PLONGÉES DANS LE FRAIS PUITS

4 et 5 Novembre 1972

PAR JOCHEN HASENMAYER

Jochen Hasenmayer se prépare

 

NUMÉRO SPÉCIAL DE SPELINFORM'
BULLETIN DU SPÉLÉO-CLUB DE VESOUL

En 1557, les troupes prussiennes au Baron de Polwiller, qui assiégeaient Vesoul, durent fuir précipitamment devant une inondation d'une ampleur exceptionnelle...Le "Frais Puits" s'était mis à cracher... Si aujourd'hui, la légende d'un gouffre bienveillant, protecteur des villes et villages voisins, n'a plus cours, il n'en reste pas moins vrai que le Frais Puits fait partie intégrante du folklore régional. Pour les touristes, c'est une nappe d'eau tranquille, dissimulée au creux d' un site agréable, mais que l'on regarde toutefois avec méfiance, voire avec respect, quand on sait qu'un caprice soudain peut le transformer en un torrent bouillonnant.

Pour les savants, c'est un gouffre émissif temporaire, cheminée d'équilibre d'un imnense réseau hydrologique souterrain.

Pour les spéléologues enfin, c'est la prouesse d'une exploration aventureuse et peut être la découverte de galeries inexplorées, dont la reconnaissance apportera d'utiles enseignements pour la lutte contre la pollution et l'exploitation de l'eau de notre sous sol.

Dès 1937, Nestor GLOCKNER, président au SpeIléo Club de Vesoul réussissait une plongée de 12 minutes au Frais Puits. Le 26 Mai 1946, COLLOT et PELLETIER, effectuaient a leur tour deux tentatives, à l'aide d'un scaphandre lourd des Ponts et Chaussées. Le comte Guy de LAVAUR, promoteur de la plongée spéléologique en France, s'interessa également au mystérieux gouffre, aux environs de 1957.

Puis les techniques et le matériel moderne des explorations sous-marines, adaptés aux particularités du monde souterrain, furent a l'origine de résultats spectaculaires, et en Juin 1970, JC. FILICH0N et P. PETREQUIN parcouraient 100 mètres dans les galeries du Frais Puits...

Enfin, en 1972, Jochen HASENMAYER, reconnu par ses pairs comme l'un des meilleurs spécialistes mondiaux de la plongée souterraine, acceptait a son tour de tenter une exploration.
Son sang froid remarquable, sa trés grande expérience, et son équipement parfaitement au point, lui ont permis d'obtenir des résultats jamais atteints.

En publiant le rapport d'exploration et les impressions de plongée de Jochen HASENMAYER, aimablement traduits par M. G. PELTIER, que nous remercions ici, le Spéléo Club de Vesoul a voulu marquer sa reconnaissance et son admiration au spéléonaute allemand.
Puisse-t-il revenir bientôt parmi nous, où il n'a laissé que ues amis, pour une prochaine tentative aussi couronnée de succès que la précédente.

Des crues massives, qui en quelques heures inondent la plaine de Vesoul et peuvent faire déborder la Saône, se déversent du Frais Puits à la suite de pluies persistantes ou de fontes des neiges. Ce bassin d'activité sporadique se trouve au fond d'une faille, a 6 km, au SudEst de Vesoul, entre la route de Montbeliard et une vallée sèche, sur un grand plateau karstique d'environ 15 x 20 km.
D'où viennent ces crues ? Le Frais Puits était-il partie d'un lac souterrain l'accès à un grand collecteur hypogé ?

A l'initiative de l'ex-Président au Spéléo Club axe Vesoul M. Munier, et sur l'invitation de ce club, j'ai exploré en Novembre 1972 ce phénoméne karstique. Assurées par mon équipement de plongée spécialisé mis au point par 15 ans de pratique spéléologique et favorisées par un niveau d'eau particulièrement bas, deux plongées à longue distance furent réussies.

On atteint l'entonnoir émissif du Frais Puits en descendant un talus de sable brun-rouge. En raison d'une longue sécheresse persistante, le lac d'entrée était réduit à une baignoire de 80 cm de profondeur ; le niveau d'eau couvrait tout juste l'ouverture de la galerie émergeant de l'obscurité.

Samedi 4 Novembre- 16 heures, La première plongée était pré vue comme reconnaissance de terrain. Malgré cela, je portais sur moi, un équipement de plongée représentant la plus grande capacité de pénétration qui ait jamais été mise en oeuvre au Frais Puits : costume néoprène à volume constant, projecteurs de casque à, halogène, deux réservoirs séparés d'air comprimé, lumière et air pour plusieurs heures. De plus, 400 mètres de fil métallique de sécurité en 4 petite rouleaux, qui se dérouleraient automati quement de l'avant-bras pendant la plongée.

La premiére surprise, ce fut le trou d'accès. .",lorsque mes palmes battaient encore la surface de l'eau, que mes bouteilles d'acier frottaient déjà, le plafond de la galerie, que mes accus abdominaux remuaient le fond d'éboulis, je ne réussis qu'avec peine à pénétrer avec mon équipement au coeur de la montagne.

La grosseur ces galets non rejetés par le courant d'émission et restant au fond est un indice de la vitesse maximale d'écoulement. Ces galets ont ici à peu près la grosseur d'un oeuf de poule, donc vitesse d'écoulement maximale 1,30 m par seconde. L'orifice d'émission lui-même a une section de 1/2 m2 au plus. Il en résulte un écoulement ae 650 litres/sec., soit le débit d'un fort ruisseau. De cette "source" ne peuvent se déverser des crues, qui en quelques heuress inondent la plaine de Vesoul.

Je m'enfonçai dans la vase soulevée et me redressai dans l'eau claire comme celle d'une source. De longues branches qui ont été introduites, de vieilles bouteilles de plastique et des boites de fer blanc rouillées témoignent de la proximité iimnediate du monde extérieur. Un fil de nylon fortement tendu et fixé à la paroi gauche s'enfonce dans la montagne. Mais cette image, c'est ce que vit auussi en 1938 N. Glockner, à la témérité inoubliable, lui qui dans une eau à 9° celcius en combinaison de toile et à l'aide d'un masque de plongée réalisé par lui même, réussit ici une plongée de 12 minutes.

Dans une chambre de la hauteur d'un homme, le fond recouvert de morceaux ae roc arrondis et de calottes de boue;s'enfonce en descendant légèrement vers l'intérieur de la montagne ; le rocher plat au plafond descend cependant par paliers et amène la galerie immergéee orientée vers le Sud Ouest dans une faille large, mais basse.

L'esquisse des plongeurs sportifs Frachon et Pétrequin, qui réussirent en 1970 une plongée de 100 m, montrait sur la paroi droite un conduit descendant.

Je supposais que là dessous se trouvait un systéme de galeries principales situé plus bas. Ce n'est.qu'au bout de 30m que la paroi s'ouvre par une chatière : derrière celle-ci, de l'eau libre, sombre. Il était cepen­ dant impossible de pousser avec mon équipement. La hauteur de la galerie était si basse que, fût-elle à, sec, j'aurais aû ramper sur le ventre.

A 40 m de l'entrée, la paroi moite de la galerie se terminait en un pilier de rocher prof ondeinent immergé, en forme de presqu' ile, Revenant à angle aigu vers la droite, une grande galerie à fond de vase continuait, arrivant avec la même dimension de gauche, c'est à, dre du Sud. Pelletier et Collot, les Vésuliens qui en 1946, en une plongée risquée, avec scaphandre lourd et tirant tuyau d'amenée d'air, avaient atteint ce point, avaient vu ici une salle gigantesque; Grâce aux verres correcteurs de mon masque de plongée, j'estimai les dimensions de la chambre à 4 à 5 mètres ae large, 3 à 4 m de haut,

A la paroi gauche court toujours le fil de nylon. On m'avait assuré que les deux plongeurs sportifs de 1970 avaient ramené leur fil et pourquoi leuresquisse ne présentait-elle pas de bifurcation ? En tout cas, leur plongée s'arretait à une galerie se rapetissant de plus en plus, Je me détournait donc au fil en partant à droite, revins à angle droit, directement vers le Nord, à proximité du Frais Puits.
Gardant ma distance du bout des doigts, tout près du fond, tendant les mains en avant, soulevant à chaque battement de palmes des tourbillons de boue, crachant des essains de bulles d'air, je suivis le rayon lumineux de ma lampe dans l'obscurité de la galerie,, Le fond de vase épaisse est divisé en forme de pavés, phénomène que jusqu'ici je ne connaissais que dans les fentes de contraction des galeries d'argile desséchées.
Le plafond s'abaissait et cette galerie prenait fin avec une rapidité étonnante, Bifurquant vers la gauche, s'ouvrait un conduit dont la coupe s'applatissait bientôt en une lentille posée honizontalement, typique d'une caverne d'origine phréatique, entièrement immergée. Le long de la direction de l'écoulement principal, la fente s'élargit en deux couches de pierraille en forme de galerie.

Suite de plongée par tractions.
Longs rochers nus jaunes pales, recouverts de facettes continues en forme de coquillages ; le sol presque dépourvu de boue et de galets libres. Uniformément large mais basse, ce type de galerie devait me conduire désormais constamment vers le Nord. Traction par traction, le fil métallique de sécurité se déroulait à mon avant-bras, donnant la certituue d'une liaison permanente avec le monde extérieur, La lumière à, gaz fluorescent de 50 Watts inondait les parois de calcaire jaune, les manomètres des appareils respiratoires montraient que trés peu d'air comprimé avait été utilisé jusqu'ici. D'une légère pression du doigt sur la soupape de sécurité, je gonflai le costume de plongée séche et corrigeai le flottement dans la galerie. Les coups de palmes stabilisateurs me poussaient en avant.

Environ 150 m de fil étaient déroulés lorsqu'un puits en forme de fosse mis fin à l'avance horizontale, supprimant tout ind:ice ue continuation de la fente dans un joint entre deux couches.
Je braquai ma lampe et regardai dans cette cheminée obscure, circulaire d'un diamètre de 2, 50 m.
De petits lambeaux de limon se détachaient, mes propres bulles d'air montant comme des perles m'empèchaient de voir ; en haut, les parois semblaient sans fin. Etait-ce une cage d'ascenceur vers des espaces pleins d'air ?

Je me poussai dans l'espace libre, flottai horizontalement dans le puits, fis entrer de l'air comprimé dans ma combinaison. Poussée vers le haut de plus en plus rapide. Deux mètres, trois mètres, je levai la tête, Une vague d'air souleva ma capuche de plongée. Frein, Le puits montait encore un peu : mais ici s'ouvrait une fenêtre, la nouvelle galerie. Et au moins ici, il apparaissait nettement que mon bathymètre était en pause ; malgré le gain de hauteur, il restait inébranlablement à. 2,5 m,

Continuons dans la montagne. La galerie tombe légerement, 190 m de fil étaient déroulés quand, de droite, une nouvelle galerie spacieuse déboucha. De manière déconcertante son eau était troublée. Je constatai nettement deux mouvements : un courant faible venant de ma direction et un fort venant de la nouvelle galerie.

Encore 100 m dans la vieille galerie et de nouveau une bifurcation.Maintenar il s'agissait de faire attention. Je m'accrochai à une niche de la paroi et laissai mon corps dérivé lentement. Dans cette niche, il y avait un morceau de roc en forme de champignon isolé contre la paroi. La tête au Champignon était noire sans doute une sécrétion de bactéries protectrices contre l'usure calcaire, produit de métabolisme de micro-organismes oxydants le fer ou le manganèse. Vie en obscurité totale, production d'énergie à partir du rocher nu. En même temps fondement d'une vie lointaine, séjour privilié des niphargus, petites crevettes grise-blanches. Et en même temps, plot idéal pour y fixer mon fil métallique.

Je reviens en arrière. Peut être cette nouvelle galerie troublée était-elle un raccourci vers la doline du Frais Puits ou du moins vers la galerie principale antérieure.
Et de nouveau, surprise. La nouvelle galerie bifurquait au bout de 10 m.Venant de l'avant, débouchait un conduit d'adduction bas, d'où jaillissait de l'eau troublée. Avais-je causé ce trouble ? mais ou ?
Dans la galerie principale précédente ou dès ma descente dans le trou au Frais Puits ? Et d'où venait soudain ce puissant courant ? Y avait-il une solution simple ? Ce conduit croisait-il peut être la section de plongée et les bulles d'air qui montaient par les fentes avaient-elles arraché de la vase des parois ?
Un conduit interssant, mais pour mon paquetage, évidemiuent trop étroit...

Vers la gauche, descendant le courant, une galerie du volume habituel s'étirait vers le Nord. Je la suivis, m'enfonçant dans le roc. Poussé par le courant, je pénétrai dans une déclivité rapide analogue au puits de la fosse.

Et avançant de plus en plus, surveillant ma consommation d'air, respirant alternativement sur l'un et l'autre réservoir, je parcouru encore 100 m dans un boyau rocheux rectiligne. Jusqu'au bout, les dimensions de tout ce système phréatique étaient étonnement constantes : environ 3 m de haut et 1 m de large.

Point 300, De nouveau une bifurcation. L'un dans l'autre, la 8e possibilité de prendre une autre direction. La décision de retourner fut facile.
Je comprenais que la reconnaissance à elle seule de ces 4 canaux d'écoulement en direction du Nord ne pouvait être faite en une seule plongée. Impossible de dominer un système phréatique avec les 100 m de fil restant.

Retour, air plus que suffisant. J'avais le temps, Eau peu pro fonde, aucune menace pour la concentration et la résistance. Vue suffisante. Double sécurité d'orientation par le fil proprement disposé d'ans le boyau délimité, trés visible dans son ensemble. Les pellicules de vase soulevées du fond n'avaient pas fortement troublé l'eau. Et à chaque portion de trajet en arrière, la galerie se reconstruisait dans ma mémoire : j'avais gagné le jeu.

ET déjà, j'étais dans la galerie principale anterieure. Ici, noyé dans ses nuages de boue, aveuglé par ma propre lumière, dans un brouillard de millions de particules diffuses, il ne me restait qu'à suivre aveuglément et de confiance le fil métallique. Mètre par mètre, il glissait dans mes mains.
Sortie du mur de brouillard, eau de source claire. J'étais à la bifurcation de la galerie d'entrée basse, à 40 m de la lumière du jour.

A vrai dire, j'aurais bien. aimé mettre de nouveau la tête hors de l'eau. Mais j'avais encore 100 m de fiil pour continuer à reconnaître le terrain. Certes, jusqu'ici je n'étais descendu nulle part plus bas que 6 à 7 m au dessous du niveau de l'orifice d'entrée, C'est pourquoi la consommation d'air était faible, les manomètres indiquaient encore 85% de la pression initiale.
Mon projecteur plongeait dans la grande galerie sombre partant vers le Sud, me montrait le fil de nylon. Je suivi celui-ci, mon fil métallique se déroulait.
En direction du Sud également, prenait bientôt fin la vaste dimension de la galerie principale ? Au bout d'environ 30 m, le fond de vase s'était relevé en une rampe de 3 m de haut. La largeur au plafond se maintenait. Cependant une arrête rocheuse descendant au plafond en son milieu partageait le chemin. Dans le bassin de gauche, les bouteilles métalliques frottaient finalement contre le plafond, mes accus de plomb laissaient un sillon profond dans la vase. Cependant un bassin plus profond s'ouvrait bientôt, Puis le plafond remontait par paliers, sortait de l'eau. Sur 12 à 15 m, la plaque de rocher bien délimitée s'étendait à un ou deux mètres au dessus de l'eau. Une chambre toute en longueur, en forme de caisse, à fond de vase, au milieu, de l'eau à hauteur de genoux,

La corde ae nylon était fixée à la paroi gauche ; la galerie faisait un angle à droite et plongeait de nouveau. C'est dans ce chemin creux spacieux, semblable à une tranchée, que se terminaient mes 100 m de fil. La corde de nylon cependant continuait plus loin, franchissait une coulée de vase, enjambait unpuits d'effondrement, courait juste sous le plafond sur environ 5 mà travers une fente plate et émergeait . Un hall élevé, en forme de diaclase.
Une pente de boue abrupte avec des traces de pas l'escaladant, C'est ici que mes prédécesseurs doivent avoir déposé leur matériel de plongée et essayé de continuer à pied.

 

Avec ceci se terminait la plongée au samedi.
Tranquillement, je revins à l'entrée. I1 était remarquable, que dans le secteur de l'entrée, l'eau s'éclaicissait au fur et à mesure que j'approchais de l'entrée de la doline, Finalement, immédiatement à l'entrée, l'eau était aussi transparente que dans les parties vierges de la caverne.

Les montres de ceux qui attendaient indiquaient 1 heure et 6 minutes d'abscence. D'aprés mon estimation personnelle, il y avait plus de 2 heures.
De M.Baptizet, j' appris que le fil de nylon posé dans la caverne ne pouvait provenir que de deux plongeurs suisses dont le véhicule avait été vuquelques temps auparavant aux abords au Frais Puits.
Aucun renseignement n'a cependant pu être obtenu sur cette tentative hypothétique, Par contre il semblerait que ce fil appartienne aux plongeurs SHAG Besançon. Ce détail étant inconnu à l'époque de la plongée d' Hasenmnayer.

Deuxième plongée. La deuxième plongée était prévue comme l'entreprise principale. Les conditions étaient encore plus favorables que le premier jour, car l'axe de pénétration était déjà assuré sur 160 m par fil métallique et fil de nylon. Evidemment, restait l'incertitude de savoir si le chemin conduisant hors de l'eau n'était peut être pas le seul accuessible, car dans les siphons, peu de voies doubles sont franchissables en même temps. C'est pourquoi j'emportai "seulement" avec mo 400 m de fil métallique.

Lors de cette deuxième descente, je vis dans le secteur de l'entrée de petits poissons complètement dévorés, Ils étaient pour ainsi dire dans une mangeoire, accompagnés de grands niphargus blancs également entièrement dévorés, Plus loin, je fus frappé de voir combien est bas le plafond de la galerie d'accès dans le secteur du carrefour. Ici j'emplis une bouteille échantillon de l'eau pure du siphon et la déposai là jusqu'au retour.

Passage du double couloir du coté droit.

Là, la section transversale est plus spacieuse. Peu avant le point d'émergence dans le hall, je fixai le nouveau fil au bout de l'autre. Et en avant en profondeur, direction au Sud.

Sous 5 m d'eau, le puits s'ouvrait sur un conduit, ce cunduit s'étendait alors avec une section constante d'environ 1/4 m2 en forme de forge ou de tube sur environ 170 m, Le sol était absolument sans boue ni débris, Complètement entouré d'un espace proportionné aux dimensions du corps, enfermé dans des surfaces calcaires décorées de dalles de corrosion, je me déplaçais avec des sentiments trés agréables à travers une petite reproduction des canaux d'écoulement de la veille. Mais ici, il y avait un courants quoique très faible. Ici également, une laque noire des cavernes recouvrait les saillies rocheuses. Dans ces abimes rocheux vierges, on pouvait bien observer la zoologie des siphons : des niphargus, crustacés cavernicoles effrayés par la lumière et l'ébranlement inhabituel de l'eau, se laissaient tomber du plafond pendant que des sortes de cloportes, comme ue petites chenilles blindées, continuaient tranquillement leur chemin. Certains avaient attaqué les niphargus, ce qui faisait faire à ceux ci des sursauts convulsifs et des danses de St Guy.

Encore une observation : sous le corps de grands "cloportes blancs" se trou vaient de petits "cloportes" noirs, à demi dissimulés dans la cavité abdominale de ceux ci...

En eau peu profonde, sans possibilité de m'étirer, avançant en m'appuyant et en me tirant en avant, je franchis au bout de 140 m, une poche d'air de 10 m de long, en forme de diaclase et de la hauteur d'une tête. Puis j'atteignis la sortie débouchant dans une large galerie transversale boueuse. Le silence profond de la montagne n'était troublé que par le glouglou des bulles d'air expirées et par le sifflement des appareils respiratoires.
Le rayon de la lampe plongeait dans des lointain sombres. Où celà conduisait-il dans la montagne ? Fallait-il tourner à gauche ou aller tout droit ? Déjà le brouillard de vase montait. Dans les deux directions la section de la galerie semblait à peu près la même. Une disposition au courant laissait deviner un léger souffle venant de l'avant, du Sud.
Il faut ajouter ici que l'eau du Frais Puits ne présente en aucune phase des plongées la transparence idéale que doit avoir de l'eau de source claire, une légère souillure, causée vraisemblablement par des actions superficielles est nettement visible.

J'avançais maintenant en montant doucement sur un large sol boueux creusé de petites dépressions. Je croyait à ce moment à un nouveau système spéléologique indépendant de celui qui avait été exploré jusqu'ici. L'explication toute proche ne me venait pas à l'esprit. Au bout d'environ 30 m, le plafond disparut et un miroir argenté s'y raccorda. J'avais atteint des espaces pleins d'air.
Le sol lui aussi continuait de monter, aboutissant au sec. Les lumières du casque, émergeant de l'eau, perçaient le brouillard de mon haleine et aussi loin qu'elles portaient, éclairaient une longue galerie sombre, d'aspect attirant, Un bruissement d'eau assourdi venait au lointain. Ici semblait se terminer la pénétration en plongée, car il était clair qu'avec mes réservoirs de 30 kg et le reste de mon équipement, avec les palmes aux pieds, je ne pourrais pas effectuer le transport jusqu'à, un éventuel siphon ultérieur. Je m'assis dans la vase, enlevai de mes épaules mon appareillage, détachai la courroie de marche et les tuyaux de liaison avec la combinaison de plongée et retirai les palmes de mes bottes. Je remontai le lit étroit du ruisseau boueux. (Avenue du Marais)
Au bout de 30 m je trouvai un gradin de vase par dessus lequel l'eau bruissait avec environ 15 litres/sec. Derrière celui-ci, l'eau s'amassait et s'élargissait en un lac. Au plafond pendait ici un petit tube de concrétion de 15 cm, aux parois quelques formations simples ae concrétion.

Dans le secteur de ce bief, la vase était particulièrement molle et profonde et il me fallut, à l'aide des jambes et des pieds utilisés cowure large base d'appui, glisser sur les genoux. Le lac occupait bientôt toute la largeur de la galerie. Un virage aigu à droite, vers l'Ouest. Là, le courant avait chassé la vase. Sous le plafond bas, vouté en forme de coupole, des parois de roc enserraient le lac circulaire et profond. Là, en arrière s'ouvrait sous l'eau le large portail d'un siphon. Je nageai jusque là, retins ma res piration, plongeai en luttant contre la poussée de ma combinaison, n'avançai de quelques mètres sous le plafond à l'intérieur du siphon. Mais le plafond et le fond descendaient ; le siphon de 5 m de large et 3 de haut s'enfonçait directement avec un sol couvert de vase.

Nulle part dans le système Sud, je n'avais encore atteint le sol original de la caverne, le fond rocheux. Par contre,les dimensions en largeur estimée d'après les parois s'enfonçant dans la vase étaient de 4 à 6 m.
Il rstait une autre possibilité de progression : la galerie partant à gauche au débouché du conduit. Je revins en arrière en pataugeant, passai les courroies dorsales de mes appareils après avoir mis les bouteilles d'acier debout dans la vase et m'être assis devant elles, saisis mon fil de sécurité bien fixé et m'avançait aveuglément à tâtons à travers le bouillon d'argile opaque. J'arrivai à l'endroit où le fil était fixé à une saillie de la paroi. C'est ici, qu'à ma droite devait commencer la nouvelle galerie. J'attachai et nouai un nouveau fil à l'ancien de sorte que l'extrémité libre fût dirigée vers la sortie de la caverne. Je cherchai au fond le milieu de la galerie et m'avançai mains à mains dans de l'eau plus claire, m'attendant à de nouvelles surprises. Bientôt les dimensions de la galerie devenaient visibles, plus hautes et plus étroites que les précédentes. Venait ensuite- maintenant par visibilité normale- un trou de vase à déclivité abrupts au fond duquel de tout petits galets gisaient, indice certain d'un courant puissant de temps à autre. De l'autre coté, cela remontait tout aussi abruptement, un nouveau point d'émergence était atteint. La pente de boue abrupte se continuait au dessus de l'eau. Une galerie de faille spacieuse était trouvée. De celle-ci, des traces profondes de pas descendaient jusqu'au niveau de l'eau ... Maintenant tout me devenait clair. Les explorateurs suisses (voir NdT précédente) étaient parvenus jusqu'ici alors que j'avais traversé le segment émergé par dessous en plongeant dans le conduit rocheux. Ce conduit représente le déversoir normal de la caverne alors que la crue fait son chemin par la "Suisse". que devais-je faire ? Visiter les secteurs émergés déjà parcourus ou utiliser la capacité de pénétration que j'avais encore pour m'enfoncer plus profondément dans la caverne ? Cela supposerait un transport ae matériel à travers le lit de boue du ruisseau.

Je fixai mon fil et me glissai vers l'arrière. Ca, allait lentement. Les yeux fermés, je cherchai à tatons la bifurcation, sentis la pointe du fil indiquant la sortie et nageai vers la gauche, m'enfonçant dans la montagne en direction du secteur émergé que j'avais découvert.Parvenu au sec, je retirai les cosses de ma batterie d'accus, éteignant ainsi ma lumière halogène et au faible reflet de mes deux petites lampes de casque, je me mis a l'oeuvre pour surmonter la barrière de vase sans doute insondable. Rendant quelques instants je restai debout chancelant sur mes palmes, les 30 kg de mon appareillage sur le dos, plombs, accus au plomb et accus au nickel-cadmium à la ceinture. Puis je me mis a genoux. Je rampais sur la vase la fouillai, m'y enfonçais, la pétrissais et y nageais le crawl, une bataille matérielle sans pitié : mobilisation générale de tous mes muscles, de toutes mes fibres.

La mise en action totale de la totalité des groupes musculaires assurant la glycémie sanguine contre l'étreinte aspirante des masses de boue montant comme une digue d'une profondeur insondable. Le long accu ventral en plomb se révéla particulièrement gènant : une ancre s'accrochant profondément.
Des pauses haletantes.
Et de nouveau le conglomérat homme-matériel se vautrant de tout son long pour poursuivre son chemin.

Puis la paroi rocheuse est à portée, Possibilité de se glisser, de se tirer au long d'elle.
Enfin de l'eau de retenue autour de moi. De l'eau portante, aidant les mouvements, de l'eau à hauteur des chevilles. Le chemin est fait dans une direction, En tout cas, je reviendrai toujours, volontairement ou non, Respiration lourde, mais sec dans la combinaison. Libéré de toute pesanteur terrestre, je flottais étendu dans le lac, Les pieds au fond, me balançant légèrement, les bras écartés, la tète dans l'eau.
0h, mère de toute vie : de l'eau pure.

Le fil était tendu ; il n'y avait plus qu'à faire un petit mouvement en avant, à connecter les appareils automatiques de respiration, les manomètres. Puis après avoir expulsé l'air de ma combinaison, je me laissai couler au fond du siphon.

Galerie profonde, moins 2 m, moins 3 m.
Parois rocheuses, mais toujours de la vase au fond, Tombant constamment je m'enfonçai.

Moins 5 m, moins 6 m. Distance : 20, 30 mètres.

Le fond rocheux originel apparut. Et déjà la galerie s'enfonçait presque verticalement par dessus des fissures, des fentes et des rigoles. Je suivais, freiné par des coups d'air dans la combinaison, me guidant tranquillement à l'aide des bras et des jambes étendus. A moins 16 m, j'atteignais le fond du puits. Y faisait suite un secteur d'environ 30 m de long qui au dessus d'un fond rocheux descendait juste à 20 m.

Le profil du caisson est d'environ 6 m de haut et 5 m de large, vraisemblablement la taille maximale de siphon du Frais Puits, Puis venait un coude brusque à gauche, dans la direction de pénétration originelle Sud. Doucement et régulièrement, la galerie en forme de crypte montait. Le sol redevenait boueux ; des morceaux de roc isolés, rouges en dents de scie, en sortaient et furent utilisés pour y fixer le fil métallique.

Changement d'appareil automatique.
Je me trouvais à 500 m dans le siphon et n'avais toujours pas de préoccupa­ ïlons graves. La profondeur continuait de diminuer. Le volume - 4 m de large 5 m de haut - restait constant.

Les spires de fil diminuaient dans le dernier rouleau. Cependant, le fil se déroulait difficilement, la soudure du bâti avait laché, le chassis se res serrait. Je devais sortir prudemment spire après spire. Je tendais le fil en arrière. A tout moment, je m'attendais à voir la surfaoc au dessus de moi. frais le fil était à bout. J'en avais utilisé 200 m, dans le conduit rocheux et jusqu'au ruisseau de boue, 20 m dans la liaison transversale avec la "Suisse". 180 m de fil se trouvaient donc dans ce siphon. Et voilà que maintenant il manquaient quelques maudits mètres.

Je m'élevai haut le long de la paroi ; la bathymètre indiquait 2 m. Je détachai l'extrémité du fil, revins en plongeant, libérai les spires autour des blocs du fond, tirai le fil derrière moi. Prudemment, pas très énergiquement et sans beaucoup de conviction. Pourtant je gagnai quelques mètres. Encore une fois au bout du fil. La paroi en haut. Je croyais devoir apercevoir la surface de l'eau. Puis la vase monta ; il fallait atteindre l'extrémité du s iphon. Mais parcourir sans fil les quelques mètres conduisant à l'air libre ?

Ne courir aucun risque. Le retour serait un jeu de colin-maillard.
J'attachai le fil à une saillie et en toute quiètude et pris le chemin du retour. Je n'avais consommé crue 1/6 de ma provision totale d'air. Cette incertitude glorieuse etait une bonne fin.

Sans doute avais-je découvert une galerie de siphons arrivée à maturité, dont l'ordre de grandeur dépasse celle de la "grotte de Falhenstein". La capacité d'écoulement, mesurée aux érosions respectives, devrait être deux fois plus grande, et même, si on prend tous les facteur d'incertitude du coté positif. Cette caverne pourrait-elle peut être suffire éventuellement, à approvisionner le Frais Puits ?

Tranquillement ,j'arrivai au bout des 180 m de siphon. J'avais toujours encore beaucoup d'air. Le piétinement de retour à travers le ruis seau de boue resta éreintant, même si dans le sens de l'aval ça glissait un peu plus facilement - plus sur le ventre que sur les genoux. Le palier de barrage fut un palier de glissade.
Encore au sec, je retirai mon casque et remontai un peu la bande de caoutchouc de mon masque de plongée pour diminuer la pression éprouvante de la fermeture éclair sur ma nuque douloureuse.De nouveau sous l'eau; crépuscule trouble, Tâtons, glissement au fil entre les doigts.

Le conduit était atteint. De l'eau étonamment claire au bout de 40 m déjà, sans doute aussi illusion causée par la proximité des parois. La visibilité ne dépassait pas sans doute 2 à 3 m. Mais ensuite mon masque de plongée eut de plus en plus des vélléités d'indépendance. Il me fallait constament expulser l'eau qui s'y infiltrait. Il était déjà à demi détaché de ma tête. Je ne pouvais aller plus loin ainsi. Il me fallait agir ici où je pouvais m'appuyer et me cramponner avant d'arriver clans les galeries boueuses plus dangereuses, se troublant rapidement.

Donc se cramponner solidement, détacher le casque, coller le masque de plongée au visage en inspirant par le nez, soulever le casque porte-lumière et l'enlever.
L'éclairage était amusant d'en bas, je restais à l'arrière plan obscur et d'autres couleurs, des trous sombres, brun-rouge, dominaient. Maintenant fixer le masque, avec les doigts gantés de mousse, tâter la nuque. La bande de caoutchouc au masque de plongée ne s'était pas cassée, l'excès d'air dans la coiffe l'avait progressivement soulevée et fait pousser par dessus le crâne : la retendre en arrière. Ensuite enfoncer la manchette de la coiffe proprement par dessus le masque. Le casque. La bande d'attache.

Tout collait, comme dans une représentation bien étudiée. Lentement, en toute sécurité, coup de palme sur coup de palme, je gagnais du terrain, refaisais le chemin vers le premier point d'émergence. Maintenant, je reconnaissais clairement ici aussi le courant dans l'eau calme.

Au croisement antérieur, je détachai la bouteille-test de la ficelle, en passai le noeud calant dans mon petit doigt. Cette fois, l'eau clans le secteur d'entrée était trouble. Cela venait-il du poids de nombreuses personnes sur le talus de sable ?

Barbara raconta plus tard que Jean Baptizet, après qu'elle lui eût confié ses craintes au sujet d'un glissement de sable dans la chatière d'entrée assez étroite, renvoya sans cesse les curieux à distance respectable au trou. Quand l'attente approcha la limite des 2 heures, des regards de sympathie se tournèrent de plus en plus vers ma femme.

En même temps, dans le murmure général de la foule, on percevait clairement une tendance croissante à jauger la limite des deux heures. Le franchissement de ce "mur du temps" fut vécu à un rythme de plus en plus rapide et les respirations des spectateurs, anxieux, s'accéléraient._ Applaudissements spontanés de détente : les premières bulles d'air éclataient.
Puis apparut, tâtonnante, la, main noire du gant de mousse, un bras, le casque porteur de lumière, les épaules se glissèrent par le trou.

Applaudissements frénétiques, cris de joie et hurlements. Avec mes appareils sur la nuque, sur l'abrupte pente glissante, je n'arrivais pas à lever mon visage de grenouille. Cela ne fait rien.Pièce à pièce, j'enlevai mon équipement. Puis je me dressai dehors, entouré de tout près, pressé contre l'eau.

J'essayai. avec des mots français simples, compréhensibles de tous, d'exposer mon savoir. La caméra de télévision ronronnait, des déclics d'appareils photographiques résonnaient.

" J'ai fait 500 m sous l'eau". Nouveaux applaudissements en tempête...

...Réservoirs d'accus recouverts d'un enduit jaune clair, étui des pinces obstrué de glaise, appareillage enduit d'argile, porté ensuite sur le dos de M..Papillard. Par ailleurs, mousse noire trempée, l'eau trouble le coin sombre de la doline, la pente de sable brun-rouge couverte de traces de pas, paroi d'un vert grisatre, entrelacs de plantes d'un vert­ noir et toute une foule de gens aimables, serviables...

Jochen HASENMAYER

Les explorateurs du Frais Puits

  • 23 0ctobre 1938 Nestor GLOCKNER
    plongée de 12 minutes - 15 mètres reconnus
  • 6 mai 1946 Jacques COLLO;
    Roger PELLETIER
    2 plongées successives - 40 mètres reconnus
  • 1956 Guy d e LAVAUR
    renonce en raison du manque dle visibilité des eaux
  • 19 avril 1970 Jean Claude FRACHON
    Pierre PETREQUIN
    plongée de 20 minutes - 100 mètres reconnus
  • 1972 SHAG Besançon
    environ .300 mètre: reconnus
  • 4 et 5 Novembre 1972 Jochem HASENMAYER
    plongées de 1h10 et 2h06 - 800 mètres reconnus
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le masque de plongée de N..GLOCKNER, premier explorateur du Frais Puits (1938)

MAI 1946 tentatives
R. PELLETIER - J. COLLOT

 

4 et 5 Novembre 1972 HASENMAYER
pendant ses préparatifs
au poignet du plongeur allemand, l bidon destiné au
prélèvement d'eau à
l'intérieur du siphon