Boesmansgat

28 octobre 2004, record du monde de plongée avec une recycleur

 

« Cela avait été un réel plaisir d'assister Verna durant sa tentative couronnée de succès, de record du monde féminin de plongée. J'avais été son plongeur de soutien profond à –150m emportant avec moi le gaz nécessaire pour aller à –221m si besoin était. »

Par David J. Shaw

Traduit de l'anglais par Maxime de Gianpietro


David J. Shaw se préparant pour une longue plongée

Après une pause de deux jours sans plonger, le moment était venu pour moi d'effectuer une plongée profonde. D'habitude je préfère aborder sans tambours ni trompettes mes plongées profondes, mais avec l'approche de l' »Extreme Dream Team » cela n'était pas vraiment possible. J'étais toutefois heureux du soutien que tout le team m'apportait. Don Shirley (IANTD SA) serait mon plongeur de soutient profond alors que les autres me fourniraient l'assistance à basse et moyenne profondeur.

Vu que je désirais être dans l'eau vers 7h du matin, j'informai le team que mon but était d'y être à 6h. Cela fonctionna à merveille puisque nous fûmes prêts sans avoir à nous presser à entrer dans l'eau à 7h. La préparation du matériel, pour moi, fût aisée si ce n'est que je dus remplacer un manomètre défectueux. En revanche, Don ne pût pas dire la même chose; il fût confronté à quatre différents problèmes avec son matériel mais je réussis néanmoins à l'avoir avec moi dans l'eau, à l'heure désirée.

Je plongeais avec un recycleur  MK 15.5 que j'avais modifié en remplaçant l'électronique analogique d'origine par un Hammerhead avec une électronique digitale. De plus j'avais rempli cette nouvelle électronique avec de la paraffine de type médical pour éviter son implosion à grande profondeur. Une bouteille de 3L était montée de chaque côté du boîtier du recycleur :

•  à droite une bouteille d'argon pour l'alimentation de mon volume étanche ;
•  et à gauche une bouteille que j'utilisais habituellement pour le remplissage de la bouée.

Mais pour cette plongée j'avais pris une option nettement plus innovante et je l'avais remplie d'O2. Je sais, c'est plutôt étrange d'utiliser de l'O2 pour gonfler une wing mais ainsi je disposais d'une source supplémentaire d'O2 pour le recycleur. Le Mk 15.5 a deux sphères de 3L de capacité chacune, l'une pour l'O2 et l'autre pour le diluant; sur une plongée profonde 3L à 200bars me donnant 10 heures d'autonomie au maximum je désirais avoir un peu plus, d'où ce choix d' une source d'O2 supplémentaire en l'occurrence le gaz de gonflage des wings. J'avais aussi installé une connexion rapide Whitey sur le recycleur pour permettre la connexion du diluant externe, toute la plongée devant se dérouler en utilisant celui-ci.

J'étais assez détendu et commençai ma descente avec le recycleur et quatre bouteilles de 11,4L remplies de mon mélange fond tx 4/80 comme bail-out pour parer à toute éventualité. C'est aussi dans l'une de ces bouteilles que je puisais le diluant nécessaire, préférant cette solution à l'utilisation des bouteilles embarquées à l'intérieur du recycleur. Mon unité étant dotée de systèmes de connexion rapide, le changement de diluant était chose aisée; une bonne chose que cela car à la remontée j'aurai à effectuer sept changements de diluant !

Après avoir dépassé l'entrée aux dimensions intimes, de la cavité et arrivé à -40 mètres je commençai la descente proprement dite. L'importante quantité d'hélium contenue dans les quatre bouteilles de bailout rendaient ma flottaison sensiblement positive et cela me prit quelque temps avant d'atteindre la vitesse de descente escomptée.

Cette plongée avait été difficile à planifier. Je ne savais aucunement à quelle profondeur j'atteindrais le fond et ne savais par ailleurs pas du tout si la corde-guide atteignait le sol ! Une trop grande vitesse de descente comportait le risque que je glisse au-delà du bout de la corde et ne la perde (ndlt). Une autre éventualité étant que la corde soit trop longue (ndlt) et lovée en volutes sur le sol menaçant que je m'y emmêle. Je devais donc une fois atteint -240m être particulièrement vigilant et surveiller scrupuleusement tout ce qui se passait en-dessous de moi. Je devais aussi éviter de heurter pesamment le sol et m'enfoncer ainsi dans la vase.

Une fois au fond je voulais amarrer mon fil d'Ariane, regarder dans quelle direction cela partait plus profond et dérouler du fil dans cette direction aussi longtemps que mon plan de plongée le permettrait. Jusque où cela m'emmènerait-il ? vers quelle profondeur ? Combien de temps m'aura-t'il fallu pour atteindre le fond ? Quelle profondeur aurai-je atteint avant de devoir faire demi-tour ?

Cette plongée n'allait pas être une plongée à l'ordinateur. J'emportais avec moi deux VR3 et un Nitek mais je n'allais les utiliser que comme profondimètres et timer. L'algorithme du VR3 à ces profondeurs ne me convenant pas car la plongée aurait été excessivement rallongée et Le Nitek ne pouvait pas être utilisé en mode recycleur, de là ma décision d'utiliser des tables de plongée générées avec le logiciel VPM-B.

J'emportais avec moi une multitude de tables et d'ardoises. La plus profonde de ces tables était calculée pour -300m, la moins profonde pour -270m et chacune était prévue pour l'utilisation du recycleur ou du circuit ouvert en cas d'urgence. J'effectuai aussi toute une série de simulations sur PC pour mieux comprendre quelles incidences sur le profil de la plongée pourraient avoir des variations inattendues. Ainsi par exemple, je me rendis compte que chaque seconde supplémentaire à -280m me coûterait 1,2 minute de décompression supplémentaire ! J'étais confiant et savais que si je restais dans les limites que j'avais prévu, tout se déroulerait bien.

Passé les -240m je commençai à scruter en-dessous de moi pour voir comment était la corde et comment se présentait le fond. Je pouvais voir que la corde était lovée d'environ 5 m sur un sol rocheux. Il ne semblait pas qu'il y ait de la vase dans les environs immédiats mais plutôt des débris de roche. Dès que j'atteignis la fin de la corde j'y fixai mon fil avec un mousqueton et regardai autour de moi sur environ 270° pour choisir la meilleure direction possible où aller puis m'étant décidé, je commençai à palmer. Je me dirigeais vers ce qui semblait être la portion plus profonde de la cavité et déroulais mon fil tout en avançant. C'était de la pure plongée souterraine dans la meilleure acceptation du terme ! J'examinais le fond tout en m'imprégnant du paysage environnant et il me semblait que la profondeur de la grotte n'allait pas s'accroître beaucoup. Je balayais de droite à gauche avec le pinceau de lumière de mon phare HID et continuais d'avancer.

L'un des VR3 avait rendu l'âme lorsque j'avais atteint le fond mais l'autre continuait de fonctionner normalement. Je m'étais lancé dans l'exploration à –260m et descendais. Le recycleur était facile à respirer et le « Hammerhead » maintenait la ppO2 choisie de 1,3. Parfaitement détendu je n'en croyais pas mes sens de me trouver là où je me trouvais. La descente se faisait en pente douce et j'atteignis ainsi la profondeur de –270m, devant moi le fond ne semblait pas devoir excéder les –280m. J'avais déjà déroulé environ 20m de fil, lorsque balayant avec ma lampe HID dans un angle d'environ 30° sur la gauche, je vis comme en plein jour gisant devant moi à environ 15m un corps.

Il devait s'agir du corps de Deon Dreyer mort le 17 décembre 1994. Malgré des recherches importantes à l'époque, son corps n'avais jamais pu être retrouvé.

Il gisait sur le dos, les bras en l'air et les jambes tendues. Je ne ressentis aucun choc, mais plutôt le sentiment de savoir tout de suite ce que j'avais à faire. Continuer à m'avancer dans les profondeurs ou aller vers le corps ? La décision fût très simple, j'incurvai ma progression et arrivai rapidement auprès de lui. Il fallait que je tente de récupérer ce corps. Mais les minutes s'égrenaient et peu de secondes restaient avant que je ne doive faire demi-tour. Je tentai sans succès de soulever le corps, puis je me mis à genoux et essayai à nouveau avec plus de force. Maintenant j'haletais et étais en train de m'essouffler à cause de la fatigue induite par ces efforts. « Cela n'est pas très sage » me dis-je à moi-même, « je suis à –270m et suis en train de fournir trop d'efforts ». Le problème était que son scaphandre de deux 10,5L ainsi que sa grosse batterie d'un modèle suranné étaient enfoncés dans la vase. Temps de partir ! j'avais déjà dépassé d'une minute mon temps prévu pour rester au fond. J'attachai alors mon fil d'Ariane au corps de manière à ce que l'on puisse le retrouver aisément et ne pris même pas le temps de m'attarder pour couper le fil et récupérer le dévidoir que je laissai sur place. Je n'eus qu'à suivre mon fil pour retourner à la corde et je commençai la remontée.

Le temps était venu de faire un peu d'arithmétique, je me concentrai pour conserver la bonne vitesse de remontée jusqu'au premier stop à –221m, la profondeur à laquelle Verna avait établi son record du monde peu de jours auparavant. A –150m, après 48 minutes de plongée je me séparai des 4 bouteilles de bailout et les accrochai à la corde. Je pris alors deux nouvelles bouteilles déposées là et prévues à cet effet et après avoir connecté l'une d'entre-elles, j'effectuai un rinçage de diluant et continuai ensuite ma remontée. Comme prévu, je rencontrai Don à –135m il s'assura que tout allait bien et continua à descendre jusqu'à –150m pour aller récupérer les bouteilles que je venais d'y laisser. Bientôt il revint à ma hauteur et s'arrêta pour échanger quelques propos. J'écrivis sur une ardoise : « Trouvé un corps à 270m ». Il fronça quelque peu les sourcils et me serra la main, je lui fis signe alors qu'il pouvait continuer sa remontée. A nouveau j'étais seul. Je rencontrai le prochain plongeur de soutien 90 minutes plus tard à –40m. Comme j'avais dépassé mon temps de fond, j'utilisais pour la remontée le plan de décompression prévu pour –300m et j'ajoutai 90 minutes au paliers supérieurs. Tout se déroula sans encombre, les changements de gaz et les stops. Dans cette eau à 17°, avec mon DUI CF200 gonflé à l'argon je n'avais pas froid. Neuf heures et quarante minutes après avoir commencé ma plongée, je fis surface dans la lumière du soleil de fin d'après-midi. Je passai trois heures allongé tranquillement avant de remonter la pente douce qui conduisait au sommet du plateau, où se trouvait le véhicule qui me ramènerait à la ferme où j'avais pris mes quartiers.

Pendant que je me reposais j'avertis des picotements dans mon avant-bras gauche. Cela était dû au fait que le bracelet de mon ordinateur de plongée Nitek avait été trop serré, mais sur le moment je n'avais rien ressenti. Manifestement cela avait incidé négativement sur la circulation sanguine et maintenant j'avais à en supporter les conséquences. Malgré la nuit et un traitement à l'O2 la douleur ne disparût pas. C'est pourquoi, le lendemain, je décidai d'aller consulter à la chambre de traitement hyperbare de Welkom. Les experts de DAN décidèrent qu'il valait mieux procéder à un traitement en caisson et la douleur disparût après deux heures de thérapie.

La nouvelle de cette exploration se répandit vite et l'intérêt des média fût intense. En ce qui me concerne, le fait primordial que je retiens de cette plongée, est d'avoir déroulé du fil à une telle profondeur et d'y avoir fait de l'exploration, mais pour les médias ainsi que pour la police ce fût la découverte du corps qui accapara leur attention.

Des plans pour aller récupérer le corps début janvier prochain, sont en cours d'élaboration.

Details de la plongée

Plongeur:
Profondeur:
Record du monde battu :

David Shaw
Depth 270m
Plongée la plus profonde avec un recycleur
Plongée la plus profonde en grotte avec un recycleur
Plongée la plud profonde en altitude
Profondeur à laquelle un fil d'ariane a été déroulé
Recycleur:
Cavité :
Altitude :
Durée de la plongée :
Diluants
Mk 15.5 avec éléctronique Hammerhead
Boesmansgat (Bushman's cave), Afrique du Sud
1550m
9h40
4/80, 10/70, 15/55, 17/40, 26/25, 50%, 100%, Air