Plongée de décembre 1991 dans l’Aven de la Leicasse.

Réseau des Sidomanes.

L’aven de la Leicasse est l’une des cavités majeures des Grands Causses. Elle étend ses 13 000 mètres de galeries sous la montagne de la Seranne, dans l’Hérault jusqu’à plus de 300m de profondeur.

Plusieurs ruisseaux souterrains y circulent. C’est le cas de l’affluent des Sidomanes.

Cet affluent, perpendiculaire à l’axe général des galeries, serait les plus important des cinq ruisseaux rencontrés dans la cavité, dont les potentialités spéléologiques avaient été confirmées par une plongée précédente.

D’ou l’organisation de cette plongée avec un double objectif : exploration-topographie.

Après un dernier salut aux collègues grelottants de froid au bord de la vasque, je m’immerge dans un concert de glou-glous. Pour moins de temps que prévu car la première voute, même pas mouillante, précède un court lac où le sol argileux affleure par endroits.

Le premier siphon mesure réellement 20m de long pour deux de profondeur. Inutile de préciser mon étonnement devant cette distance trois fois moindre. Mais le fil, amarré au bord de la vasque, confirme qu’il s’agit bien de la sortie et non d’une cloche d’air.

J’ignorais alors que les surprises ne faisaient que commencer.

Dix mètres plus loin, l’écoulement s’extrait d’une belle vasque bleutée. Le second siphon débute par un couloir incliné, suivant un sol calcité qui se stabilise à la cote –2. Un redan vertical me ramène dans l’autre élément.

Théoriquement, 200m de conduits devraient conduire au troisième siphon, long de 110m, passé lequel 80m rejoindraient le quatrième et dernier.

Au-delà, l’exploration allait pouvoir commencer.

La progression s’effectue à présent dans un méandre surcreusé où l’eau cascade de gour en gour. Les passages bas et aquatiques se succèdent, contraignant aux contorsions les plus diverses. Un coude plus étroit nécessite de décapeler le bi dorsal, puis la vasque apparaît.

Bizarre, ces 200m sont passés un peu rapidement pour être honnêtes.

Une cascatelle clapote dans un ron-ron régulier et berce la séance de reéquipement. Un dernier regard à la galerie exondée, puis je me laisse glisser le long du fil en ajustant de temps à autre la trajectoire d’un coup de palme.

Le conduit plonge régulièrement, les dimensions sont plus importantes que celles des siphons précédents. Et le sol est recouvert d’un épais tapis d’argile compacte. A environ 25 mètres du départ, une arche rocheuse divise la galerie dans la largeur. Sur la gauche, l’amarrage du fil sur un becquet.

Alors là, je n’y comprends plus rien, me voici au terminus alors qu’il devrait encore y avoir 200m à parcourir

Peut-être que le plongeur précédent a rembobiné son fil sur le retour, mais alors, pourquoi se serait-il arrêté à une vingtaine de mètres de la sortie ?

Toutes ces interrogations restent en suspend, quand j’avance dans la galerie après avoir rabouté mon fil. Très vite, je renonce à ma bouteille-relais qui monopolise une main alors que l’autre tient le dévidoir.

Vu la nouvelle configuration, elle devient inutile. Certes, ça ferait une sécurité supplémentaire en cas de problème, mais elle aura tot de même mobilisé deux copains (un à la montée, l’autre à la descente) pour pas grand chose. Si j’avais été au fait de la réalité des " difficultés ", je n’aurais pris qu’un bi dorsal.

Une quarantaine de mètres plus loin, à la cote –15, une diaclase étroite (80cm) et très propre vient recouper perpendiculairement le conduit. Le fond, cinq mètres plus bas, est encombré de cailloutis grossiers et contraste avec les autres passages immergés.

Après deux essais infructueux pour fractionner le fil dans le passage le plus large, j’atteins la pente de galets.

Le profondimètre indique –22 mètres. Au-delà, la galerie, semblable au début du siphon, remonte en s’élargissant.

L’argile est à nouveau présente, sauf dans une seconde fracture, perpendiculaire elle aussi au réseau.

A 135m, le conduit se réduit brusquement, puis se divise en deux branches émergeant dans des cloches sans suite. D’importants dépots d’argile compactés au plafond attestent de mises en charge.

Il semblerait que le drain principal ait été capturé des fractures récentes. Fractures restées claires lors du retour, alors qu’ailleurs le " rideau " était tombé.

Quant aux côtes annoncées par le plongeur précedent, le mystère demeure.

Quelques souvenirs du retour, qui s’entremèlent ? Tout d’abord les retrouvailles avec Quichou et Laure à l’entrée du siphon.

Ca fait tout drôle de retrouver là des copains différents de ceux qu’on a laissés en partant. Puis avec Claude, Olivier et Bébert dans le méandre et enfin Manon, Thierry et Jack à la salle du bivouac.

Fidèle à elle-même, Laure remontera une bouteille en un temps record, Jack, pour sa première sortie avec un kit, sortira la seconde, Thierry et Manon la troisième, Margot, bien que fracassé aidera pour la remontée, tout en courant après Michel et Guy qui avaient équipé la cavité à l’aller. Jean échange son kit vide contre un bien plein à la base du grand puits, suivi de prêt par Dodo. Claude, le pin’s, exhibera son torse velu, alors que Quichou ; bien que fatigué par ses nuits fièvreuses de la semaine précedénte, assurera le déséquipement avec Bebert et Spontex, à l’étroit dans sa combinaison malgré ses kilos en moins (régime militaire). Pendant ce temps, l’ami Eric vomira ses tripes en surface.

De l’action conjuguée venus en baver, car c’est bien de cela qu’il s’agit, dépendait la réussite de cette plongée.

Le résultat est celui de toute une équipe, et non pas seulement du plongeur de pointe, du dernier maillon de la chaine.

La réussite d’une action de ce type n’aurait pu s’envisager sans le concours spontané des copains spéléos issus d’horizons géographiques divers, pour prendre part à l’exploration.

En effet, les exigences pratiques d’une plongée fond de trou dépassent bien souvent le cadre d’un club. Les portages, longs et pénibles, nécessitent des gens de qualité, désintéressés et fiables.

C’est à une équipe de copains, soudés par la même approche de la pratique spéléologique et par la sueur transpirée ensemble que l’on doit la réalisation de cette exploration.

Engagement et confrontation aux difficultés que chacun affronte individuellement mais qui concernent tout le groupe, crée des amitiés solides et authentiques.

Depuis cette plongée, nombreux sont ceux qui ne vont plus sous terre. Ils sont toujours des amis.

Frank Vasseur.