Une plongée « siphonnée »

Janvier 2003

Par Marc Agier


Marc Agier

 

Nous y voici. J'essaie tant bien que mal de me débrouiller avec cette configuration nouvelle : ajuster ma stab avec les 2 blocs, l'élastique autour du cou où sont attachés mes deux détendeurs, les deux manos pour qu'ils soient lisibles, accrocher le dévidoir à cet anneau, le sécateur… euh, y'a quelqu'un qui peut attacher mon casque, j'ai déjà mis mes gants, j'y arrive pas !! Ah ça commence bien… petit progrès tout de même : hier j'avais mis mon casque avant de mettre le masque. On me dit gentiment que c'est toujours comme ça au début, mais bon, n'empêche.

Briefing avec Frank, mon moniteur ; on vérifie la pression des bouteilles maintenant qu'on est dans l'eau et que les blocs sont « à température » ; la consommation est planifiée en conséquence.

Pas de soleil cet après-midi, une petite pluie fine tombe opiniâtrement sur l'Ardêche, et en ce début janvier, « le fond de l'air est frais » -suffisamment pour que l'eau fume… petite vapeur qui rend le site un peu fantômatique…

Bon, je crois que c'est bon… on peut y aller ! Les heures de cours de ce matin et d'hier vont enfin trouver leur application… 8 heures de cours un week-end, z'avouerez qu'il faut déjà être un peu siphonné !

OK ? OK… purge, coule, et vogue la galère –euh, enfin, façon de parler, parce qu'aucun bateau n'a jamais navigué sur les eaux où nous plongeons ! Pour être en Ardêche, on n'est pas pour autant sur le fleuve où défilent les canoës l'été… mais au cœur d'une petite ville, à Bourg-Saint-Andéol (évacué en décembre car inondée : un comble d'avoir dû annuler stage et plongées pour cause d'inondation ! ).

Nous nous laissons glisser le long d'une pente de gros galets, éboulis qui inaugure notre parcours ; la pente s'adoucit pour devenir horizontale ; à présent nulle lumière du jour ne passe, seules nos lampes permettent de ne pas être dans le noir absolu.

La roche ocre, polie par endroits, rugueuse ailleurs se découpe dans les faisceaux des phares, ponctuée d'aspérités, de creux, d'ondulations… Une main glisse le long du fil d'Ariane : à ne jamais lâcher, même une seconde, c'est le seul guide vers la sortie du siphon.

Ah oui, j'ai oublié de dire que si nul bateau ne sillonne ces eaux, c'est que nous sommes sous terre, dans un siphon, et que le stage est une initiation à la plongée souterraine (ou plongée spéléo).

Un bruit sourd, comme un grondement suspend mon geste ; bon, pas d'affolement, ce n'est pas un tremblement de terre, mais un train qui passe au dessus –une voie ferrée coupe la galerie quelques mètres plus haut sur la montagne… nous étions prévenus, mais on nous a caché les horaires.

Nous progressons lentement dans le conduit qui chemine à profondeur constante, se développe en courbes imperceptibles. Le courant a imprimé des marques sur la pierre, les « coups de gouge », écriture-braille pour qui sait lire ces signes. La galerie, haute d'environ 80 cm au centre, s'évase sur les côtés en forme de lentille aplatie.

Klong ! Mince, je racle avec les blocs –et pourtant, mes manos sont en train de délicatement labourer la roche –j'suis pourtant pas ventripotent !! Mais rien à faire, ça coince ! Un coup d'œil alentour : il y a plus de place à quelques dizaines de centimètres à gauche –là, ça passe « large ».

Contrôle des 2 manomètres et changement de détendeur. Les 2 bouteilles sont séparées, indépendantes ; il faut donc respirer alternativement sur chaque détendeur pour que la pression de chaque bloc reste identique (pas de différence de plus de 10 bars – une règle fondamentale de sécurité). A cette profondeur, on change toutes les 5 minutes environ.

La galerie est par moment coupée en deux par une lame de roche verticale, sculptée par les crues. Des lumières plus loin : c'est l'équipe précédente qui revient ; je me tasse sur le côté pour leur laisser le passage – priorité aux sortants !

Aujourd'hui, après avoir suivi le fil déjà en place, j'essaie d'en poser : dérouler le fil, prendre une bande de caoutchouc pour l'amarrer à la roche si une aspérité le permet, ou trouver un galet pour cela. Il faut poser le fil au bon endroit, éviter les « sections pièges » pour pouvoir passer au retour, quand la visibilité permet à peine de lire son ordi. Nous n'aurons pas cette difficulté supplémentaire ici au Goul de la Tannerie – c'est rare dans les siphons, profitons-en !

Cinquante mètres de déroulé ; comme convenu, je fixe le dévidoir à un gros caillou, et l'on continue sur le fil initial. Re-changement de détendeur - çà doit devenir un réflexe.

Un moment de répit : la galerie est plus haute ; je me penche, suis des yeux mes bulles qui vont rejoindre le plafond, confluent au-dessus de ma tête en une mare scintillante qui s'écoule comme un fleuve de mercure, et vient s'accumuler dans un renfoncement. Ma main tendue vient troubler ce miroir, le franchit sans résistance : tiens, c'est profond ! Curieux miroir… Ariane et son fil laisse un instant place à Alice, mais pas de lapin blanc ici ; ma tête suit, et découvre derrière la surface argentée et mouvante, une cloche -petite cavité emplie d'air.

Bien que concentré, être accompagné d'un moniteur me permet de profiter pleinement du plaisir des jeux de lumière sur la roche et les bulles, mais je sais qu'il faudrait garder en mémoire ces cloches d'air, savoir à quelle distance précise elles sont (une cloche exondée est parfois plus proche que la sortie, en cas de panne d'air) –bon, là, ça fait trop -restons-en aujourd'hui aux impressions purement esthétiques. Changement de détendeur… je l'oubliais celui-là…

Brutalement, la galerie se casse. Un lit de galets, 2-3 mètres en dessous, que je survole : nous voilà au canyon, à 100 mètres de l'entrée. Les galets disparaissent sous la roche qui forme comme une lèvre, première étroiture du siphon et terminus de la plongée d'hier.

J'ai bien envie d'aller jeter un coup d'œil de l'autre côté… Je demande à Frank : on peut y aller ? Il vérifie mes manos : d'accord, on y va ! Frank me précède, les pieds en avant (ça doit avoir un intérêt, mais j'ai oublié de lui demander), son second détendeur dans une main pour le protéger des graviers. Je le rejoins –préférant y aller casque en premier, rasant le sol pour passer. Derrière, ça s'élargit, la galerie change de morphologie, mais nous n'irons pas plus loin : 160 bars dans chaque bloc –c'est la limite pour faire demi-tour- la règle des cinquièmes, si tout se passe bien, nous fera finir la plongée avec 2 fois 120 bars –un peu frustrant pour un plongeur mer, mais s'il est une règle de sécurité avec laquelle on ne badine pas, c'est bien celle-là (contrairement à l'idée très répandue que la règle des tiers assure une certaine sécurité, le cours d'hier nous a démontré qu'en cas de problème, celle-ci ne permettrait pas de ressortir du siphon).

Nous retrouvons le dévidoir, et le rembobinage commence… petit changement de détendeur encore –c'est pas parce que c'est le retour qu'il ne faut plus équilibrer les conso !

Cinquante mètres plus loin, le bout du fil posé : défaire le nœud (très simple avec des gants –doit y'avoir un truc qu'on m'a pas encore appris !), bloquer le dévidoir, le remousquetonner à la stab.

Puis « rechausser » le fil et avanti pour la sortie ! Quelques mètres plus loin, Frank me fait signe de revenir ; euh… comment ça, on va quand même pas y retourner ? J'ai oublié quelque chose ? Je ne comprends pas mais reviens sur mes pas-lmes, regarde encore : mais que me montre-t-il ? Oups, ok ! C'est le fil –pas celui que je tiens, un autre, en bas de la galerie : je me suis trompé et m'engageais dans une galerie latérale. Si j'avais été seul, au bout de combien de temps m'en serais-je aperçu ? Je préfère ne pas m'attarder sur la question -je sais à présent que je ne referai jamais l'erreur de ne pas contrôler au compas la direction de la galerie : les erreurs forment la jeunesse, n'est-ce pas ?

Nous retrouvons rapidement la pente de galets ; une aura de lumière diffuse à présent, rend l'eau bleutée et laiteuse… je musarde un peu, retardant le moment de faire surface, je fais le tour de la vasque, j'y resterais bien encore…

Glou-glou-glou… et nous revoilà à l'air, à quelques mètres du lavoir du village. Bourg-Saint-Andéol, petite bourgade d'Ardèche a le privilège de compter deux des plus profonds siphons de France –celui d'à côté a été plongé à plus de 150 mètres de profondeur… ma plongée se contentera de -11 m et de 110 m de progression.

Débriefing et papotage dans la vasque d'entrée, dans les vapeurs d'eau sous la pluie… le bonheur !

Certes, la concentration en poissons est plutôt faible… peu de chance de croiser une raie manta, ou un poisson-clown bien coloré – quoique… la prochaine fois, je pourrai amener vos poissons rouges, ça leur fera une ballade (pensez à réserver à l'avance –nombre de places limité !)

Comment dire… les siphons sont aux coraux de la Mer Rouge ce que le Sahara est à la forêt tropicale… une épure minérale, comme une sculpture peaufinée par le lent cheminement des eaux… il y a donc une logique à me retrouver dans un siphon, puisque avant de découvrir la plongée, je sillonnais les déserts !!

Déshabillage (brrrr ! ), rangement du matériel, train pour Paris –pas de siphon dans la capitale –snif !! , à quand le prochain ?

Marc Agier –janvier 2003.

Avertissement :

Un apprentissage, encadré et patient, est nécessaire pour toute incursion en siphon, quelque soit le niveau en plongée mer.

Dès que l'on se retrouve « sous plafond », et hors de la lumière, il s'agit de plongée spéléo : même en mer pour une grotte sous-marine, même pour une incursion de quelques mètres . Nombre d'accidents mortels se sont produits ainsi : des plongeurs, parfois emmenés par un moniteur, n'en sont pas ressortis – déclinez donc toute invite (ou tentation) d'aller « juste jeter un coup d'œil ».

Les stages, régulièrement organisés par la F.F.E.S.S.M. (fédération de plongée) ou la F.F.S. (fédération de spéléologie) sont ouverts aux plongeurs (non claustrophobes) à partir du Niveau 2 pour la FFESSM. Les responsables des commissions de plongée souterraine renseignent volontiers les néophytes qui souhaitent participer à un stage.

 

 

 


Marc Agier