Goul de la tannerie



Récit (frayeur)


Yves Segond de la société Spéléologique de Namur (Belgique) -1984.
Le plongeur connaît la source jusqu'à 400m de l'entrée, il y a déjà plongé à 3 reprises.

(…) Après l'étroiture (120m), je commence ma progression en solitaire. Je dispose d'un 2 x 7l et mon mano m'indique 180 bars. Parti avec 210 bars, si j'applique la règle des tiers, je dois faire demi-tour à 140 bars.
Arrivé à la fourche séparant la galerie en deux (290m), j'opte pour le passage de droite, ayant déjà eu l'occasion de passer par la gauche.
Je dispose d'un Aqua-Flash plus un second en réserve. Malgré l'exceptionnelle clarté de l'eau, je ne vois que le fil d'Ariane et la section de la galerie se découpant dans un halo bleuté. Tout se passe pour le mieux, je me sens bien, le matériel est au point et ne me gène pas. Je m'applique donc à suivre le fil et à surveiller mon mano.
A 150 bars, je décide de faire demi-tour, je pourrais encore consommer 10 bars, mais en siphon on n'est jamais trop prudent.
Au retour, l'eau a perdu sa limpidité, et plus j'avance, plus elle se trouble pour devenir franchement sale.
Il n'est plus question de lâcher le fil si je veux retrouver la sortie…
Après dix bonnes minutes de progression dans ce " Beh-beh ", je m'étonne de ce phénomène que je n'avais pas remarqué lors de ma précédente plongée.
Mais il est vrai que le siphon a été très fréquenté cette semaine et nous avons sans doute décollé la " pulpe " du plafond.
Et puis c'est la surprise ! alors que je me croyais aux abords de l'étroiture, je suis au-dessus du ressaut de 8m, à 400m de l'entrée. Mon manomètre indique 100 bars. Que s'est-il passé ?

Je ne vois qu'une seule explication : à l'aller, je n'avais pas vu que je rejoignais la galerie principale et, alors que je croyais progresser vers le fond, je revenais dans la deuxième galerie ; ainsi quand j'ai fait demi-tour je me suis enfoncé vers le fond.

Maintenant il s'agit de revenir et surtout de ne pas paniquer, mais un flot d'images se déverse dans ma tête, l'angoisse s'empare de moi et me fait respirer trop vite. Heureusement je me ressaisis, après tout, en faisant un détour, j'ai consommé 110 bars pour venir ici. Les 100 bars qui me restent devraient suffire si je n'ai pas de problèmes au retour.

Or, après un bon moment de progression sans encombre, le doute me saisit ; je me dirige à nouveau vers le fond ! Comment cela est-il possible ?
Je n'en sais rien, mais j'en suis sûr. Je reviens donc en arrière et me retrouve au carrefour des trois fils.
Je suis complètement désorienté, je ne sais plus d'où je viens et surtout pas où aller. Je regarde mon mano : 60 bars. Où suis-je ?

De toute façon c'est foutu ! j'ai quarante minutes de plongée et il me reste moins d'un tiers de mon air. Je ne sortirai pas d'ici vivant. Je suis à deux doigts d'une nouvelle panique, mais à nouveau heureusement mon instinct de conservation l'emporte.
Il faut coûte que coûte choisir un fil et le suivre jusqu'au bout en espérant que ce soit le bon. Je dois économiser mon air au maximum mais cela n'est guère facile avec cette angoisse en travers de la gorge.
Il me reste un espoir si je suis sur le bon fil. Dehors Gérard doit certainement s'inquiéter et sans doute va-t-il venir à ma rencontre, auquel cas je pourrai m'emparer de son deuxième détendeur… 30 bars. Suis-je sur le bon fil ?

Oui, je reconnais à présent de gros galets noirs qui se trouvaient près de l'étroiture, enfin un point de repère, cette fois je peux m'en sortir.
Encore quelques mètres et voilà l'étroiture. Ma respiration sur le coup se fait plus pressante, mais rien n'est encore gagné, il faut que je me calme car je suis toujours seul à 100m de l'entrée avec moins de 25 bars et je sais que la galerie qu'il me reste à parcourir est semée d'embûches qu'il faut contourner.

Je me tire sur le fond au maximum pour économiser mes forces donc mon air. Je viens de passer le cap fatidique des 5 bars lorsqu'une lueur bleue familière m'éblouit. Jamais je n'avais été aussi content de la voir, mais jamais non plus jusqu'à ce jour je n'avais douté de la revoir.
Je crève la surface un bras en l'air en faisant le signe OK de ma main tendue.

Pour Gérard aussi qui se préparait à partir à ma recherche, c'est un grand soulagement. Tout est bien qui finit bien après 1H05 de plongée.

L'heure est maintenant aux leçons à tirer d'un tel incident, elles sont nombreuses :

1) je n'avais jamais pris mon cap lorsque je me suis enfoncé sous l'eau et jamais au cours de la plongée je n'ai songé à utiliser ma boussole.
2) Le fil n'était ni métré, ni fléché, ni repéré, mais le parcours semble tellement évident que la chose ne m'a jamais inquiété avant.
3) Je n'ai pris aucun point de repère à l'aller, rien ne me permettait donc de m'orienter au retour.
4) Heureusement que tout mon matériel était parfaitement en ordre et que je ne me suis pas pris dans le fil car le moindre pépin supplémentaire m'aurait sans doute été fatal.