Année 1951 (1) BULLETIN TRIMESTRIEL No 3

GROUPEMENT
SPELEOLOGIQUE
DE LA CHARENTE

Siège Social : Mairie de Ruelle -sur - Touvre


Assemblée
du 18 Novembre 1951
Présidence de M. POITEVIN, Maire de Ruelle
Présents : 27 Membres

 


Philippe Montigny

 

Le procès-verbal de la précédente séance étant adopté, l'ordre du jour est abordé.

Félicitations

Le Secrétaire général se réjouit dle voir deux de ses collègues, l'un élu, l'autre réélu au Conseil général de la Charente : son Président, M. Poitevin, et son Chef de Travaux, M. BESSON. D'unanimes et chaleu­ reuses félicitations leur sont adressées à cette occasion.

Congrès et exposition

Le VII° Congrès des Sociétés Savantes de la région des Charentes et du Poitou, organisé par la Société Archéologique et Historique de la Charente, sous la présidence d'honneur de M. le Préfet de la Charente, de M. le Recteur de l'Académie de Poitiers, de M. le Président, du Conseil général, de M. le Maire d'Angoulême, c'est tenu à .Angoulême les 5, 6 et 7 mai 1951.

Notre éminent collègue, M. Pierre David, présentait dans une des vastes salles de l'Hôtel de Ville, une magnifique exposition de Préhist loire « Le Paléolithique des grottes et abris de la Charente » qui obtint un grand succès et fit honneur à son présentateur.

Dans le cadre de cette exposition, une place était réservée aux spé­ léoloques charentais. Du matériel d'exploration, des plans, photos, quelques concrétions et une_ carte très détaillée des grottes et gouffres du département (œuvre de notre collègue Philippe Montigny) constituaient cette ex position, qui malgré son ensemble rnodeste, attira l'attention des nombreux visiteurs.

Le samedi 5 mai dans les salons de l'Hôtel de Ville. deux conférences avec projections furent faites par M. Pierre David sur « le dégagement d es restes humains découverts à la Chaise » et M. Piveteau professeur à la Sorbonne, sur « La paléonlologie humaine de la Charentente ».

Le dimanche 6 mai, fut consacré à la visite de divers monuments de la région sous la conduite de plusieurs personalités qui captivèrent les congressistes par leur érudition .

  • Eglise de Saint-Michel, Abbaye de La Couronne, (M. Daras).
  • Eglise de Châteauneuf et Saint-Léger-de-Cognac (M ; Crozet).
  • Visite du dolmen de Garde-Epee (M. Burias).
  • Visite de la Station préhistorique de la Chaire à Calvin à Mouthiers (M. David).
  • Château de François Ier à Cognac (M. Martin Cavat).
  • Visite du Théâtre Gallo-Romain des Bouchauds (M. Eygum).

Le lundi 7 mai, après les séances d'études et de clôture, les congressistes se rendirent à la Rochefoucaud, ou un excellent repas leur fut se rvi dans la sable des Gardes du Château, aimablement prêté par M. le Duc de la Rochefoucauld. l.'après-midi fut consacré à la visite de plusieurs gisements préhistoriques sous la direction de Mlle Henri martin (Fontéchevade) et M. DAVID (Montgaudier et La Chaise). Une visite aux grottes de Rancogne, sous la conduite de plusieurs membres du Grou­ pement Spéléologique termina ces trois belles journées du VIII Congrès régional des Sociétés Savantes.

Communications

M. Philippe MONTIGNY fait le récit très détaillé des différentes plongées qu'il a effectuées dans les résurgences de la Touvre.

Disons tout d'abord que ces plongées au fond des deux gouffres n'avaient jamais été réalisées et représentaient un véritable exploit à l'actif de notre sympathique collègue dont nous sommes fiers et à qui nous adressons nos plus vives félicitations pour sa har­ diesse et son courage.

Equipé du scaphandre autonome Cousteau, M. MONTIGNY effectua une première plongée dans le fameux «  Dormant » , le 28 août 1951

Rendue particulièrement pénible par la basse température des eaux, 8° à 10°, cette plongée effectuée dans la tenue ordinaire du baigneur. c'est-à-dire le simple slip, ne fut pas d e longue durée, mais permit, à notre ami, bon observateur de rapporter quelques renseignements nouveaux sur la structure de cette mystérieuse résurgence entourée d'une multitude de légendes, comme chacun sait.

A une dizaine de mètres de profondeur, l'abondante végétation qui borde le gouffre, cesse complètement et laisse apparaitre les parois rocheuses de calcaire gris. Ces parois qui plongent à la verticale sont abondamment stratifiées en longues bandes horizontales fortement creusées.

Certaines forment de véritables cavités, aux arêtes très arrondies usées par l'eau. Un courant puissant a dû jadis raboter et polir ces parois. L'eau n'a plus maintenant aucun mouvement sensible.
A une vingtaine de mètres de profondeur, les deux parois toujours aussi tourmentées, se rapprochent et le gouffre se continue par une crevasse verticale de quelques mètres de large dont les extrémités, en longueur, se dérobent derrière l'ombre épaisse et bleutée de la masse liquide.
Quelques mètres plus bas, un éboulis en pente douce de cailloux soupoudrés de sable et de déchets. indique le fond sur lequel le plongeur se pose, la sonde indique 24 mètres. A celle profondeur les paroi du gouffre se rapprochent sensiblement et ne laissent qu'un paysage d'environ 0 m. 80 à 1 mètre de large.

Un arbre entier, entrainé au fond à la suite de l'effondrement d'une partie de la berge, git horizontallement dans cette étroite galerie rend l'exploration de cette dernière très périlleuse. Aussi. C'est très sagement que notre plongeur, transpercé par le froid, décide de remonter vers la surface.

Sportivement parlant, cette descente était réussie, puisque le fond était atteint. Par la faute du froid et la présence insoupçonnée de cet arbre, aucun indice révélant l'arrivée de l'eau n'a pu être observé.

Aussi Philippe MONTIGNY propose-t-il d'effectuer d'autres plongées en groupe, lorsque nos moyens financiers nous permettrons de faire l'acquisition du matériel spécial nécessaire.

La plongée dans le « Bouillant », eut lieu le 10 septembre 1951. Nous laissons ici, le soin, à notre ami MONTIGNY, d'en narrer les péripéties.

« Deux bateaux permettent aux « officiels » leurs observations et leur contrôle. La descente, le plus près possible du remous de la sonde lestée à quarante kilos pour résister au courant n'est pas besogne facile car les bateaux sont violemment repoussés dès qu'ils en approchent.

» Par contre mon entrée dans l'eau n'est nullement pénible. Je suis muni d'une combinaison étanche qui assure une protection presque absolue contre le froid. D'ailleurs, aujourd'hui, par un caprice dont la Touvre est coutumière, l'eau est montée à 13°. C'est avec aisance et plaisir que je m'enfonce sous la surface.

» L'eau du « Bouillant » est cristalline, contrairement à celle du « Dormant » et la lumière y pénètre parfaitement. Je vois au-dessus de ma tète les fonds noirs des barques et tout autour, à perte de vue, les grandes herbes courbées par le courant. Des nuées de petits pois­ sons s'enfuient dans tous les sens. Je nage en spirale vers le bas, les parois inclinées deviennent bientôt verticales. Le diamètre du gouffre, qui était de quinze mètres au niveau du lit de la rivière est réduit à huit mètres environ. Maintenant, plus de végétation ni de poissons. La lumière reste suffisante pour que j'aperçoive l'ensemble du gouffre à mon niveau et au-dessus jusqu'à la surface.

» Les parois sont extraordinairement déchiquetées et tourmentées, des fissures profondes les coupent dans tous les sens, d'énormes dalles font des saillies et des surplombs tout autour du gouffre. J'ai l'impres­ sion qu'il y avait là une voûte effondrée sous la pression de l'eau ou par un cataclysme quelconque.

» Emporté par mes découvertes et par l'exaltation de faire le poisson rouge, dans cet original aquarium, j'oublie de regarder où je vais et, brusquement. une giffle énorme une projette en l'air contre un sur­ plomb, puis me fait jaillir à la surface comme un bouchon. Je me suis approché trop près du courant. Le temps de souffler un peu, d'apprendre qu'il y a dix-neuf mètres de câble immergé, et je replonge.

Je descends, cette lois prudemment, en me tenant au cible. Celui-ci est en dehors du courant et suit le fond incliné jusqu'à une grosse dalle en surplomb. Il pend ensuite librement à un mètre de la paroi nord-est et en oblique car le bateau repoussé par le bouillonnement n'est pas au-dessus du plomb. Je le suis le long d'énormes blocs inclinés qui forment cette paroi et me retrouve dans le courant. Cette fois je m'y attendais, et c'est cramponné des mains et des genoux que je m'enfonce, par un effort analogue, mais de sens inverse à celui du grimpeur de corde lisse.

Deux fois la prise de mes genoux lâche et je me retrouve gigotant. les pieds en haut, le long de ma corde. Heureusement, le courant a des pulsations, je profite des accalmies relatives pour me remettre en place. Je suis si violemment secoué que l'équipe de surface - je le saurai plus tard - sent parfois la sonde soulevée du fond malgré ses quarante kilos.

Je me pose enfin sur un entassement d'énormes blocs qui encombrent le fond du gouffre. Il s'agit certainement des débris de l'ancienne voûte effondrée. Entre ces blocs, le fond lui-même apparait, formé de cailloux et de petits rochers. L'ensemble ressemble de très près à certaines fosses de la Forèt de La Bracorrne, et la formation est probablement la même.

La transparence de l'eau est parfaite, la lumière vert-clair est abondante, je distingue parfaitement l'ensemble du gouflre en forme de polygone irrégulier de huit mètre , environ dans sa plus grande dimension et les parois qui se rapprochentt légèrement vers le haut.

» A mes pieds, entre la muraille et les gros rochers où je suis tapi, s'ouvre, dans le fond pierreux, un entonnoir qui descend en pente rapide vers une faille de la paroi, haute d'un mètre cinquante de large, d'un mètre.

« Le plomb s'est posé à la base des blocs, sur le bord de cet entonnnoir malgré l'énorme coup de fouet du courant, collé aux rochers les raclant des coudes et des genoux, je réussis à descendre jusqu'à lui.
Je suis à dïx-neuf mètres. Devant moi le fond s'abaisse jusqu'à la faille qui doit, être à deux mètres de moi et à vingt et un ou vingt­ deux mètres de profondeur. C'est de là que vient le courant.

» Cette faille forme une sorte de galerie qui paraît s'enfoncer vers le sud-est avec une pente de quarante-cinq degrés. Voici donc l'origine mystérieuse de la Touvre, le collecteur de cet immense réseau souter­rain. Malheureusement il m'est impossible d'y pénétrer ou même d'en approcher, car je suis collé contre le rocher par la violence de l'eau et, si je quittais mon câble, je serais le jouet de cette énorme force.

Tandis que j'observe avidement ce paysage que nul n'a vu, je distingue des bulles d'air qui s'échappent de la voûte. Une partie - proche sans cloute - du trajet souterrain se ferait donc sous une voute à l'air libre, et cette galerie ne serait qu'un siphon? Je pense aux légendes qui montrent la Touvre issue d'immenses cavernes, de souterrains prodigieux...

» Puisque je suis prisonnier de mon câble, dans l'impossibilité de le lâcher pour aller me promener au-dessus du fond, je n'ai plus qu'à remonter . Ce que je fais cette fois avec une sage lenteur, car mon séjour sous l'eau a été long (vingt minutes en tout depuis la première plongé) et je dois m'habituer à la décompression. Et puis, aujourd'hui que le froid ne me presse pas, j'ai peine à m'arracher à ce paysage d'un autre monde, à ce prodigieux chaos.

» Je remonte en examinant encore les parois ; la roche jaunâtre est éclaboussée de tâches rouge sombre d'oxyde de fer, cela accentue encore les différences de structure entre les deux gouffres et confirme I'hy-pothèse qu'une ligne de fracture entre deux terrains différents a réuni en ce même endroitt trois résurgences distinctes.

» Conclusion :

Ces descentes avaient surtout pour but, en plus de leur intérêt sportif comme «  premières », de démontrer la possibilité niée par beaucoup, tant l'atmosphère de crainte qui entoure la Touvre est tenace, de l'exploration directe des gouffres et de préparer la voie aux chercheurs, géologues, ingénieurs qui voudront poursuivre des études complètes et précises.
Tous ceux qui voudront nous apporter leur concours sont assurés d'être les bienvenus.

» le souhaite enfin que ces futurs travaux attirent l'attention des Pouvoirs Publics sur l'intérêt touristique et économique de la circulation sous terraine Tardoire - Bandiat - Touvre, car certaines pertes et fosses sont aussi grandioses que les résurgences et la vaste région qu'elle draine est en cours de dessèchement.

Les très intéressantes constatations de M. Montigny ont fait l'objet d'un procès-verbal signé notamment, par MM. Bruney, Président des activités de plein air du Touring-Club-de-France ; Poitevin, Maire de Ruelle, Président du G. S. C. ; Pierre David , Maître des recherches attaché au Centre National de la recherche scientifique, membre du bureau du G. S. C. ; Simon Herta , Secrétaire général du G. S. C. ; CHARBONNIER , Ingénieur en chef de la Fonderie nationale de Ruelle PETIT , ingénieur du Génie Maritime, attaché à la Fonderie Nationale de Ruelle, LAUBENHEIMER , Directeur de Société à Angoulême, Chauveau Industriel à Magnac ; Georges Carchereux, Industriel à Magnac.

Réception :

Le groupement décide de recevoir comme il avait été fait pour N orbert Casteret, Marcel Loubens qui vient à Angoulême. le 16 décembre 1951, faire une conférence sur le record de profondeur qu'il détient au gouffre de la Pierre-Saint-Martin.

Une délégation est désignée pour recevoir le célèbre spéléologue et u n diner amical est prévu.

Le Secrétaire Générai, Simon HERTA

N. B. - Les envois d'argent doivent être adressés au seul nom de: GROUPE­ MENT SPELEOLOGIQUE DE LA CHARENTE, 5, Place Saint-Martial, Angoulême. C. C. P. Bordea ux 869-72.

Le Gérant: Simon HERTA.

!e prochain bulletin paraîtra en Seprembre 1955.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

mise à l'eau

 

 

 

 

 

 

 

 

 

bouillant 1951

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La vasque

 

 

 

 

 

 

 

 

 

philippe montigny à l'eau 1951