Emergence de Goule Noire

Une première sortie et un plâtre

 

Après la résurgence du Cholet et quelques tentatives sur le plateau de la forêt de Lente, qui n’ont pas abouti, notamment au scialet des Satyres, nous avons décidé, pour fêter la création de notre association " les fils d’Ariane " ( comme père et fils ), de porter notre attention sur l’émergence de Goule Noire, située sous le pont du même nom, dans les gorges de la Bourne, dans le Vercors. Cette émergence possède un débit d’étiage annuel de 0,3 m3/s, un débit moyen de 1,5 m3/s, et des crues pouvant atteindre 34 m3/s. Elle est, du point de vue hydrologique, la seconde du Vercors, après Bournillon ( voir page 51 de " Spéléo dans le Vercors " éditsud.

C’est encore Fredo Poggia qui détient, depuis 1988, le terminus dans le S5 arrêt sur autonomie, à 220 m, prof. -17 m

Une première plongée a été effectuée en reconnaissance, par Stéphane ROUSSEL, David BIANZANI et Laurent YLLA en fin d’année 2001 jusqu’au départ du S2. La progression se fait à l’intérieur de diaclases, inclinées et verticales. Il est décidé d’y revenir plus tard, pour équiper en corde, les passages difficiles.

Nous nous retrouvons en ce jour du 05 janvier 2002, avec Stéphane, Laurent, Gaby HUDE et Xavier MENISCUS, en l’absence de David, parti en voyage de noce au Mexique, plonger dans les eaux chaude des Cenotes, au Mexique. Car aujourd’hui il fait très froid, au moins 10 degrés en dessous de 0 et il nous faut une certain dose de courage, ou de folie, pour nous déshabiller et enfiler nos combinaisons en Néoprène gelées. Mais nous savons, qu’à l’intérieur il fera plus chaud.

G. Hude, S.Roussel
 

Avec ce temps sec et froid, le niveau des eaux est relativement bas, et nous commençons notre plongée dans le premier siphon, long d’une soixantaine de mètres. Nous sommes partis en léger, avec chacun, un bi 4 litres. Je comprends tout de suite d’où viens le nom de Goule Noire, du fait de la couleur très sombre de la roche. Dès la sortie du S1, je me rends compte de l’étroitesse du milieu, et j’envie certains d’entre nous, qui sont équipés à l’anglaise. Avec Steph, nous installons des cordes dans les diaclases verticales, pour pouvoir atteindre le S2, dans le bruit de cascades d’eau qui coule autour de nous. Une fois tous les 4 arrivés, en haut, nous faisons attention à un puits vertical, où s’engouffre l’eau, qui coule du S2. Nous y installons une main courante, pour le franchir. De là, nous commençons notre progression en plongée. Steph part devant avec un dévidoir et je le suis pour accrocher le fil derrière lui. Suivrons plus tard Gaby et Laurent, le temps de rééquiper le S2 et S3, car le fil de Fredo a été complètement arraché par la puissance des eaux. De nombreux points d’amarrages naturels facilitent notre progression. Par 2 fois, le fil s’emmêle dans le dévidoir, et à mi chemin, dans le S3, nous changeons de touret, le premier étant vide. Tout cela prend du temps, et nos petites bouteilles se vident rapidement à la profondeur de -14 m. Mais, après avoir déroulé 150 m, dans le S2 et S3, nous sortons enfin la tête hors de l’eau, et découvrons une grande galerie et un mur d’eau devant nous. Nous décidons de déposer nos bouteilles, et de continuer jusqu’au départ du S4. La roche est toujours aussi glissante et noire et l’escalade de la cascade en est rendue plus difficile, surtout en l’absence de corde. Nous savons qu’il faudra revenir, pour en installer une, le jour de la pointe. Nous montons comme nous pouvons, avec l’eau de la cascade qui nous tombe dessus. Nous sommes obligés de garder nos masques de plongée sur les yeux, pour réussir à voir quelque chose. A mi chemin, nous rentrons dans une nouvelle diaclase, et Steph continu seul l’escalade pour apercevoir plus haut, le départ du S4. Mais il commence à ce faire tard, et nous rebroussons chemin. Le retour ce fait plus rapidement et je profite un peu plus du site en plongée, n’étant plus concentré sur la pose du fil. Je prends même un peu de temps pour explorer un peu plus les siphons 2 et 3. En sortie du S2, il nous faut toujours, faire attention au puits vertical et nous commençons la descente de la diaclase. Et c’est là que les choses ce gâtent. Je passe le dernier, et commence ma descente. Gaby étant parti sur la droite, Laurent sur la gauche, je décide de passer par le milieu. Là, est mon erreur. Arrivé en bas, je me retrouve les pieds dans le vide, à un mètre du sol, sans aucune prise pour me tenir. Je cherche désespérément un appuis où poser mes pieds, et demande aux autres de me donner un coup de main, mais dans le bruit des cascades d’eau, personne ne m’entends, et avec le poids des bouteilles et des plombs, je finis par lâcher prise, sur un sol qui n’était pas tout à fait plat !

A la réception, j’ai senti une vive douleur me transpercer la cheville droite. Mon pied venait de rentrer dans une petite marmite de géant. Sur le coup, personne ne fit attention à mes cris de douleur, et très vite, je pris conscience de la gravité de ma blessure, surtout à l’endroit où nous nous trouvions. Je n’arrivais plus à poser le pied par terre. Je savais, que j’avais au moins une grosse entorse, et que maintenant, il me fallait continuer, dans ces conditions douloureuses.

Avec l’aide de Gaby, je continue difficilement sur le chemin du retour, me reposant souvent, épuisé par la douleur qui me transperce la cheville, mais je sais qu’il me faut rentrer le plus vite possible, avant que ma cheville ne se refroidisse trop. Dans ces moments là, on ne fait plus attention à sa combinaison, et qu’il est bon de se faire glisser sur la roche dans les passages étroits ! Il ne me tarde qu’une seule chose en cet instant, c’est de retrouver l’eau du S1, pour me débarrasser de l’apesanteur, et sortir.

La plongée fut plutôt un repos pour moi, et en sortant la tête de l’eau, je retrouve Steph et Laurent, partis devant, qui plaisantent sur le temps qu’il m’a fallut pour rentrer. Je leurs apprends ce qui m’est arrivé et très vite, ils s’organisent, pour assurer ma sortie et me ramener aux voitures, plus haut sur la route. Une fois Gaby sorti avec le reste du matériel, que je n’ai pus prendre avec moi, ils se répartissent mes charges, et nous remontons péniblement, j’appréhende le moment ou il va falloir se déshabiller car il fait toujours aussi froid dehors et il me faudra retirer mes chaussures et ma Néoprène avec ma cheville qui me fait de plus en plus mal et que je n’arrive plus à bouger.

Finalement, tout cela ce passe plutôt vite et bien, et nous rentrons sur Valence rapidement, pour que je puisse passer des radios qui montreront une belle entorse, qu’il me faudra plâtrer.

Je culpabilise, car j’ai fais une grosse erreur. Il nous faut maintenant revoir nos objectifs pour la pointe de la semaine prochaine, qui ce fera à trois et sans moi, et donc, avec un peu moins de bouteilles que prévu.

 

Xavier MENISCUS

 

 

Le jour de la pointe

Compte rendu d’exploration jusqu’au Siphon 5, Vendredi 11 janvier 2002

 

Il est 10h30 lorsque nous arrivons au bord de la vasque du S1, chargés comme des mulets. Nous nous équipons, Laurent, Gaby et moi, assez rapidement, motivés par la découverte qui nous attend. Le 1er Siphon ( 50 m ; -12 m ) passé, nous enchaînons péniblement notre progression dans un profil de faille inclinée à 30°, lentement mais sûrement, et les rétrécissements nous ralentissent beaucoup, avec nos charges sur le dos. Au pied d’une cascade de 15 m de haut, à 150 m de la sortie du S1, nous sommes obligés de hisser nos bouteilles, une par une, pour arriver au départ du S2. Nous perdons pas mal de temps et d’énergie, sur cette progression. Les pieds dans l’eau du S2, nous redonne du courage, pour la suite, Après un cours repos, nous plongeons. Les parois du S2 défilent, toujours aussi noires. Les 60 m passés, on progresse ensuite dans un couloir aquatique de 50 m pour trouver le départ du S3, dont le fil descend à la verticale. Un puits noyé nous attend. Quelques bavardages entre nous, pour vérifier que tout va bien. Nous ne nous attardons pas trop, car l’eau est à 7°C ( gla ! gla ! ). Le siphon 3 est une grosse conduite forcée, les parois sont à peine visibles ( 70 m, -12 m ). La sortie se fait dans de la mousse de crue et dans un vacarme, dû à la cascade de 30 m, qui nous amène à +80 m par rapport à la vasque d’entrée. L’ascension est difficile, dû à la roche très glissante. Une erreur dans le cheminement de cette cascade, nous retarde encore un peu plus. Nous perdons presque 2 heures à la franchir. La recherche de la suite du réseau à travers la trémie suspendue, ne pose pas de problème, à l’inverse de nos pronostics. La brassée des bouteilles, à travers les blocs, défilent comme par routine. L’effort achevé, nous faisons une pose casse-croûte, devant nous, la galerie est énorme, presque circulaire ( 10 m x 8 m ). A partir d’ici, nous changeons complètement de configuration de réseau. Une fois notre repos écoulé, nous nous remettons au portage, en faisant attention à ne pas glisser, car quelques plaques de glaises commencent à apparaître. La galerie qui suit la trémie est longue d’environ 100 m pour trouver ensuite le siphon 4, dont il va falloir équiper en fil d’Ariane. A cette endroit, le plus dur de l’exploration a été faite. Nous allons progresser maintenant dans du gros volume, horizontal ou presque. Je ressens une poussée d’adrénaline qui me redonne un coup de fouet. Je remotive tout le monde, et d’un coup de dévidoir, nous passons ce nouveau verrou liquide ( 120 m, -8 m ), que Fredo Poggia découvrit en 1979. A partir de cet instant, nous ne sommes que 4 personnes, à avoir exploré la suite du réseau. Nous progressons dans ce dédale de galeries, dont une est fossile, et l’autre suit le cours actif du réseau ( 150 m ), pour trouver ensuite le départ du siphon 5, qui est large et grand : une beauté de la nature ! J’envie Gaby qui va partir en pointe, dans cette inconnue, cela me rappelle quelques souvenirs, dont l’exploration du S4 du Cholet, mais cette fois ci, Xavier n’est pas là, à cause d’une cheville plâtrée. Devant le siphon, nous installons le point chaud, et une pause ravitaillement s’impose, pour éviter tout problème pour le retour, mais surtout pour Gaby, qui va partir seul, dans l’inconnu. Nous préparons lentement le scaphandre dorsal avec les trois bouteilles de 6 litres alu. Cela devrait passer, je pense. Une fois le tri 6 sur le dos, Gaby me tend le dévidoir, avec ses 450 m de fil de 2 mm, pour que je puisse l’amarrer sur un bec rocheux, juste au dessus de la vasque. Le S5 a été plongé par Fredo en 1988 sur 220 m ; -17 m avec arrêt sur autonomie. Gaby s’engage dans la vasque avec la rage au ventre. Un petit signe de la main et le voilà parti pour 1h30 de plongée et pour une belle première, derrière. Je garde encore en tête, l’image du départ, dans les eaux cristallines du S5, éclairées sous l’eau par les puissants phares du plongeur de pointe. Je félicite Laurent, qui a progressé aisément dans ce réseau difficile, malgré ses débuts en plongée souterraine. Maintenait, une longue attente commence.

Stéphane ROUSSEL

 

La découverte du Siphon 5

Il est 16h30, nous sommes tous les trois devant le S5. Nos corps sont meurtris pas la fatigue, mais le sentiment d’être arrivés si proche de notre but, nous motive encore plus. Un peu plus tôt, nous avons déposé nos bi 4 litres, à la sortie du S4, pour ne conserver que nos trois 6 litres alu, dans l’objectif de progresser dans le S5, et voir au delà des 220 m du terminus de Fredo. Avec Stéphane, nous commençons soigneusement à préparer le kit de pointe. Nous profitons de ce petit moment de pause pour m’alimenter une dernière fois. Laurent fait le point sur le dévidoir et récupère une paire de palmes en bon état, car la mienne s’est coupée " net ", sur une lame de roche pendant le portage. Après avoir vérifier les détendeurs, je me sens prêt et motivé par les encouragements de Stéphane et Laurent. Une fois le fil d’Ariane accroché, je quitte la surface, et je sens le froid de l’eau à 7°C pénétrer dans ma combinaison Néoprène. D’un coup de palmes décidé, le dévidoir en main, je commence mon aventure dans ce nouveau Siphon. Mon éclairage me permet d’apprécier la beauté des lieux. La roche, de couleur jaunâtre et noire, défile sous mon fil. La clarté de l’eau me fait découvrir un siphon d’un volume important ( 6 m x 8 m ). Tout au long de ma plongée, je fais attention au morceau de fil coupé, déroulé voilà plus de 13 ans par Fredo. Je vois les étiquettes de mon fil métré défiler ; et, arrivé à 220 m, je réalise que je continue maintenant dans l’inconnu. Un sentiment d’excitation m’envahis. Je reprends vite ma concentration, et je progresse, à cet instant, dans la zone la plus profonde ( -20 m ). Par moments, je m’arrête pour ne pas perdre l’orientation de cette immense galerie. Je poursuis mon exploration et je découvre une trémie qui paraît impénétrable. Je cherche au dessus, à droite et je découvre un passage sur la gauche, entre d’énormes blocs rocheux. Une lucarne de 1 m / 1 m m’amène de l’autre coté. J’observe quelques instants la configuration du Siphon et je m’aperçois que cela remonte progressivement. Puis la pente s’accentue pour arriver enfin devant un miroir qui annonce la fin du S5 ( 330 m, -20 m ). Je sors enfin la tête de l’eau et un sentiment d’émerveillement me traverse l’esprit. Je pousse un grand cri de joie, après avoir attaché mon dévidoir que je laisserai pour les explorations futures. Je lève la tête et je me trouve nez à nez devant une trémie argileuse. Je quitte mes palmes et ma ceinture de plombs, que j’oublierai au retour, pour retrouver la terre ferme, et parcourir cette nouvelle galerie nommée " galerie Jojo ". Après une descente sur des blocs, je marche dans des petits goures et je progresse à la nage pour stopper face à un nouveau siphon. Une analyse rapide, et avec le niveau des eaux relativement bas actuellement, me permet de passer en apnée, ce S6 ( 20 m, -5 m ). Je continue à la nage pour arriver devant un ressaut de 3 m environ, difficile à franchir par l’accumulation d’argile. Puis la galerie se rétrécie, pour déboucher sur une fenêtre inclinée, par laquelle j’aperçois, 6 m en contre bas, une nouvelle grande galerie horizontale, qui part au loin. La portée de mes éclairages ne suffisent pas en apercevoir la fin. L’accumulation d’argile dans cette pente et le risque de ne plus pouvoir remonter, me font stopper cette découverte. Je décide de prendre le chemin du retour, l’esprit remplis d’images inoubliables et la surprise de découvrir de petits animaux cavernicoles, dans le S5, aussi intrigués que moi. Je retrouve très vite mes 2 compagnons qui m’assaillent de questions, et après un rapide commentaire sur mon exploration, nous décidons de rentrer, parce que nous sommes bien en retard sur notre horaire. Et après 13 heures, passées sous terre, nous sortons enfin de Goule Noire, épuisés, et non sans avoir fait une petite peur à notre ami Jean Claude, qui nous attendais impatiemment à l’extérieur. Inquiet, il venait d’appeler les secours, et c’est en présence des gendarmes, venus prendre de nos nouvelles, que nous remontons tranquillement, à nos voitures.

Pour cette nouvelle aventure, je tiens tout particulièrement à remercier Xavier, David, Laurent et Stéphane pour les portages, les différentes reconnaissances et équipements de ce réseau, ainsi que pour leur investissement moral et physique ( Cheville plâtrée pour Xavier, entorse de la main droite pour Stéphane, aujourd’hui ). Après quelques jours de repos, je transmettrais, à Fredo POGGIA et Laurent TARAZONA, qui fréquentent eux aussi cette cavité, ces informations, pour leurs futures sorties.

A bientôt dans l’aventure de Goule Noire, et je tiens encore à remercier, les personnes et services de secours qui étaient prêts à intervenir, dans l’inquiétude, due à notre retard sur l’horaire prévu.

 

Gabriel HUDE