LA DOUIX DE CHATILLON SUR PANNE

 

par François Beluche


 

Tous ces gradés, les initiateurs et autres moniteurs là, là... Et ben c'est de la peau de toutou, ouais, de la peau de toutou qu'j'en dis!

Pourquoi ça? ben c'est parce qu'y savent plus rien faire tous ces nigauds là tiens pardi! Quoi j'dis des bêtises, comment ça j'ai encore bu? J'vas te raconter fiston, tu vas comprendre c'qu'on savait faire nous, dans l'temps. Et qu'on me prive de boire si jamais je mens!

Donc voilà. Il s'appelait Jean-Pierre, il était polytechnicien et roulait en Porshe.

Amis plongeurs, si oncques d'entre vous voyez un jour un Jean-Pierre, X de son état, descendre de sa Porshe et venir toquer à l'huis de votre club, alors racontez lui n'importe quoi: qu'ici c'est un temple, un bordel, une assemblée nationale, tout vous dis-je; mais surtout pas un club de plongée, ou le malheur sera sur vous!

Oyez donc que je vous narre ça par le menu.

C'était à la Douix (Châtillon/Seine; Côte d'Or), et c'était un stage d'initiation à la plongée souterraine. A l'époque que j'vous dis y avait pas les galons tout ça, on était libres quoi...Moi, j'étais là pour encadrer; lui, pour se faire. C'est moi qu'ai hérité de cézigue; au début je savais pas, j'me méfiais pas, alors on est parti tous les deux.
On attaque la descente, ça se passe bien et on entre dans la salle des vaguelettes. Là, ça a commencé à sentir le suif, rapport à sa paire de palmes qui s'est mise à s'agiter comme si qu'elle venait de rencontrer l'Ankou en personne. Je cours après les palmes, explique au client d'aller mollo mollo. La bête apaisée, on repart, et on arrive au fond de la salle tu sais, en bas de la remontée qui mène vers le "trou du hibou" et la deuxième cloche. Contrôle des manos et tout et tout “-ça va? -ouais ouais”. On continue.

C'est arrivé à la hauteur du "trou du hibou" que ça s'est vraiment gâté sévère. Voilà le bougre qui s'arrête et commence à me faire des signes mystérieux. Mézigue, j'entrave peau d'balles évidemment, mais il continue! Mais qu'est ce qu'y veut nom de Zeus, il a peut être soif ?

Et c'est là que j'en reste sur le cul !

Cet ectoplasme de bashi-bouzouk arrache son détendeur et me fait le coup de la panne! parfaitement ouais, gamin le signe panne d'air! Et moi, trahi par des années d'entraînement mer, je lui refourgue aussi sec mon caoutchouc dans le clapoir! Depuis, j'ai appris qu'en siphon, il existait un signe spécial pour ça, comme celui qu'utilisent les automobilistes dans les carrefours, mais à l'époque j'étais encore jeune tu sais. Du coup, c'est moi qui suis sans jaja pour de vrai, car comme tout bon spéléo, j'attache toujours mes détendeurs ensemble! Et tu crois qu'il me les redonne? Et c'est pas vrai que je le vois rouler des yeux qu'on dirait le tirage du loto, parole! Pas de doute, le particulier il a complètement pété les fusibles, sûr!

Ma pomme, j'ai la topo de la casbah dans le bocal et je gamberge qu'on est pile poil sous la cloche. Coup de périscope fissa au dessus pour mater: du velours! Et hop, j'alpague mon pendard, balance la purée dans la bouée et direction la sortie, c'est là haut que ça se passe: 5 4 3 2 1 0 !! On décolle; pendant c'temps je retapisse ses embouts accrochés à son cou, et j'm'en carre un au pif dans l'étagère à mégots.

Et c'est comme ça qu'on crève la surface de la cloche, gilets gonflés à fond, lui picolant sur mes bouteilles, et moi sur les siennes!!

Ami, si d'aventure un fâcheux te serine que "dans-les-siphons-en-cas-de-pépin-on-peut-pas-remonter-direct", conte lui la légende du polytechnicien fou, ça lui rivera son clou.

“- Moi : Ben alors du genou.... qu'est ce qui t'est arrivé?

- Lui : Gnye te faisais des signes pour que tu me donnes mon deuxième détendeur, pass'que gnye premier y prenait l'eau!

- Moi : Mais triple buse, ton autre embout il était à 5cm du premier, juste devant toi! Et puis fais voir ce détendeur... Ben? il marche très bien!

- Lui : Oui mais gnye prenais l'eau...

- Moi : Grrrrrr! OK, tu prends le "bon" détendeur, tu restes dessus et rentrer maison!

- Lui : Oui mais gnye veut voir le trou du n'hibou d'abord !

- Moi : Grrrrrrrrrrrrrrrrrrr!!!!!”

Mais tu sais pas le pire de tout? c'est qu'une fois dehors, ce bougre d'animal, ce canard de bas étage, ce rascal en néoprène, n'a même pas eu le moindre mot, le moindre geste, rien!

Par contre, il est allé dare-dare trouver Mr l'Organisateur Responsable du Stage et lui a dit:

“Tu sais, Béluche, quand y m'a donné de l'air, et ben y m'a fait mal!