Emergence du Ressel

1980 - 1990

 

par Olivier Isler


Dans l'émergence du Ressel (Lot). Photographie O. Isler.

paru dans Spelunca n°41 de mars 1991


Dimanche 12 août 1990, 15 h 50, le premier siphon du Ressel est franchi: une étape importante dans son exploration et la fin d'une longue période de revers et d'obstination.

Petit retour sur le passé

En août 1980, Claude Magnin et moi-même atteignions 1000 m dans des conditions de visibilité moyenne (moins de 10 m) pour la source. Ceci en deux jours d'exploration, avec un bi 2 x 20 1 sur le dos et un relais ventral. Le propulseur était utilisé jusqu'au terminus précédent, puis on déroulait à la palme.
Huit mois plus tard (voir Info Plongée n°31 + Spelunca n°4), Jochen Hasenmayer réussissait en 2 plongées à atteindre 1755 m (-20 m). Sa seconde immersion reste certainement la plongée la plus performante de l'époque et nous ne pouvons que lui tirer, rétrospectivement, un grand coup de chapeau pour cet authentique exploit. La barre était donc placée très haut, toute continuation ne pou-vant s'effectuer que sous paliers; ce siphon ne devenait en aucun cas le lieu de prédilection des obsédés de première facile.

Alors pourquoi tant d'énergie à vouloir continuer ?
Pour la beauté du siphon tout d'abord. Lorsque les conditions sont bonnes, la vision de la galerie profonde est un spectacle d'une rare qualité. De plus le paysage est très varié au cours d'une plongée (puits, ressaut, galeries d'aspect changeant). D'autre part, nous désirions poursuivre l'étude de ce réseau commencée en 1979. J'ajouterai enfin qu'un article "grand public" d'un certain plongeur parisien contribua également à galvaniser notre désir de progression. En 1982, première tentative au printemps, avortée rapidement, car si l'eau est claire, le courant violent est un obstacle trop conséquent.

Eté 1982, 15 jours sur place. La visibilité suffisante les deux premiers jours (10-15 m) se dégrade rapidement avec la venue des orages. Les conditions limite qui s'ensuivent gênent considérablement les opérations. Dépassant 1000 m, Claude Magnin s'engage dans la suite du conduit. A 1130 m, le carrefour des deux galeries, Claude choisit celle qui, logiquement, devrait être la bonne. A 1400 m, demi-tour. Après discussion, nous avons la certitude que le conduit n'est pas le bon. Confirmation le lendemain par une plongée au départ de 850 m qui permet de récupérer le dévidoir 200 m plus loin. Tout est à reprendre et nous n'aurons plus assez de temps. Eté 1985, conditions excellentes, mais échec à nouveau, faute de participants en pointe (capables d'équiper à plus de 800 m). Eté 1987. Eté pourri. Visibilité de 4 à 5 m au début, descen-dant en 2 à 3 jours à moins de 2 m à cause des pluies qui n'en finissent pas. On replie une nouvelle fois.

Eté 1988, la décision de réattaquer la source en juillet ne semble pas pertinente car nous n'avons même pas besoin de descendre sur place, la crue du Ressel nous économisant le déplacement.
Conclusion: ça commence à bien faire !

Nous décidons, après moult hésitations, d'effectuer une ultime tentative en 1990.
Exploration du 1er au 12 août 1990
Mis à part les 100 premiers mètres très troubles par l'irruption des eaux turbides du Célé, les conditions de visibilité sont excellentes (sécheresse extrême). Les débuts sont plutôt laborieux (canicule) avec des températures de plus de 35 degrés sur le causse, retardant les plongées et rendant toute mise à l'eau éprouvante. Depuis le point 470 m, tout est à refaire du point de vue équipement.

Vendredi 3
Pascal pose 110 m de fil à la palme (plongée de 2 h 30). Le même jour, Jojo rajoute encore 140 m et arrive ainsi à 720 m (2 h 15 de plongée). Dimanche 5
A mon tour. Je teste en siphon le RI 2000 "autonome". De plus, j'emporte sur le porte-bagages du Zepp un RI ventral de secours.
Beaucoup de problèmes (trop lourd, mauvaise équilibration du RI, etc.) gênent la progres-sion. Résultat: 110 m de dérou-lé, une vraie misère ! (plongée de 2 h 45).
Lundi 6
Au tour de Jojo qui part avec 2 relais 15 1 et un tri 18 1 sur le dos, chevauchant son "Superzepp" ! Manque de chance, dès le départ, au fond, le détendeur du ventral déclare forfait. A 890 m, pas possible d'équiper le shunt en scooter. Il doit continuer à la palme. Il atteint le point 980 m (5 h 15 de plongée).

Mardi 7
Je remets la compresse. Impression d'aller au charbon. Les enseignements tirés de la remarquable prestation du dimanche s'avèrent payants. A 890 m, dépôt du RI de secours (pris en ventral cette fois-ci). Je déroule au Zepp sans problème jusqu'à la fameuse intersection. La galerie latérale aboutissant en rive droite du conduit, il serait logique que son départ amont soit du même côté. Eh bien non, car des morceaux du fil de Claude Magnin sortent du conduit que je désirerais emprunter. Je m'enfile donc en rive droite dans une galerie de dimensions très moyennes (2 à 3 m) qui progressivement s'agrandit pour devenir très grosse et approximativement aussi haute que large (6 à 8 m). Arrêt à -74,5 m sur profondeur limite pour le mélange prévu à l'origine pour 68-70 m maximum. Distance 1400 m, plon-gée de 6 h 22. Décompression intégralement sur le RI 2000.

Jeudi 9
Au tour de Cyrille de rééquiper. Il ressort 2 h 21 plus tard, un gant et un genou prenant l'eau à la suite d'une sérieuse expli-cation avec son mustang récal-citrant (pépin classique du Zepp qui ne veut plus s'arrê-ter). Changement de tous les contacts du relais dans l'après-midi.

Vendredi 10
Redépart avec quadri 20 1 sur le dos, 2 relais à 500 et 700 m + un secours à 560 m. Cyrille atteint la base du grand puits remontant à 1500 m et pose son Zepp. Au sommet du puits, cela se trouble quelque peu (bulles au plafond). Il continue jusqu'à 1610 m après
avoir suivi une galerie plus petite, dont la face inférieure est en forme de U et le plancher garni de belles marmites d'érosion. Du fil de Hasenmayer, il ne reste que quelques bribes par-ci par-là. Plongée de 6 h 15.

Dimanche 12
Seule tentative possible, d'où pression énorme sur les épaules. Tout échec remettrait en question l'important effort consenti jusqu'ici (plus de 25 h de plongées uniquement en rééquipement, abstraction faite des nombreuses plongées de portage). Départ pénible (chaleur). A partir de 200 m, tout fonctionne mieux. Arrivée à 1610 m en 36'. Je déroule encore un peu plus de 100 m et dépose le Zepp et le ventral RI au pied de la zone remontante (-42 m). A -35 m, début des paliers. Moins 30 m, en regardant au-dessus et autour de moi, je constate que je suis dans un volume important, ce qui sera confirmé par la suite. A -21 m, je distingue la voûte qui se situe au moins 10 m plus haut. Les rares bulles que j'émets donnent l'apparence de petits miroirs de surface en se collant au plafond. Au delà de - 21 m, l'inclinaison de la pente (presque verticale jusqu'ici) diminue nettement. A -18 m, une galerie s'ouvre devant moi, à l'extrémité de la vaste salle où j'ai commencé la décompression. Je déroule une trentaine de mètres (en première !) et atteint -15 m. Le conduit est le plus souvent spacieux: 4 à 5 m de large, 3 à 4 m de haut. Sur le fond, de fréquents dépôts de sable fin avec "ripplemark" confirment la présence d'une circulation d'eau. La galerie continue à -15 m sur une cinquantaine de mètres, puis un léger ressaut dans un virage ramène à -12 m. Passage à l'oxygène pur. Un peu plus loin, arrivée à -9 m, dans une zone où le plancher commence à être recouvert de gros blocs provenant du plafond. Devant moi, un talus à 45°, véritable éboulis de blocs instables. Arrivée à -6 m. Une belle surface au-dessus de moi. Commence l'interminable décompression (75') à cette profondeur. Les 30 dernières minutes paraissent écourtées suite à la vision des ébats d'un beau spécimen d'aselle ? (queue en éventail ressemblant à la nageoire caudale d'une langouste).

Et c'est la fin des paliers. Remontée très lente. Trois minutes d'arrêt à -3 m, puis je crève la surface 4 h 9 après le départ, approximativement 110 m au delà du terminus de Hasenmayer. Le plan d'eau, plus large que long, mesure environ 8 m par 5. Le sommet de la pente ébouleuse se situe approximativement 2 m au-dessus de la surface, alors que le plafond culmine à 4 m de hau-teur. La galerie exondée n'est donc pas très haute, environ 2 m, vu l'encombrement de sa partie inférieure. Le siphon 2 commence-t-il rapidement plus loin ? Une "gueulante" semble me démontrer que le volume aérien est relativement important. Alors ?
Hydratation et sustentation rapides (raisins secs + pâtes de fruits), dans une position inconfortable, car l'éboulis instable ne permet pas de se poser sur un quelconque replat. Départ 16' après l'émersion. Curieuse impression d'avoir de la peine à me "remettre dans le bain". Ce n'est qu'à -42 m où je reprends le ventral RI et enfourche le Zepp, que je retrouve la concentration nécessaire à la suite des opérations. Le haut du puits est un peu touillé (3 m de visibilité) par nos allées et venues. Passage au mélange ternaire. Au bas du puits, je dois m'écarter du fil et la mau-vaise visibilité complique la manoeuvre. Je descends un peu bas et effleure le sol d'une palme en remontant sur le scooter. Profondeur: 79,4 m. Le plancher est donc à plus de 80 m de profondeur. Départ et retour sans problème. Emersion après 10 h 35 de plongée. Malgré l'heure tardive, il y a du monde et de l'ambiance à la sortie !

Données techniques (plongée pointe)

Scaphandre: RI dorsal "évolu-tion 2" + ventral (voir présenta-tion du RI 2000 dans Spelunca n°39) avec 6 bouteilles, soit: mélange fond 2 x 20 1 (18 et 30% He) + 1 x 12 1 à 40% He (secours, problème); paliers:1 x 12 1 suroxygéné à 48% et 2 x 4 I d'oxygène pur. On remarque que la sécurité porte sur le mélange de fond (3 bouteilles utilisables). En cas de pépin avec une bouteille de palier, cela signifie évidemment un retour sans possibilité de poursuivre la décompression amont.


Déroulement de la plongée

Départ sur oxygène pur jusqu'à 200 m. Prise du Zepp et continuation sur les différents mélanges (aucun relais en dépôt ou secours), dépôt du RI ventral à 1730 m (-42 m). Au retour, décompression réalisée presque intégralement sur le RI dorsal (20' d'oxygène au narghilé à la sortie).

Bilan - perspectives futures
La réussite de l'exploration est due à un ensemble de facteurs dont l'utilisation du RI 2000 constitue le plus déterminant. Le franchissement du Ressel aurait-il pu se réaliser en plon-gée classique? (En calculant juste, la décompression amont par exemple exige 6 m3 (sur-oxygéné + oxygène) en circuit ouvert). Sans être impensable, l'investissement humain aurait été considérable: relais jusqu'à plus de 1000 m + secours, quin-tibouteilles, double Aquazepp (qui ne présente ici d'autre avantage que celui de la sécuri-té). Il est à remarquer égale-ment que le temps de plongée jusqu'à la zone de paliers en amont aurait été notablement augmenté par les changements de relais et découplages-recou-plages multiples du double Zepp, d'où influence sur la durée de ces paliers. On notera enfin les problèmes de sécurité au niveau consommation (une plongée 3 fois plus longue était possible en théorie avec le RI) et de pertes caloriques respira-toires (fortement diminuées par le recyclage).
La suite de l'exploration semble donc très difficile à imaginer en plongée classique. Je déconseillerai également à un plongeur solitaire de l'effec-tuer, ceci pour deux raisons. Premièrement, la sortie sur l'éboulis instable ne sera pas une sinécure. De plus, le moindre incident peut s'avérer
gravissime de par ses consé-quences (longue immersion de retour). Seconde raison: la pré-sence d'une surface. Cela signi-fie qu'en cas de problème en amont, une opération en secours sera lancée, d'où prise de risques par une équipe qui devra lutter contre la montre pour une réussite très aléatoire. Ceci dit, à 2, en semi-fermé ou fermé (type Cis-Lunar) la suite promet de ne pas être triste !

Participants à l'expédition 1990

Angleterre: Russel Carter, John Cordingley, Malcolm Foyle, Murray Knapp.
France: Philippe Bompas, Maurice Chiron, Patrick Froussard, Georges Grime, Jean-Michel Roux, Jean-Luc Soulayres, Jean-Pierre Stefanato, Gérard Truffandier. Suisse: Cyrille Brandi, Pascal Despland, Guilherm de Gendra, Olivier Isler.
Remerciements à Gérard Lowitz pour son assistance extérieure et au club H2O pour l'efficacité de l'organisation logistique.