LE RUNLADOU (prononcer « ronladou »)

 

 

par Denis Lorain - Août 1975 -

 

 

Le Runladou n'aurait jamais été accessible sans le travail des spéléologues Ardéchois. Je veux parler de cette expédition que nous avions organisée en août 1975, parce que nous y avons découvert une merveille ! Nous avons fait plusieurs incursions à l'intérieur de ce réseau et, pour ce qui est de la première fois que nous y sommes allés, je peux dire que, personnellement, je n'en croyais pas mes yeux !

Ce site est près du peyrol de Beaulieu, proche d'une voie ferrée, plus haut, près d'une falaise. Les Ardéchois, connaissants les résultats, nos échecs, dans le peyrol de Beaulieu, on fait des recherches aux alentours et repéré un trou souffleur. Nous suivions leurs travaux de très près, en relation avec eux, depuis Lyon ou lorsque nous étions en Ardèche. Pensant qu'il y avait peut-être un lien entre ce trou et le peyrol de Beaulieu, patiemment, à l'aide de petites charges de dynamites, ils ont foré un passage dans la roche. Des jours de travail pour réaliser un passage au pied de cette falaise. Au final, ce conduit, un trou d'homme comme on dit, était creusé sur presque 10 mètres de profondeur et descendait presque à la verticale, pour aboutir dans une vaste salle. Les spéléologues avaient déjà exploré cette nouvelle grotte, topographié et regardé toute les possibilités de continuation. Ils nous ont fait part de la présence d'un lac souterrain.

Tout le reste du réseau étant presque totalement exploité au niveau des renseignements qu'ils pouvaient ramener sur cette grotte. Des semaines qu'ils travaillaient dans ce trou en passant par l'entrée artificielle qu'ils avaient crée.

A nous de jouer et d'aller plonger dans ce lac, pour aller explorer la seule inconnue de cet endroit qui n'aurait jamais été pénétrable sans eux et leur travail d'artificier. Il fallait le faire, créer cette galerie à petits coups d'explosifs ! Quelle endurance et quelle patience !

J'avoue que la descente dans la galerie artificielle qu'ils avaient créee était hallucinante ! Nos sacs de matériel, les scaphandres et tous nos équipements, reliés à nous part des laisses, étaient devant nos pieds. Le trou était vraiment très étroit et on poussait toutes nos affaires devant nous. Ça coinçait vraiment et parfois, on se prenait l'équipement du suivant sur le casque ! Je ne vous parle même pas de la remontée de cette galerie, alors que là, on tirait notre matériel derrière nous pour revenir vers la surface !

Nous n'avons pas trouvé de lien avec le peyrol de Beaulieu par la suite. Cela n'avait rien à voir, mais quel réseau magnifique et un parcours chaotique à parcourir pour arriver jusqu'au lac souterrain de cette grotte !

UN LAC SOUTERRAIN, D'UNE BEAUTÉ SURPRENANTE

La première fois que nous avons passé cette entrée crée par nos collègues Ardéchois, ils avaient déjà tout équipés, ce qui nous évitait un gros transport de matériel.

Nous sommes partis dans ces galeries en direction du lac qu'ils nous avaient signalé. Après le franchissement de l'étroiture, on avait des échelles à descendre. Là, on arrivait dans une salle grandiose ! Elle avait des dimensions impressionnantes. Presque comme un terrain de football et plusieurs dizaines de mètres de haut ! Mais il fallait que l'on continue dans toutes ces galeries déjà répertoriées par les spéléologues, pour faire l'approche de ce lac.

La progression a été très dure, sur des roches et des failles dangereuses. Tout était équipé de cordes, mains courantes, d'échelles déjà installées pour leurs explorations. Mine de rien, le lac était loin de l'entrée et avec nos lourds équipements, ce n'était pas facile !

Nous sommes arrivés enfin auprès de ce lac. C'est là qu'était la merveille. Je me suis assis sur des rochers. J'ai sifflé d'admiration ! Assis sur les roches alentours je regardais ce lac. Oui, c'est vrai, j'ai sifflé d'admiration !

Ce lac devait faire 30 à 40 mètres dans ses plus grandes dimensions. Bien sûr, avec la lumière de nos casques tout n'était pas simple à évaluer.

Je me croyais vraiment en pleine nuit, dehors, au bord d'une étendue d'eau et le plus surprenant, c'était la voûte rocheuse, plusieurs dizaines de mètres au-dessus de nous. La voûte brillait de milliers de points lumineux. L'éclairage de nos casques nous renvoyait l'image d'un ciel étoilé, par une belle nuit d'été ! C'est une vision que je n'oublierais jamais, tout ce paysage souterrain qui ressemblait à s'y méprendre à une nuit au bord d'un lac, ou même sur le rivage d'une mer, avec un ciel sans nuage et plein d'étoiles ! Dans un moment comme celui-ci, on oublie toutes les fatigues et les difficultés endurées pour arriver jusque là. Trop beau !

ALLER VOIR LES PROFONDEURS DE CE LAC

Comme souvent, pendant nos réunions de préparations, deux volontaires avaient été pris et désignés au hasard ! En fait ce que je dis, ici, est une façon de parler.

Ne pas s'y tromper, tout le monde était là : Daniel B., Henri P., Henri B., Marcel, Bob, Serge, Pépé et moi ! Les copines étaient restées à l'extérieur pour être, comme d'habitude, notre équipe de soutien !

Au bord de ce lac nous nous sommes rendu compte que notre dérouleur et la signalisation n'étaient pas faciles à installer. Nous avions prévu autre chose dans nos sacs de matériel. Une bobine de fil en nylon, très fin mais solide, d'une centaine de mètres :

« Bon, disait Bob, faut y aller pour voir !

•  Oui, répondait Pépé, vous êtes près Henri et Denis ?

•  Ok, ça marche, leurs avons-nous répondu. »

Nous étions, Henri et moi, les deux volontaires pris au hasard ! Nous avions déjà déposé nos casques et capelé nos scaphandres et nos ventraux de secours. Les combinaisons néoprène, nous les avions mises avant même d'entrer dans cette grotte. On regardait ce lac Henri et moi. Tout était magnifique, les eaux étaient noires, mais cette voûte qui semblait étoilée avec ses points lumineux était formidable ! Les copains restaient sur les rochers du rivage et nous nous sommes mis à l'eau :

« Je passe devant, me disait Henri

•  Ok, Henri, va voir ! »

Nous sommes partis en surface. Il était grand ce lac. J'avais la bobine de fil de nylon avec moi. Nous avons fait le signe « tout va bien », notre signal de surface, aux copains. Maintenant à nous de jouer :

« J'y vais, me dis Henri

•  Ne t'inquiète pas Henri, va s'y et je te contrôle avec notre fil d'Ariane !

•  A tout à l'heure Denis ! »

Henri a fait un « canard » et je le voyais disparaître sous l'eau. Je tenais bien le fil de nylon par une main et laissais se dérouler la bobine. Je sentais très bien les mouvements d'Henri et apercevais la lueur, très ténue, de son phare, en profondeur. Les copains attendaient sur le rivage. Ils étaient, eux aussi, équipés de leurs tenues de plongées. Nous avions tous amenés nos tubas et cela me permettait de suivre Henri, sans consommer d'air sur mon scaphandre. Henri cherchait et on peut dire qu'il me promenait sur la surface et les bords de ce lac ! Je voyais à peine la lumière de son phare par moment. Il en était à 15 minutes de plongée. Parfois, j'avais du mal à discerner la lumière de son phare, je regardais cela en tenant ce fil d'Ariane.

30 minutes plus tard, avec mon masque, le regard fixé sous les eaux de ce lac, je voyais Henri remonter vers moi. J'enroulais le fil de nylon, à mesure de ça remontée. Henri faisait son palier de sécurité de 3 minutes, 3 mètres en dessous de moi. Je le voyais bien, avec mon phare et la lumière du sien. Henri est revenu en surface près de moi. Nous étions un peu loin des copains qui attendaient, alors que nous n'avions pas de moyens de communiquer, nous étions complètement à l'opposé du lac par rapport à eux :

« Alors Henri ?

•  Attends un peu, c'est difficile !

•  Il y a quoi là-dessous ?

•  Passe-moi la bobine de fil et vas voir ! »

On discutait tranquillement, Henri et moi, pendant qu'il se préparait pour que je fasse une plongée à mon tour. J'étais près et lui demandait simplement :

« C'est vraiment merdique là-dessous ?

•  Oui, m'a répondu Henri, fais attention et regarde bien, moi je n'ai pas trouvé de solution !

•  Ok Henri…

•  On en reparlera, après, quand tu seras revenu !

•  A tout de suite Henri ! »

Un petit signe « tout va bien » aux copains qui nous observaient de l'autre coté du lac et je suis parti voir plus bas ! Partant pratiquement bord du lac, je descendais doucement, tête vers le bas. L'eau était belle et claire. Je remarquais rapidement les traces du passage d'Henri, car vers 15 mètres de profondeur, cette fois l'eau était poudrée par endroit. Imaginez le paysage sous-marin que je découvrais !

Je découvrais de vraies montagnes de roches recouvertes d'épaisses couches de glaise. Quand je le pouvais je me faufilais entre deux « montagnes », pour descendre dans une sorte de vallée. Dans ce cas, on se sent un peu comme un oiseau qui survole un paysage montagneux. Sauf que là, il faut être habitué à faire ce genre de plongées ! On a tout de même un peu de stress et d'angoisse. Ici pas de couleurs charmantes, mais des passages obscurs, noirs.

Henri avait raison, difficile de trouver une solution de continuation. Je poudrais énormément l'eau en palmant dans la glaise. Je changeais continuellement de « vallée » pour atteindre, parfois 30, voir 35 mètres de profondeur. Des bords du lac, je me dirigeais vers son centre. Je trouvais des galeries toutes noires et inquiétantes partant de tout cotés. Je m'introduisais aussi loin que je le pouvais, mais je peux vous garantir que je multipliais les difficultés. Malgré l'angoisse qui nous serre la gorge dans ces moments là, je changeais toujours de trou pour voir. Je me cognais aux rochers, mes chocs contre eux étant amortis par les épaisses couches de terre glaise. Ah cette glaise ! C'est bien la pire des choses pour nous ! Je devenais aveugle à tout instant, je n'y voyais plus rien et avais du mal à évaluer la configuration de l'endroit.

A l'intérieur de l'un de ces trous, j'ai juste eu le temps de voir, sur mon profondimètre, que j'étais à 40 mètres de profondeur. Ensuite, fini la vision. Le nuage de glaise, brassée par mes palmes, me retombait immédiatement dessus. Je pouvait évaluer les dimensions de cette galerie, tout simplement en me cognant de toute part dans les rochers. J'ai compris que tout devenait trop étroit. Je devais me trouver à plus de 40 mètres de profondeur, plus de 30 minutes de plongée. J'avais du mal à voir mes instruments, c'est vous dire ! Cette fois, il fallait que j'arrête. J'ai bien compris qu'entre l'exploration d'Henri, avant moi, et celle que je venais de faire, tout semblait impossible ici.

Je faisais retour doucement et Henri a compris que j'allais revenir. J'ai senti les légères tractions sur le fil d'Ariane à mon poignet. Heureusement que j'avais ce fil, je n'y voyais plus rien du tout et me cognait de partout. Pour mon pauvre scaphandre et mon ventral, je me faisais la réflexion qu'il faudrait que je leur remette une couche de peinture, tellement ils devaient être rayés !

Enfin ressorti de cette galerie problématique, j'y voyais un peu plus clair.

Je m'approchais de la surface du lac et commençait à entrevoir la lueur du phare d'Henri. Je devais faire un 1 er palier de décompression de 2 minutes à 6 mètres. Le 2 ème palier, je l'ai fait un peu plus court en temps, 15 minutes à 3 de profondeur, j'aurais du le faire un peu plus long, environ 25 minutes. Mais bon, j'ai fait une bonne moyenne ! Je suis revenu en surface près d'Henri :

« Alors Denis, ça t'a plu !

•  Oui Henri, pas mal ce truc ! Je répondais en riant.

•  C'est dingue Denis, tu as été jusqu'où, des moments je ne voyais plus la lumière de ton phare !

•  Je me suis engagé dans des galeries, mais tu avais raison, c'est vraiment merdique !

•  Tu penses quoi de tout ça, Denis ?

•  On va rejoindre les copains, Henri et on va faire le point, mais je crois que l'on a aucune chance de découvrir une continuation dans ce lac, dommage, c'est tellement beau !

•  Ok Denis, mais au-dessous c'est moins chouette !

•  Vrai Henri, pas marrant du tout dans ces profondeurs !

•  Allez, on rejoint les autres ! »

Nous avons effectivement fait le point avec les copains. Après les explications d'Henri et de moi-même, personne n'a ressenti le besoin d'aller tenter sa chance, pour voir s'il y avait des possibilités. Ils nous ont fait confiance. Nous sommes tous repartis un peu déçu, avec nos collègues Ardéchois. Tellement de moyens mis en œuvre pour le résultat obtenu. Mais c'est souvent comme cela en spéléologie et en plongée spéléologique. Depuis, d'autres équipes ont du refaire des explorations. J'ignore s'ils ont pu continuer plus loin. Il est possible que de violentes crues aient pu désobstruer des galeries et rendre l'exploration plus facile.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Une vue du peyrol de Beaulieu, pas très loin du runladou.


Je suis sur une des échelles des spéléologues Ardéchois. C'est Juste en sortie de la galerie forée, l'arrivée dans la grande salle se trouvant un peu plus bas.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


L'approche du lac, dans les galeries du Runladou. Vous pouvez remarquer, sur cette photo, que ce n'est pas simple du tout, avec le scaphandre sur le dos. Le reste du matériel est à l'arrière, dans nos sacs. On se passe tous nos sacs, les uns aux autres, à mesure de la progression, dès que l'un d'entre nous est dans une position plus confortable !

 

 


Pas très loin du lac. Henri P. est à gauche, au milieu c'est Guy. A droite, Marcel. Ils s'occupent à régler de petits ennuis de matériel, un casque en panne. Nettoyage de la buse acétylène !