Plongée dans l’Aven Barnabé (Hérault)

 

L’aven Barnabé est une cavité majeure des Grands Causses, creusée à la force du perforateur par le Spéléo-Club de Montpellier. En quinze ans de labeur acharné, les spéléologues ont atteint un siphon à –298m sous l’entrée.

La plongée du 02/07/1994 avait livré, post-siphon terminal (35m;-4), un collecteur exploré sur 500m en amont car l'aval était sévèrement ensablé.

L'objectif de cette nouvelle plongée était de pousser vers l'aval en direction de la Grotte de Clamouse, sise quelques 8000m plus loin, et 300m plus bas...

Cela fait déjà un moment que les bras de Morphée m'ont laissé tomber en ce matin du 8 juin 1996. Tout en ressassant ces pensées qui me turlupinent depuis la veille, je m'interdis de consulter la montre.

Toute la semaine, le temps a été stable, grand beau, conditions idéales. Premiers barbecues sur la plage, premiers bains de minuit, premiers préparatifs de plongée avec espoir de réaliser enfin ce qui est prévu après cet hiver exécrable.

Mais depuis deux jours, les prévisions météos ont changé de ton:

"...ondées orageuses sur les reliefs avec renforcement des foyers orageux durant la nuit..."

 

Hier soir, au local du S.C.M., nous envisagions tous les scénarios afin d'assurer une sécurité optimale des participants, car la cavité présente de réels dangers en cas de crue.

Ce matin, il faudra aviser en fonction de l'évolution météo, car le temps n'est pas stabilisé et nous demeurons à la merci de ses caprices. Faudra-t-il reporter la plongée ?

Je craque et prends la montre: 5 heures !

9 heures: Pratiquement tout le monde est là, même les nuages qui montent inexorablement depuis le sud, s'agglomèrent sur la Séranne puis évoluent en grappes au-dessus du Larzac.

10 heures: les premières équipes descendent le matériel dans la cavité. Nous optons pour l'attente afin de capter les dernières prévisions météo.

12h: Rien de plus, rien de mieux côté météo. Ca gamberge dur dans les cervelles. Après une ultime réflexion, il s'avère que nous pouvons "passer" même dans le pire des cas. C'est décidé : on y va !

15h33: -260: après une copieuse collation en compagnie des copains de la première équipe, parmi lesquels certains avoueront que la nourriture "made in S.CM." est meilleure que celle de la maison, nous sommes un petit cercle restreint au bord du siphon.

Après avoir capelé le baudrier "à l'anglaise", la vasque du siphon se fait accueillante.

Sur le dos, dans le kit, deux cordes de 30m (Æ 8mm), une trousse à spiter avec 5 chevilles spit, 5 anneaux, quelques anneaux de sangle, une lampe de secours, une boîte de riz au lait et le matériel jümar personnel.

A la taille, deux bouteilles de 4l gonflées à 240 bars, une trousse de secours (masque de rechange, sangles de palme, décongestionnant, carnet topo, 3 tubes de crème de marrons) et un dévidoir de 400m (y'a de l'espoir !).

J'ai opté pour cette technique de portage, car le départ du siphon aval sera certainement étroit, et qu'elle permet de porter sur le dos un kit de matériel, conditionné de manière à rester le moins volumineux possible.

Après avoir vidé l'air contenu dans ce dernier, l'apesanteur m'attire vers le fond de la vasque. Un coup de tête vers la surface afin d'offrir aux copains une vision en contre-jour de la vasque, puis je m'engage dans le conduit noyé.

Le fil n'a pas été endommagé par les crues démentielles de cet hiver et la visibilité est excellente. A chaque fractionnement, des lambeaux de couverture de survie utilisée pour la confection de la tente de bivouac sont agglutinés, attestant de la puissance du débit durant les crues.

L'étroiture terminale est atteinte sans encombres, et se franchit aisément au prix de quelques contorsions pour plaquer le kit sur le dos.

Dans le fond de la vasque, un petit niphargus très vivace caracole sur le sable limoneux.

 

15h 37: Dans un concert de gluglutements répercutés dans la galerie exondée, je retrouve l'air libre.

Les 35 mètres qui séparent du collecteur sont rapidement parcourus et par une glissade contrôlée le ressaut de 1 m est descendu.

Dans le collecteur, le profil a été remanié par les crues hivernales. Là, un profond bassin a succédé à une berge sableuse, ici les galets ont été emportés ou recouverts de sable fin.

De plus, un très léger écoulement est nettement visible là où, en 1994, il avait fallu observer les ripple-marks afin de déterminer l'aval et l'amont.

A noter que l'écoulement qui circule dans l'aven jusqu'au siphon se perd dans celui-ci. En effet, aucune circulation n'en sort en aval et le plan d'eau qui suit ne se déverse pas dans le collecteur.

En suivant le modeste filet d'eau, je rejoins la dune de sable qui obstrue partiellement la galerie et interdit l'accès à la vasque du siphon aval par le cheminement de l'eau.

Il faut revenir sur ses pas pour escalader le monticule et contourner le secteur impénétrable. La dune a été arasée par les crues, et là où il avait fallu ramper en 1994 il est dorénavant possible d'assumer sa quadrupédie.

Cependant l'accès à la vasque demeure étroit et une élévation relative de la voûte autorise tout juste le passage en glissade contrôlée.

Dans la vasque, le plafond est bas mais on plonge rapidement à -3 le long du talus sableux. Les dimensions sont alors plus confortables (2x2m) jusqu'au point bas (-3). Débute alors une zone tourmentée où le morphologie irrégulière rend malaisée la recherche de la continuation, surtout lorsque la visibilité n'excède pas 30 cm.

Et la zone étroite se prolonge, contraignant à de fréquentes contorsions rythmant une avancée très lente.

Je suis à la limite de faire demi-tour lorsque je double enfin le nuage d'eau trouble. Un dernier rétrécissement en hauteur débouche dans un plus vaste volume.

En suivant un talus argileux, on remonte jusqu'à la surface, jolie vasque (4x3m) bordée d'argile.

Le plafond est bas et il faut progresser à quatre pattes. Au sol, sous 30 cm d'eau, une croûte d'argile dure cède sous les appuis pour une sous-couche plus onctueuse.

Au plafond, 1m à 1,5m au-dessus du plan d'eau, un morceau de couverture de survie est accroché à une minuscule aspérité.

Peu enclin à effectuer la danse de l'hippopotame dans sa bauge, je me déleste des bouteilles afin d'être plus efficace en progression.

A 40m de la sortie du siphon, le plafond s'élève enfin alors que le plan d'eau occupe toute la largeur de la salle.

Avant cela, deux affluents en rive droite se jettent dans la galerie.

Par une voûte mouillante confortable, on débouche dans une grande salle (h=6m) concrétionnée.

Ici, passé un seuil rocheux, l'écoulement est réactivé avant de disparaître sous un chaos de blocs sur lequel la voûte descend.

Sur la gauche, une dune argileuse ridée de traces d'écoulement atteste d'une arrivée d'eau temporaire, par une lucarne située à 2m de haut. Cette arrivée sera vue lors du retour, par une galerie annexe dans le chaos.

Sous les blocs, l'actif s'insinue dans un méandre impénétrable, corrodé et hérissé de lames d'érosion.

Il ne demeure comme possibilité qu'une escalade de 2m via une petite lucarne pour franchir l'obstacle.

On découvre alors une galerie surcreusée (h=4 à 5m) au fond de laquelle coule l'actif retrouvé. Par un passage supérieur argileux et corrodé, il est possible de cheminer en opposition sans trop "racler".

Un redan de 4m rejoint ponctuellement l'actif, qui file ensuite dans un méandre impénétrable.

La verticale suivante (5m) doit être équipée (amarrages naturels) afin de prendre pied dans un petit bassin. Une cascatelle issue du méandre se déverse dans le bief au débit estimé d'un petit litre/seconde.

La présence d'un tel débit renforce l'hypothèse d'un sous-écoulement dans le premier siphon, qui rejoindrait directement le post-siphon aval sans passer par le collecteur parcouru entre le S.1 et le siphon aval.

Pour shunter le cours impénétrable de l'actif, on est contraint d'escalader le conduit jusqu'à revenir au niveau des amarrages du puits équipé, puis l'opposition est de mise dans une diaclase pour rejoindre un élargissement (3x6m) occupé par un modeste plan d'eau.

Une jolie colonne marque l'amorce d'un nouveau méandre impénétrable où file l'écoulement. Après une escalade glissante, passage en opposition au-dessus d'un redan étroit de 6m au fond duquel on discerne une alcôve (1x1,5m) parcourue par le ruisseau.

Pensant shunter ce secteur par un passage supérieur, je bute sur une massive coulée stalagmitique, sur laquelle une étroiture est à franchir pour finir dans un élargissement fermé de toutes parts.

Sentant la mauvaise augure, je descend au fond du redan pour constater qu'une étroiture horizontale, impénétrable sur 30cm, puis prolongée sur 2m interdit toute progression au-delà. Le concrétionnement, issu de la coulée qui obture le conduit supérieur, est venu réduire la largeur du méandre actif, déjà fort réduite.

Le conduit forme ensuite un coude vers le nord, alors que le bruit du ruisseau demeure audible.

Un peu déçu de buter si vite sur un obstacle de ce type, dont un simple tir viendrait à bout, j'amorce le retour en levant la topographie. Je fouillerai plus en détail le chaos situé avant la grande salle pour trouver une galerie latérale rejoignant une arrivée en hauteur, dont l'orientation présagerait de plaisantes perspectives...

17h50: Retour à la civilisation où les copains de l'équipe retour vont bientôt arriver, attestant d'une organisation impeccable.

Retour en surface sans encombres, libérés de la pression "météo" car le ciel s'est dégagé.

Le week-end se terminera par un gueleton "made in S.C.M." puis une baignade dans la Vis pour décrasser les participants courageux.

Un grand merci à tous, organisateurs, participants, propriétaires ou simplement amis venus nous assurer de leur soutien.