Mise à l'eau pour balèze
dans la vallée de la Cèze

par Frank Vasseur  


Equipe et matériel

 

L'aven Grégoire est l'entrée amont du système « Grégoire-Fées », dans la vallée de la Cèze (30). C'est une traversée spéléologique qui totalise 2000m, doublée d'un étage inférieur noyé, exploré entre 1978 et 1981 par Christian Bagarre, Philippe Nouza, Gil Veyssière.
Le siphon amont du système, situé à –120 à la base des puits d'entrée de l'aven Grégoire, fut franchi (425m ;-52) en 1982 par Jean-Charles Chouquet, Patrick Penez et Fred Vergier. Ils parcourent ensuite 150m de galeries exondées pour buter sur un étroit siphon reconnu en décapelé sur une trentaine de mètres. L'actif est là, mais impénétrable.

En 2005 et 2006, dans le cadre d'une étude approfondie du fonctionnement hydrogéologique du système menée par Joël Jolivet, Régis Brahic entreprend plusieurs plongée pour reéquiper et étudier le siphon amont. Il progresse jusqu'à 180m de l'entrée (-52) et effectue les premiers relevés topographiques.
En 2005, dans le cadre d'une « expédition régionale FFESSM » du comité Pyrénées-Méditerranée, les trois premiers siphons de la grotte des Fées (Source des castors, Lac Lombard et Lac du Naufrage) sont topographiés (Pierre Berard, Frank Vasseur, Damien Vignoles, Michel Wienin).  

Samedi 12 Mai 2007, Régis et son équipe « Exploreurs » équipent le Grégoire jusqu'au siphon. Ils avaient préalablement aménagé la plate-forme sur laquelle on s'équipe, perchée 6m au-dessus de la vasque.  


descente au descendeur équipé, par Jean-Louis Galera

Dimanche 13 mai, le siphon amont a été intégralement topographié au cours d'une plongée au Trimix en recycleur Megalodon.   Après une convergence chez Joël, à Tharaux, nous répartissons les charges et attaquons la montée. A 9 pour 13 sacs, ça monte tranquille à flanc de colline, jusqu'à l'entrée dissimulée par la végétation. Puis ça « file » bien à la descente. La série de puits, équipée la veille par Régis et ses Exploreurs s'enchaîne, et en moins d'une heure, toutes les charges sont à bon port, 6m au-dessus du siphon. L'ultime toboggan dégringole directement dans une fracture noyée. Pas de plage, pas de berge. La meilleure solution fut de creuser (Exploreurs), à même la pente d'argile, un replat de 2 x 1,4m, 6m au-dessus du plan d'eau. C'est là, dans une promiscuité digne des bivouacs d'alpinistes en paroi, que nous équipons le « bazar ». A cinq avec les charges, l'espace est rapidement saturé. Le reste de l'équipe reste quelques mètres au-dessus encore, longé sur les derniers fractionnements doublés à cet effet. Quichou et Jean-Louis se relaient pour descendre jusqu'à l'eau trois bouteilles de sécurité, les palmes, dévidoirs et tout le petit matériel. Sur la plate-forme, je bénéficie de trois paires de mains, fort bienvenues pour tenir le matériel et lui éviter de me précéder dans l'onde… plus trop pure, étant donné les blocs d'argile que nous décrochons depuis notre arrivée. Arrive enfin le moment où tout est prêt. Il ne « reste » plus qu'à descendre, tout équipé, recycleur au dos, jusqu'à l'eau.

 


Préparatifs sur la plateforme par Michel Wienin

Une descente au descendeur, avec passage d'un fractionnement, avec un recycleur sur le dos, doit constituer une véritable « première » en la matière. Une de plus à accrocher à mon prestigieux tableau de chasse. Une fois dans la vasque, Quichou et Jean-Louis me bichonnent et me passent tout ce que j'ai à emporter. Enfin arrive le moment, où le changement d'élément, le passage en apesanteur, libère le plongeur de dures lois de la physique… pour le soumettre à d'autres. La fracture est juste assez large pour être confortable.
Le plan d'eau s'étire sur une vingtaine de mètres, interrompu par un gros bloc coincé. Le fil d'Ariane, installé par Régis l'an dernier, évolue en oblique dans la fracture, à l'endroit le plus large, le seul pénétrable. L'argile décrochée lors de la descente depuis la plate-forme a réduit la visibilité à peu de choses, et je progresse lentement, en Braille, les mains sur les parois.
Après avoir dépassé le bloc coincé, la largeur augmente. A –10, le conduit se verticalise. Vers le nord-est, un vide augure le départ vers l'aval du système. Les amarrages du fil ont sauté lors des crues, il faut les replacer. -18, bas de la verticale. Un sol de galets est partiellement recouvert de blocs d'argile, de branchages, et de matériel divers (poignée jumar, mousquetons, pédales).
Vers le sud est, talus de galets glisse sous le plafond, il faut se faire « maigre ». Quelques blocs roulent, ça racle un peu, mais ça passe. Le nuage de touille est enfin doublé, l'eau est claire (environ 6m de visibilité), mais tout de même en deçà de l'exceptionnelle translucidité habituelle. Les récents orages d'un printemps agité en sont la cause. Là, commence le domaine de hautes fractures cupulées, sur lit de galets d'albâtre roulés.

A l'ouest, une galerie plus étroite dédouble la première partie de la galerie : c'est le shunt. L'eau a l'air plus claire, mais peut-être n'est qu'une illusion du fait de la réduction de la largeur du conduit. J'avance jusqu'à une première remontée en fracture, mais ça coince. N'ayant pas l'ardeur belliqueuse, retour dans la galerie principale. A 45m du départ (-21), une lame d'érosion partage la galerie dans la hauteur. Ca passe par-dessus, moyennant une douce négociation. Le talus plonge toujours, et à –33, on recoupe une nouvelle fracture aux voûtes élevées. De l'ouest, un fil rejoint le cheminement principal : c'est l'embranchement pour le shunt. Un regard dans ce qui n'est qu'une alcôve, puis la galerie, entre 4 et 6m de large, pour deux de haut, file le long du talus de galets. A 131m du départ, la pente s'annule.

La partie profonde du siphon, une splendide galerie (7 x 3m) est engluée de remplissages d'argile surcreusés, mettant en évidence leur stratification. Le point bas est à –52, au niveau de l'amarrage terminal du fil de Régis. J'amarre le mien afin de lever une topographie potable, au retour. 204m : les parois se resserrent brusquement. Le conduit amorce une brutale remontée, par une fracture réduite (3m de large) dans un puissant volume. Le fil des premiers plongeurs s'élève en rive gauche, à mi-hauteur. Rapidement, dès –42, la paroi de droite s'éloigne, parfois hors de portée des phares. Le plafond est invisible, le faisceau du phare, pourtant un K15 Barbolight (équivalent 50 watts) se perd dans ce vide intérieur. J'attaque tranquillement les paliers en superposant mon fil métré à celui en place, qui ne semble pas avoir souffert depuis 25 ans.

A –6, pause la plus longue. Le vieux fil est rompu. Le brin libre a coulé au fond du conduit. La suite évidente semble être dans le prolongement de la paroi, vers le sud est. J'en profite pour aller balader un peu, histoire de fouiner cette imposante salle noyée (87m x 12m x 30m). Sur ce qui semble être la paroi opposée, une lame d'érosion massive s'avance en proue sur un fond obscur. Sa pointe est exactement à la profondeur du palier. Effectivement, derrière la lame, une extension de la salle se prolonge en hauteur. Des cannelures d'érosion sont en évidence sur les parois. Vers le haut, un reflet argenté caractéristique : une surface. Quelques minutes de station à profondeur imposée, puis le signal libérateur s'affiche sur l'écran de l'ordinateur. Remontée lente et émersion dans une belle vasque (6 x 5m), à 276m du départ.
Sous mes palmes, le sol est à –25 au moins. Pas le moment d'échapper quoi que ce soit ! De l'autre côté du « miroir », les parois s'élèvent verticalement de 7m, avec une section similaire à celle de la vasque. Au plafond, une puissant marmite augure un prolongement horizontal, par une galerie probable. Je m'éloigne de la base de l'escalade pour essayer d'en voir plus depuis la berge opposée de la vasque. Il semble bien qu'une jolie galerie s'engage au sommet de le remontée. Prometteuse mais fort difficilement accessible. En effet, rien, pas un replat, pas une berge pour se désharnacher du recycleur. Et quand bien même ce serait possible, il resterait à grimper sur une paroi verticale, qui n'offre pas de prises évidentes, en vêtement de plongée. Dommage. Retour à l'amarrage de la lame à –6 et poursuite vers le conduit qui, à –6 se restreint brusquement en une galerie de section oblongue (3 x 6m) dont le plafond jouxte la côte 0.

On enchaîne pour 134m de vaste galerie, parfois circulaire, mais majoritairement étirée dans la hauteur. Un brusque redan ramène à la surface, à 425m du départ. Là, un lac est alimenté par une arrivée d'eau impénétrable au niveau de l'eau. Nous savons que la galerie se prolonge par 150m de conduits terminés par un siphon étroit, reconnu sur 30m en décapelé en 1982. Sans sortir de l'eau, j'amarre le fil et entame le chemin du retour en topographiant. J'en profite pour fureter, mais rien ne semble avoir été oublié dans le siphon. Je retrouve l'eau troublée dans la fracture d'entrée, où s'égrène la demi-heure de paliers, rafraîchis par un trou dans la combinaison qui remplit, lentement mais sûrement, feu la combinaison étanche.  
A cette occasion, un appareil enregistreur destiné à mémoriser les variations de niveau, a été installé dans la vasque du siphon. Il sera retiré pour collecte des données dans un an. Une installation similaire est installée dans la résurgence (grotte des Fées). Je retrouve Quichou et Jean-Louis au bord de l'eau. Ils m'allègent de tout le bazar « connexe », puis j'attaque la remontée au jumar, recycleur toujours sur le dos, en respirant de l'O2 pur sur le recycleur. En moins de deux heures, tout le matériel sera rangé et rapatrié à la sortie, avec deux allers-retour en surface pour Nicolas, Quichou et Jean-Louis.  

Un grand merci à toute l'équipe. Société Cévenole de Spéléologie et de Préhistoire (Alès-30) : Christian Bagarre, Jean-Pierre Buch, Jean-Louis Galera, Anne Johannet, Luc Lebé, Nicolas Villar, Michel Wienin. Individuel : Joël Jolivet. Equipe Plongeesout : Frank Vasseur.   Equipement de la cavité et aménagement de la plate-forme Exploreurs (30) : Régis Brahic, Richard Koudlanski, Thierry  Baudewyns .   Une mention particulière pour le matériel grâce auquel ces explos sont réalisées : Lampes Barbolight : http://www.barbolight.com Dévidoirs Bardès : bardes.b@wanadoo.fr Sacs de portage Résurgence : http://www.resurgence.fr Recycleur Megalodon (version électronique) : http://www.customrebreathers.com

 


5 sur le palier, les autres sur les cordes, par Nicolas Villar


descente du materiel à l'eau; quichou par JL. Galera


Le recycleur par JL Galera


Mise à l'eau assistée par quichou, par JL. Galera