Source de la Clautre
Commune de Tourtoirac

Spéléo Dordogne T1 1995
Par Philippe Marchive



 

A Jean-Luc, à Annie.

Cet article n’a évidemment pas la prétention de résumer cette dramatique journée du 4 février. Il n’est qu’un témoignage, le plus près possible de la réalité, d’une partie de cette journée où nous avions tous les quatre tant rêvé et espéré. Tout le reste pourra faire l’objet de bilans, d’analyses au cours d’articles ultérieurs.

C’est une semaine auparavant, le 28 janvier 1995, que J.-L. Siriex plonge la source captée de la Clautre après avoir « enfin » obtenu l’accord de la municipalité. Jean-Luc m’avait invité à cette plongée, mais je m’étais déjà engagé auprès es copains à la sortie du Petit Homme le même jour. De plus, j’avais dit à Jean-Luc qu’il serait préférable peut-être d’attendre de meilleures conditions, tant au niveau du débit que de la visibilité.

Le lendemain, j’apprends que Jean-Luc est passé à Clautre, 800 mètres de première et arrêt sur rien. Le gros lot quoi. Evidemment, j’appelle Jean-Luc, il me raconte, déçu aussi, dans sa générosité que je n’aie pu faire la première avec lui, et également la polémique au sujet de l’accord avec la municipalité, mais tellement heureux. Qui d’autre que lui méritait une telle découverte ? Techniquement il m’explique : des étroitures, de la « touille » (visibilité nulle), la longueur des siphons, les bouteilles adaptées (4l ou 7l), bref pour lui c’était facile avec des passages très « moyens ». Je traduis plutôt moyen avec des moments franchement étroits.

En 1981, un plongeur spéléo, Bugel, avait atteint un terminus à la Clautre, en fait une étroiture dans le sable, et cela dans une salle exondée où l’on peut se tenir accroupi, voire même courbé. Son fil d’Ariane était resté dans les siphons depuis. Jean-Luc avait pu en bénéficier d’une part mais prudemment avait également déroulé le sien. Jean-Luc atteint ce terminus au bout de 130m environ d’une succession de siphons et de salles exondées. Et là, comme Bugel, il semble que tout espoir soit vain. Il finit par passer, derrière c’est gagné après avoir franchi en décapelé un siphon de 3 ou 4 mètres.
Comme convenu, dans la semaine qui suit, on s’appelle, c’est fixé pour des raisons personnelles, il faut y retourner le samedi 4 février. Après, il ne pourrait pas durant plusieurs semaines. Il m’apprend alors qu’il désire amener également Annie et Michel. […]
Nous avions souvent plongé ensemble en spéléo dans des conditions parfois difficiles, mais tellement plus sécurisantes que celles que nous allions rencontrer à la Clautre.
Samedi est là, nous nous retrouvons tous les quatre au café de Toutoirac. Ambiance sympa, malgré la grisaille du temps, tout le monde paraît confiant. Allez, on y va. On s’approche de la Clautre, tous les copains sont là, je n’ai jamais vu autant de monde avant une plongée. C’est bon aussi de se savoir entouré, poussé vers la découverte, comme si toute l’équipe, cette envie de vierge des copains devait décupler nos forces.

Les préparatifs, les bouteilles, les détendeurs, tout a l’air parfait. Jean-Luc me demande de prendre le bi 7l, pour Michel aussi. Annie et lui ont des bi 4 l. Je lui demande :
« Tu crois que ça passe avec des 7l ?
- Faudra jongler un peu, mais ça doit passer. T’inquiète. Si tu veux, je prends les 7l.
- Non, non , ça ira. »

C’est vrai que les 7 l sont plus volumineuses, plus lourdes à traîner. Annie préférait les 4l, je ne pouvais deviner qu’au moment de ce choix ma vie en dépendrait.

Tout le monde est prêt. Michel part en premier, premier siphon en décapelé (trop étroit pour avoir les bouteilles sur le dos, on les tire ou on les pousse) très bref, 3 ou 4m de longueur.Pour lui, apparemment, pas de problème. Annie en second tente de passer avec les 4 l sur le dos, elle cherche le passage, n’y parvient pas, la visibilité est nulle. Elle recule, essaie à nouveau, ressort.
[…] Pendant ce temps, ça commence bien, j’ai une lampe qui faiblit déjà, vite, à la voiture, j’en prends une plus sûre.
Annie s’est à nouveau engagée, ça a l’air bon.

C’est à moi. J’introduis mes blocs sous cette voûte, je cherche le passage, visibilité complètement nulle. C’est bon, ça passe. Je ressors sur une pente argileuse et rejoins Annie. Elle est mal, très angoissée par cette première difficulté pourtant très brève, elle me dit même qu’elle a envie de vomir. Je lui enlève son casque, ouvre sa combinaison, essaie de la rassurer, de la mettre à l’aise. Ici la salle n’est pas immense, mais on tient accroupi par endroits, la galerie a 3 mètres au plus de large.

Jean-Luc arrive, lui parle, la réconforte. […]. Je n’ose pas lui dire de ressortir, tant pis, une autre fois peut-être tout ira mieux. Michel n’est pas là, il a foncé dans le deuxième siphon. Jean-Luc non plus n’ose pas lui dire de ressortir.
Nous poursuivons à quatre pattes vers le deuxième siphon. Annie est partie devant moi, j’attends un peu puis c’est mon tour. Ce siphon ne me surprend pas, boueux, étroit par endroit, mes doigts glissent lentement sur les deux fils d’Ariane. Il faut y aller tout doux, mesurer ses mouvements de bras, de palmes, respirer lentement. On évolue au ralenti. Je change de détendeur, surprise : celui-là prend l’eau, j’avale sans tousser. Je reprends le premier. Là ça coince, le passage est très bas, une main sur les fils (un fil suffirait, un de plus multiplie le risque de s’y accrocher), l’autre s’agrippe à l’argile, mes doigts s’enfoncent et me permettent de me tracter doucement sans trop forcer. Puis la galerie s’élargit à nouveau, et encore une étroiture, des blocs calcifiés reposent sur le fond, il faut passer au-dessus, les bouteilles cognent la voûte. Lentement, en « jonglant », ça passe aussi.
Les 70 mètres du siphon sont franchis, je rejoins Michel et Annie dans une petite salle, il faut ramper dans l’argile et l’eau pour trouver une cloche qui nous permette, en se serrant, de tenir assis. Nous parlons de nos problèmes techniques. Annie a aussi un ennui avec un détendeur. Jean-Luc nous rattrape, on lui expose nos problèmes, il nous rassure.
« Encore 20 mètres de siphon et on y est ! »

On continue dans ce troisième siphon qui ne comporte pas vraiment de difficultés en comparaison du deuxième. On se retrouve devant le terminus de Bugel. Pas évident, pourtant l’eau arrive bien de ce sable. Jean-Luc donne quelques coups de pelle US, il dégage bien le passage, du moins au début. Derrière, c’est de la balade vierge qui nous attend. On décapele à nouveau, tout le monde passe. C’est très étroit, mais dans du sable meuble, c’est vrai que ça coince, mais pas méchant. On y est, une dernière voûte mouillante, nous voilà tous dans la galerie qui s’agrandit. On pose le matériel sur les banquettes d’argile.
Jean-Luc et moi allumons l’acétylène et tout de suite l’ambiance se réchauffe, le moral remonte. Je fais une dernière photo. L’explo nous attend.
On ne s’attarde pas, les 800 mètres de première de Jean-Luc (voir son compte-rendu) la semaine précédente sont avalés en une demi-heure, juste le temps de remarquer quelques possibilités fossiles en hauteur et un gros affluent en rive gauche, qui sort d’une galerie de près de 1,5 m de hauteur. Vu son débit, je demande à Jean-Luc s’il ne s’agirait pas plutôt d’une diffluence. Je prends une deuxième photo. L’émotion est forte, c’est magnifique, concrétionné de partout, la vraie balade, c’est grand, parfois en canyon de 15 mètres de haut.
On décide de conserver la pellicule pour la suite : au retour on pourra en prendre s’il en reste.
On parvient au terminus de Jean-Luc. Dès lors le vierge total, la pureté et la variété des concrétions nous pétrifient à notre tour.
On ne parle plus, on s’exclame. Le panorama à 360°, nos yeux n’en finissent pas de balayer ce que le monde souterrain peut nous offrir de plus beau. Photo par ci, photo par là, pas évident en néoprène, on fume de partout. Des draperies, des excentriques en pagaille, des plafonds de fistuleuses sur 10 ou 20 mètres peut-être. Ca n’arrête pas d’être superbe. Certaines dépassent le mètre. On n’ose à peine avancer, on se baisse dans la rivière, on marche à quatre pattes, c’est si fragile. Ca se relève et, à nouveau, partout, partout des concrétions, parfois même dans le lit de la rivière, par endroits dans certains goulets, l’eau bute sur une colonne. Ces concrétions immergées sont la preuve d’une longue période de sécheresse, ou que peut-être en période d’étiage ce cours d’eau n’est plus que faiblement actif.
On remarque également dans deux flaques d’eau recouvertes de calcite flottante des triangles de calcite.
Chemin faisant, deux petits affluents impénétrables en rive droite et un en voûte sont aperçus.
Tiens, un siphon ! Le shunt est juste au-dessus. Plus on avance et plus la galerie s’agrandit, toujours concrétionnée. La rivière longe de plus en plus la paroi, la rive gauche en fait.
Nous sommes obligés de quitter la rivière, on ne peut plus la suivre, nos arrivons dans une zone plus ébouleuse, au milieu des blocs calcifiés. Là, je termine ma pellicule, dommage pour les 800m de Jean-Luc.
Ces effondrements très anciens ont peut-être dévié les cours de la rivière qui a été obligée de creuser en partie un nouveau lit.
Cela expliquerait le gros affluent ou plutôt la diffluence des premiers 500 mètres et le concrétionnement immergé. La galerie a bien 10 mètres de large et autant de haut. Nos avons parcouru environ un kilomètre depuis le terminus de Jean-Luc. Maintenant, nous ne voyons plus la rivière, mais on l’entend toujours couler sous les blocs énormes de 2 à 3 mètres sous nos pieds. Nous progressons parfois sur d’immenses planchers calcifiés. Ici, on remarque une « méduse » décrochée en même temps que la voûte.
Echelonnés sur 30 à 40 mètres, nous évaluons les dimensions de la galerie. De la rivière, le plafond : 10 à 15 mètres et au moins 20 mètres de large par endroits.
Depuis 2 à 300 mètres nous avançons dans ce type de galerie. On reste dans l’axe principal sans explorer les abords qui n’en demeurent pas moins splendidement concrétionnés. Allez, bientôt 15 heures, il est temps de rentrer. Nous sommes à environ 2 kilomètres du premier siphon : la « galerie de métro « continue, noire, devant nous. Nos reviendrons.

Durant toute l’explorations, je n’ai pu m’empêcher de penser à Bugel qui ne s’était arrêté qu’à 3 ou 4 mètres de cette fabuleuse cavité. A plusieurs reprises je ne manquais pas de le répéter aux copains. Vers 16h30, nous retrouvons notre matériel de plongée. On s’équipe et nous entamons notre retour fatal.