en-dehors de notre petit milieu.

Le développement timide de la communication extra-spéléo (stages, publications dans les magazines spécialisés) et extra-fédérale doit se développer si nous voulons nous crédibiliser auprès de grand public et ne plus passer pour des inconscients suicidaires.

 

 

Quel avenir ?

En plongée souterraine, les défis de demain ne se résumeront plus à des performances sportives, mais bel et bien dans la capacité à maintenir l’accessibilité des sites.

Donc dans la faculté à communiquer en-dehors du milieu, pour laquelle les résultats des plongées ne pourront plus être uniquement quantitatifs (profondeur maximale, longueur de fil tiré) mais bien qualitatifs (topographies, observations, karstologie, biospéléologie, photographie, vidéo…etc).

Bonnes explos.

 

 

Frank VASSEUR

Commission. souterraine F.F.E.S.S.M. Languedoc-Roussillon / Midi Pyrénées.