Reflexions sur le Fil Guide

Par Miguel Castro - Novembre 2002

Traduit de l’espagnol par Kino Passevant.

 

Introduction

Dans son ouvrage " BASIC CAVE DIVING, a blue print for survival ", le regretté Sheck Exley a établi trois règles de base :

    1 - Utiliser un fil d’Ariane,
    2 - Utiliser la règle des tiers (pour les consommations),
    3 - Eviter la plongée profonde en grotte.

Sur les 10 recommandations de son manuel, ces 3 règles, en lettres capitales et dans cet ordre, sont le fondement de la sécurité en plongée souterraine.

Il existe peu de sensations plus angoissantes que la perte du fil d’Ariane lors d’une plongée sous plafond. Si, en eau claire, le fait de ressentir soudainement la sensation de désorientation et le doute quant à retrouver la sortie met les nerfs du plongeur le plus émérite à rude épreuve, alors, il va sans dire que cette même situation, dans un espace exigu avec une visibilité réduite, voire nulle (ce qui n’est pas exceptionnel) peut entraîner un sentiment de panique et provoquer la mort en quelques secondes.
Evidemment, si nous nous en tirons sans autre conséquences qu’une bonne frayeur malgré ce, la perte du fil d’Ariane est une expérience très instructive qui nous donne conscience de l’importance vitale de cet élément pour notre sécurité.
Statistiquement, les incidents en rapport avec des problèmes liés au fil d’Ariane paraissent être la cause la plus commune des accidents de plongée souterraine.

Il paraît évident que, dans la situation de stress décrite dans un paragraphe précédent, on peut s’essouffler, bloquer un détendeur pour cause de sur-effort respiratoire, percuter des obstacles ou cogner son équipement, avoir des problèmes de flottabilité, aggraver les calculs de consommation les plus pessimistes ou subir n’importe quel des nombreux problèmes graves qui peuvent se produire et réduire la plongée à une course contre la montre.

Conscients de l’existence de ces incidents et encouragés par quelques-unes de ces frayeurs qui, parfois, font sérieusement envisager une possible reconversion à la pétanque, nous nous sommes attaqués à l’étude des différents types de fil d’Ariane les plus communément utilisés ou qui équipent la plupart de nos cavités.

Nous avons analysé sa résistance à l’abrasion, sa faculté à se nouer et son vieillissement dû aux ultraviolets et aux radicaux libres.

Nous avons aussi débuté une expérience sur le vieillissement de différents échantillons de fils en place qui, après une, deux ou trois années passées sur site seront analysés pour voir quels sont ceux qui résistent le mieux. Evidemment, pour obtenir les conclusions de cette étude, il faut laisser " le temps au temps ".

Pour nos estimations, nous avons testé les différents types de fils par rapport à une série de critères qui nous paraissent essentiels au choix du fil d’Ariane le plus adapté à nos besoins :

1- La résistance à la traction,
2- La résistance à l’abrasion,
3- La résistance à l’environnement (biologique, chimique),
4 - La flottabilité,
5 - La couleur,
6 -Le nouage.

La Résistance à la Traction

En principe, pratiquement toutes les fibres synthétiques utilisées actuellement, d’un diamètre supérieur à 2 mm supporteraient notre poids hors de l’eau, au moins si elles sont neuves.

Outre cette considération, si nous devions remonter dans un puits vertical lourdement chargé ou si, au contraire, nous devions nous agripper à la ligne pour ne pas être entraîner par le courant, un fil d’un diamètre d’au moins 4 mm avec une résistance aux alentours de 300 Kg nous offrirait une meilleure garantie et une meilleure prise.

Pour des installations fixes, nous ne devons pas perdre de vue la diminution de la résistance théorique due à l’abrasion, aux UV, aux agents chimiques et biologiques. C’est pour cela que nous devons augmenter les diamètres des fils à employer. Ainsi, pour une exploration ou pour une pointe, en principe, un fil de 1,8 à 2,5 mm est suffisant mais du 3 mm est nécessaire pour une installation fixe, voire du 4 mm ou plus selon la force du courant. Malgré les problèmes logistiques qu’impose l’installation d’une " corde " d’Ariane de 9 mm, la sécurité qu’elle procure et la possibilité de se haler dessus en cas de problème peuvent être rassurantes.

Dans des circonstances bien précises comme les épaves ou les forts courants, il est recommandé d’utiliser un fil d’acier inoxydable qui résistera mieux aux frottements et à la corrosion. Cependant, il ne faut pas perdre de vue le risque de s’y emmêler et d’y rester accroché si nous n’avons pas un outil capable de le couper, ce qui ne devrait pas poser de problème à un plongeur souterrain. Mais ce risque reste entier avec une installation fixe et un plongeur qui n’aurait pas cet outil. Sauf dans des circonstances exceptionnelles nous déconseillons son utilisation.

 

La résistance à l'abrasion

Parmi les matériaux étudiés, nous pouvons établir le classement pour des diamètres identiques :

1- Dyneema, 2- Kevlar, 3- Polyester, 4- Polyamide (Nylon) 5- Chanvre tressé ou ciré, 6- Polypropylène, 7- Polyéthylène, 8- Sparte

La Résistance à l'érosion

Excepté les fibres naturelles comme le chanvre, le sparte, la soie et le coton que nous rencontrerons rarement dans nos grottes, toutes les autres ont une résistance appropriée aux agents ambiants. Les UV, grands destructeurs de ses fibres, ne devraient pas poser de problèmes en grotte si nous prenons un minimum de précautions.

La Flottabilité

En général, il est préférable d’utiliser un fil avec une flottabilité négative. On réduit ainsi les possibilités de s’y emmêler et la propension du fil à remonter. Cependant, dans les galeries où le sol est très boueux, une flottabilité positive pourrait s’avérer plus adéquate.

La Couleur

Il faut éviter les fils de couleurs sombres. Le bleu et le vert couramment utilisés pour les cordes en polypropylène tressé sont très difficiles à retrouver en cas de perte. Les fils mono filament, transparents utilisés pour la pêche sont extrêmement dangereux. En plus d’être très difficiles à retrouver en cas de perte, leur caractère invisible les rend plus propices à l’emmêlage.

Ma préférence va au blanc quoique des couleurs comme le jaune ou l’orange fluo puissent être également appropriées.

 

Le Nouage

Plus un fil est rigide et épais, plus il est facile de faire des noeuds dessus. Par contre, un noeud se défait plus facilement sur ce type de fil que sur un fil fin et flexible. Avec le nylon, le polyester et le dyneema on peut faire des noeuds de qualité correcte. Le kevlar est plus rigide mais cette rigidité est compensée par la finesse des diamètres utilisés. Avec le polypropylène conçu avec une gaine tressée autour de l’âme on obtient de bons résultats. En revanche, le polyéthylène torsadé qui est rigide mais qui possède un bas coefficient de friction se noue et se dénoue facilement. Il faudra, alors, faire des noeuds qui augmente son coefficient de friction tel que le double ahorcaperros, le 8 ou le 9, bien les serrer et les sécuriser avec un noeud d’arrêt, une ceinture d’adhésif ou, mieux encore une bride en nylon. Le câble acier " parafil " devra être attaché avec des serre- câbles.

 

Comment avons-nous réalisé cette étude ?

Il est extrêmement difficile de reproduire les conditions auxquelles est soumis un fil d’Ariane installé dans un environnement agressif tel qu’une grotte ou une épave. Nous avons donc, selon la devise "qui peut le plus peut le moins ", frotté plusieurs échantillons de différents matériaux, de différents diamètres contre l’arête d’une brique. La tension, un plomb de 2 Kg, a été identique pour tous les échantillons.


L’angle de frottement a été maintenu constant pour ne pas fausser les résultats. Tous les matériaux testés ont un point de fusion relativement bas car l’échauffement causé par le frottement aurait pu altérer les résultats. C’est une cause de rupture qui, heureusement, ne se produit pas quand il est immergé. Nous avons refroidi le fil de façon permanente grâce à un flux continu d’eau. La vitesse de frottement a été, elle aussi, maintenue constante en utilisant un accessoire artisanal monté sur une perceuse qui permettait un mouvement alternatif de va et vient.

Pour comparer les propriétés de nouage, nous avions pensé réaliser le même noeud sur tous les échantillons de fil, de les soumettre à la même tension durant le même laps de temps et de mesurer ensuite le diamètre intérieur du noeud à l’aide d’une jauge. Cette vérification est réalisable sur des cordes de diamètres supérieurs à 4 mm mais impossible sur celles plus fines. Finalement, nous avons mis les noeuds en tension et, simplement, nous avons évalué subjectivement la difficulté que nous avions à les défaire.
Pour l’épreuve de la résistance environnementale et le vieillissement nous avons soumis quelques échantillons de fils les plus fins de dyneema, de nylon et de polypropylène à des radiations d’UV et à un bain dans une solution alcaline et nous avons comparé ensuite leur résistance par rapport à des échantillons neufs.


Classement des différents types de matériaux par rapport à leur résistance aux frottements

Matériau

Caractéristiques

Diamètre

Nombre de cycles

Nouage

Polypropylène

Tressé

2 mm

30

TB

Polyamide

Tressé

2 mm

45

EX

Sparte

Torsadé

2,5 mm

56

EX

Polyamide

Practisub

2 mm

67

EX

Chanvre

Ciré

1 mm

78

EX

Polyamide

Tressé

2,5 mm

83

EX

Polypropylène

Ame et gaine

3 mm

100

B

Kevlar

Gaine Polyester

2 mm

127

B

Polyamide

Ame et gaine, d’escalade

3 mm

138

TB

Polyéthylène

Torsadé, corde plastique

4 mm

190

M

Polyester

Ame et gaine, de nautisme

3 mm

221

B

Polyester

Tressé, de spéléologie

3 mm

231

TB

Dyneema

Tressage lâche

2 mm

233

EX

Polypropylène

Ame et gaine, BUEX

3 mm

238

B

Dyneema

Tressage serré

1,3 mm

247

EX

Polyamide

Torsadé

4 mm

250

B

Polypropylène

Ame et gaine, BUEX

4 mm

517

B

Polyester

Ame et gaine, de spéléologie

11 mm

9800

B


Conclusion

Dyneema :

Au vu des résultats obtenus sur le test des frottements, nous pouvons affirmer sans aucun doute que le dyneema, connu aussi sous le nom de spectra est le champion indiscutable. Ce matériau, de la famille des polyesters, offre une extraordinaire résistance tant à la traction (plus de 110 Kg pour un fil de 1 mm de diamètre) qu’au frottement dans des diamètres très petits. Il permet d’emporter une grande distance de fil sur un petit dévidoir (plus de 70 m sur une bobine de 8 cm). Il se montre plus efficace dans des diamètres plus fins, cela doit sûrement tenir à sa fabrication qui, plus serrée, protège mieux les fibres du frottement. Son immersion dans la solution alcaline n’affecte en rien sa résistance au vieillissement ; en revanche les UV réduisent significativement sa résistance (jusqu’à 60 %). Le nouage est excellent.

Comme principaux inconvénients, il faut signaler son prix élevé et le fait de pouvoir se couper en se tractant sur un fil si fin. Le matériau est extraordinairement statique, tant et si bien que sa capacité à amortir les chocs est nulle.

En résumé, un excellent fil pour remplir notre dévidoir de secours, nos bobines auxiliaires et d’exploration. Il est un peu cher pour des équipements permanents.

Polyamide (nylon) :

Ce matériau peu onéreux, fabriqué à Taiwan et distribué sous différentes marques par des distributeurs européens, est disponible dans la plupart des magasins.

Sa résistance aux frottements est médiocre pour les diamètres les plus fins.

Sa résistance aux produits alcalins est bonne, en revanche, les UV l’altèrent de façon significative.

C’est un gros désavantage par rapport au dyneema dont la résistance est pourtant moindre quand il est neuf. Le nouage est excellent. Le polyamide, relativement dynamique, peut absorber certaines secousses sans se dénouer ni se désamarrer.

En résumé, son utilisation, dans des diamètres très fins, pour un dévidoir auxiliaire qui serait fréquemment exposé au soleil est à déconseiller. Il faudrait alors le renouveler plus souvent, ou opter pour des diamètres plus gros, ce qui aurait pour conséquence d’embarquer moins de fil, ou le remplacer par du dyneema.

Dans une grotte sans courant, un fil de 2,5 mm peut servir d’équipement fixe.

Kevlar :

En vérité, nous avons été déçu par ce matériau. Il est protégé des UV par une gaine de polyester car sa résistance à ces radiations est mauvaise.

Mieux que le nylon mais bien moins bon que le dyneema pour des diamètres identiques. Le nouage est médiocre. Ses propriétés statiques sont élevées ; son prix aussi. Il n’y a aucun d’intérêt à l’employer.

Polyester :

C’est un bon matériau, au prix élevé, qui n’existe pas dans les petits diamètres. Sa résistance aux frottements et à la traction est considérable, son nouage bon. Suffisamment statique, le polyester sert communément en nautisme et comme cordes statiques en spéléologie.

En gros diamètre, il peut servir à équiper, de façon permanente, les puits verticaux et les tronçons exondés.

Polypropylène :

Ce matériau au prix très modique, a une résistance très élevée aux frottements, moindre à la traction s’il est composé d’une âme et d’une gaine. Le polypropylène, dans les petits diamètres, n’est pas adapté, à cause de sa relative fragilité comparé au polyamide et au dyneema, ni aux équipements fixes, ni aux dévidoirs auxiliaires. Les UV l’affaiblissent de manière importante, les produits alcalins, non. Nouage correct.

En 3 mm et en 4 mm, il peut équiper des grottes qui ont des courants modérés à forts. La 4mm est très appropriée pour équiper les puits verticaux.

De tous les échantillons testés, il présente le meilleur rapport qualité/prix.

Polyéthylène :

C’est une corde plastique. Dans des diamètres importants, résistant bien aux frottements et à la traction, elle peut servir à se haler. Dans les diamètres plus fins, le polyéthylène n’est pas pratique.

Matériau flottant qui se révèle très résistant à l’environnement et aux UV. Très mauvais nouage. Les noeuds devront être très serrés et sécurisés par des noeuds d’arrêt et/ou une ceinture d’adhésif.

Son prix est attractif. L’équipement en 10 mm d’une grotte à fort courant nous a donnés toute satisfaction.

Fibres naturelles, chanvre et sparte :

A première vue, la surprenante résistance aux frottements d’un fin fil de chanvre est peut-être due à son cirage qui agit comme un lubrifiant. En revanche, le sparte est très fragile. Ces deux fibres, qui pourrissent facilement dans l’eau ne doivent être utilisées qu’en ultime recours. En plus, la couleur brune du chanvre se confond parfaitement avec les parois d’une grotte.