Rivière souterraine de Laval de Nize

par Frank Vasseur - décembre 2001

 

 

250m de progression aquatique conduisent, après avoir traversé une grande salle suivie d'une diaclase peu large, au S.1 (110m;-5). Il recoupe une longue cloche d'air, puis descend à -5 sur un sol argileux pour sortir au sommet d'une pente de graviers grossiers.
La vasque de sortie est confortable (2x4m), puis une cascatelle (1m) rejoint un conduit bas et argileux sur 15m, menant au S.2 (210m;-15).

La galerie plonge à la faveur d'un talus argileux et, après un rétrécissement latéral, descend à -15m, profondeur quasi-constante, mis à part une remontée à -6, variant sensiblement du fait de la sinuosité.
Une remontée graveleuse augure l'émersion dans un bief, qui communique avec le S.3 par l'intermédiaire d'un court chenal surcreusé.

Le S.3 (740m;-44) plonge directement à -9, puis se stabilise jusqu'à une pente sablonneuse pincée d'une étroiture. Jusqu'à 310m de l'entrée la profondeur avoisine -15, puis un brusque redan remonte à -10 où un laminoir de 35m.

On descend alors à -24 et le conduit sinueux conserve des dimensions modestes (2x3m) jusqu'à 700m.
D'importants remplissages d'argile recouvrent le sol et les parois.

Un volume noyé contraste ensuite avec le reste de la cavité et plonge en s'infléchissant à -44. La galerie diminue encore et, après une étroiture ponctuelle à -38, se développe sur une vingtaine de mètres jusqu’à un passage à -42.

Les deux premiers siphons avaient été reéquipés et nettoyés dans le cadre des activités de la com. Dep. de l’Hérault (FFESSM) le 21/03/01 : Cyril Marchal, Kino Passevanc, Frank VASSEUR et 16/05/01 : Kino Passevanc, Frank VASSEUR.

Le 05/12/2001, nous disposons trois bouteilles relais dans les siphons : une 9 l de Nitrox 65 à l’entrée du S .2,

une 15l de nitrox 52 et un dévidoir à l’entrée du S.3 et une 15l de Trimix hyperoxique (40/20) à 200m de l’entrée dans le S.3 . Jean-Louis découvre une trémie très ventilée dans les galeries supérieures.

Participants : Jean-Marc BELIN, Jean-Louis GALERA, Frank VASSEUR, Damien VIGNOLES.

Le 12/12/2001, je pars seul pour bénéficier des meilleures conditions de visibilité. Je suis en configuration " finale " : volume étanche, 2 x 12l à l’anglaise avec 8 kg de plombs disposés sur un baudrier Bibige. Je franchis le S.1 sur une 6 l d’air, puis la cascade et la galerie basse qui conduisent au S.2. Le temps d’enfiler les palmes dans le bain de boue de la vasque, de récupérer la 9 l de N65 et voilà le S.2 et sa visibilité nulle.

Le faible débit ne permet pas de refouler l’eau chargée en argile qui, plus lourde, coule à contre-courant vers le fond du siphon. Et comme la galerie descend en pente douce durant les 55 premiers mètres, on ne voit rien jusque-là.

A la faveur d’une remontée, la touille stoppe son avancée. En sortant du nuage, c’est le détendeur du relais qui fait des siennes (débit continu).

J’essaie de rétablir en fermant-ouvrant le robinet de la bouteille, rien n’y fait. J’abandonne le flacon à 120m et respire sur mes bouteilles-fond.

A l’entrée du S.3, récupération du dévidoir et d’une 15l (Nitrox 52) et c’est parti pour 350m à -15 maxi (PPO2 max.1,3 b). J’accroche le second relais 15l de Trimix hyperoxique 40/20 à 200m de l’entrée puis me soulage du premier à l’entrée du laminoir à 350m.

Je poursuis jusqu’à 695m à -25 maxi (PPO2 max. : 1,4 b) et largue le second relais en tête du puits, à -25.

A -33 la pente s’infléchit jusqu’à un passage bas à -38. La galerie reprend de l’ampleur ensuite (2,5m x 2) et se développe durant 15m à cette profondeur. On plonge ensuite à -44 pour remonter à -42, au terminus du fil (740m).

Je raccorde le dévidoir et attaque une descente sur un talus argileux. Le dévidoir en profite pour se bloquer, je perds cinq minutes à batailler avec avant de poursuivre. A -49, le conduit (2,5m x 1,5m) se développe sur un sol très argileux.

A 790m, après avoir déroulé 50m de fil, je préfère en rester là, car le conduit se prolonge à cette profondeur et j’atteins les limites d’autonomie. J’espérais une remontée, voire un franchissement...

Arrêt dans une galerie horizontale à -49 à 790m du départ du S.3 vue sur une quinzaine de mètres.

Lors du retour, je récupère mes relais et reviens passablement chargé.

C’est en tractant mes deux relais 15l, en respirant du Nitrox 52, que je ressens de curieux symptômes (picotements dans les doigts, état cotoneux, impression de " sentir " l’O2, un gout chloré par le nez, légère accélération du rythme cardiaque, légère impression de froid) à 250m de la sortie du S.3. Je repasse à l’air et en trois inspirations tout disparaît, je retrouve immédiatement mon état normal.
N’ayant pas assez d’air pour faire tout le chemin retour, je reprend le nitrox 50 après 5 minutes.

Une simulation avec décoplanner avec les gaz utilisés réellement ne me donnait que 5 minutes de paliers.

J'ai quand même fait une quinzaine de minutes de paliers (au nitrox 52) jusqu’à -6 avant de sortir du S.3. J'ai passé 2h15 dans le S.3 paliers compris.

Dans le S.2, je récupère la bouteille de 9l devenue inutilisable et malgré un palmage "calme ", les mêmes symptômes reviennent. Je repasse à nouveau à l’air, mais cette fois, ils sont plus tenaces, et je mets plus longtemps à récupérer.

Je sors le S.2 à l’air et refranchis le S.1 à l’air également après avoir abandonné les trois bouteilles-relais à la sortie du S.2. Les copains se chargent ensuite de tout rapatrier jusqu’aux véhicules. Dehors il fait froid, très froid, il neigera le lendemain ...

Participants : Mehdi DIGHOUTH, Jean-Louis GALERA, Marilyn HANIN, Frank VASSEUR, Damien VIGNOLES.


Cette plongée est assez complexe, car elle cumule plusieurs paramètres aggravants :

  • fond de grotte (240m de rivière à remonter pour 15m. de dénivelée),
  • multi-siphon (plongées consécutives),
  • étroitures (plongée à l’anglaise),
  • température (11°c) et durée d’immersion (vêtement étanche),
  • profil en yo-yo (portage des plombs durant l’intégralité de la plongée, sinus et oreilles),
  • sinuosité (reprise d’élan en permanence, rythme cassé),
  • distance (1110m de siphon),
  • profondeur et décompression (-49),
  • visibilité médiocre à nulle sur certaines parties du parcours au retour.

Détail de la plongée dans le S.3 :

1 x 15l N52 sur 350m aller (-15 maxi) soit 1h a-r + 15min de palier (PPO2 max. : 1,3)
1 x 15l T40/20 sur 350m aller (-25 maxi) soit 45min A-R (PPO2 max. : 1,4)
2 x 12l air à l’anglaise sur 90m aller (-49 maxi) soit 15min ar (PPO2 max. : 1,18)

J’ai sollicité plusieurs collègues plongeurs et médecins plongeurs et/ou hyperbares pour essayer de comprendre d’où viennent ces curieux symptômes. Voici la synthèse des réponses que j’ai obtenues :

Causes envisagées 

- qualité du gaz : je fabrique mes mélanges avec mon compresseur et j'analyse les B50 de gaz avant utilisation. De plus, j'ai utilisé des mélanges fabriqués au même moment lors d'une précédente pointe au Trimix en Ardèche, sans problème. La teneur du mélange en O2 a été vérifiée, c’était bien du Nitrox 52%.

- propreté de la bouteille de Nitrox 52 sur laquelle je respirais lors des deux apparitions de " symptômes " :
La-dite bouteille a été dégraissée en 2000 et gonflée uniquement avec mon compresseur. Je l’ai ouverte par acquis de conscience : un miroir.

- vertiges : La raison pourrait être à chercher dans de légers vertiges dysbariques accentués par une vision qui ne peut pas "s'accrocher" sur des repères fixes et augmente donc l'effet inconfortable du vertige. Un incident propre à des plongées longues (plus de trois heures) avec un profil yo-yo et en eau chargée. Le froid peut aussi éventuellement rendre la perméabilité tubaire plus difficile. C'est accentué par le stress et ça passe d'un coup sur un léger changement de position.

Dans le cas qui nous intéresse, les changements de position étaient fréquents et lors de la seconde " atteinte ", les symptômes ont persisté, malgré de fréquents changements de position.

- Hyperoxie : C’est la cause la plus retenue parmi ceux qui se sont intéressés à ce cas.

Plutôt un début d'hyperoxie neurologique favorisée par : l'effort physique (et la fatigue nerveuse associée) combiné à la durée d'exposition et aux conditions de plongée difficiles et stressantes (étroiture, turbidité, eau froide...). De même, il apparaîtrait que la respiration d’Hélium accentue la sensibilité à l’O2 (j’en avais respiré durant la plongée, mais pas au moment de l’apparition des symptômes).

Les premiers signes d'une hyperoxie sont toujours très subjectifs car l'oxygéne intoxique le système nerveux et peut donc engendrer des perturbations d'ordre sensitif ou moteur de toutes sortes. De plus, les manifestations liées à l'hyperoxie ne seraient peut-être pas aussi foudroyantes qu'on le dit.

* cette symptomatologie est apparue avec un mélange suroxygéné. Même si les signes décrits n'évoquent pas une toxicité neurologique à l'oxygène on peut penser qu'il y a une interaction à ce niveau. D'autant plus que les deux fois, le fait de repasser à l'air a fait disparaître plus ou moins rapidement les signes.

* même en respectant les PpO2 max., il faut tenir compte du fait que l'exercice intense et le froid diminuent beaucoup la tolérance à l'oxygène et donc si l'on pense que les symptômes sont liés d'une façon ou d'une autre à l'hyperoxie cela pourrait expliquer les 2 apparitions successives.

* enfin l'hyperoxie a tendance a diminuer le rythme respiratoire et donc de ce fait de diminuer le taux d'élimination de dioxyde de carbone (taux lui même augmenté par l'effort physique). De même que pour l'oxygène, même si les symptômes ne ressemblent pas à ceux d'une hypercapnie il y sont possiblement liés.

- Intoxication au CO2 (d’après article du DAN) :

La diminution de la tolérance à l’O2 durant une plongée en respirant du nitrox a été expliquée comme étant due à une diminution de l'élimination du dioxyde de carbone à de plus grandes profondeurs, impliquant un plus haut taux de dioxyde de carbone sanguin. Ceci pourrait signifier que le plongeur est plus sensible à la toxicité de l'oxygène.

Rétention de CO2 : Pourquoi l'accumulation de dioxyde de carbone (CO2) pourrait devenir un problème lié à l'augmentation des densités de gaz ?

Il y a eu plusieurs études montrant que la profondeur augmentant pendant la respiration d'air, le taux d'oxygène élevé et l'augmentation de la densité de gaz diminuera notre rythme respiratoire et de ce fait le taux d'élimination du dioxyde de carbone. Ceci augmentera le niveau sanguin de dioxyde de carbone, même si tous les plongeurs ne diminueront pas leur rythme respiratoire dans la même proportion. Le Dr Lanphier étudia le problème sur des plongeurs qui tentèrent de respirer plus lentement durant leurs plongées par rapport à leur habitude normale – ainsi nommés "carbon dioxide retainers". Il découvrit que ces individus seraient plus susceptibles à la toxicité neurologique centrale de l'oxygène lors de la respiration de mélanges nitrox.

Les symptômes seraient liés au CO2, dans ce cas précis, les yo-yo en titillant la fenêtre oxygène (differentiel PPO2/PPCO2 entre le gaz respire et la PPO2/PPCO2 sanguine,) augmentent le phénomène.

Donc problème d’oxygène lié à la PPO2 mais symptôme CO2.

Conclusion :

Difficile à tirer mais il est à noter que la majorité des plongeurs et organismes dispensant des formations Trimix s’accordent sur la nécessité d'être conservateur avec la PPO2 et que 1.6 b est valable pour la décompression au repos.

La PPO2 recommandée par IANTD est de 1.5 au fond (1.6 est en fait la MOD en cas d'urgence). En cas de froid ou d'effort, on abaisse la PPO2 à 1.4 b ,voire moins.

Dans le milieu " Tek ", on utilise des PPO2 " fond " de plus en plus basses 1.2-1.3 max. Pour des plongées engagées on descend jusqu’à 1-1.1 max. car l’O2 est considéré comme un gaz narcotique.

On préconise aussi des rinçages avec mélange fond (la pO2 la plus basse possible sans être hypoxique) durant la décompression à l’O2 et mélanges suroxygénés.

DAN : Un plongeur utilisant du nitrox devrait-il s'inquiéter du fait d'être un "accumulateur de CO2" ? Malheureusement, il n'existe pas de tests valables qui permettent d'identifier sérieusement les "carbon dioxide retainers". La meilleure stratégie pour l'instant est de tenir compte des limites dangereuses d'exposition à l'oxygène. Cependant, un bon conseil serait de garder une bonne forme physique; car nous savons que les systèmes cardiaque et respiratoire sont plus efficaces pour des personnes entraînées ainsi que les systèmes tampon sanguins pour diminuer le taux sanguin de dioxyde de carbone.

Merci à Jean-Marc Belin, Philippe Bigeard, Cyrille Brandt, Christian Deit, Jérôme Dukers, Stéphane Friedli, Hervé ROY, Jean-Pierre Stefanato, Marc Thène, Christian Thomas ainsi qu’au D.A.N. dont un récent article sur le sujet a bien éclairé ma lanterne.

Merci aussi à M. et Mme BARASCUT, propriétaires de la cavité qui nous ont chaleureusement accueillis et autoriser à plonger dans leur source.