Plongée de 1993 par Michel PAUWELS



Extraits de " Regards " n°12, revue de l'Union Belge de Spéléologie.

La descente se déroule sans anicroche jusqu'à -45 où je shunte sur le mélange fond, abandonnant la bouteille d'air comprimé sur la corde. Par chance, malgré la visibilité réduite à 1m au maximum, je repère ensuite rapidement la corde qui file vers le fond, et le bidon qui lui sert d'amarrage. Le raboutage effectué sans encombre, la descente peut continuer.
-60, -70, -80, -90 … le fil est rigoureusement vertical et parfaitement tendu. De temps en temps, je frôle une paroi, mais la descente se fait essentiellement dans le " bleu ". Le bi 20 alourdi de plombs, hélium oblige, pousse au cul et je m'efforce de contrôler la descente à tout instant. Pas le moment de se laisser entraîner !

Vers -100, absorbé par la contemplation de l'Aladin qui passe de 99 à 1, je ne remarque pas immédiatement la transition qui s'opère autour de moi. Lorsque je relève les yeux, soudain, l'eau est devenue limpide. Une visibilité parfaite, aussi loin que mes lampes puissent porter (5 à 6 mètres). Il me semble progresser dans une sorte de vaste tube d'environ 10 mètres de diamètre aux limites imprécises. Seul le contact de la paroi, que je continue à toucher de temps à autre à gauche ou à droite, me donne une idée des dimensions.
-110. Tiens, le fil continue encore ? Aurais-je eu des prédécesseurs inconnus ? Peu vraisemblable dans un lieu où les visites sont aussi strictement règlementées. Pourtant, dans une perspective d'une verticalité à donner le tournis, le guide continue à s'enfoncer à perte de vue. Les manos, quant à eux, commencent à baisser de manière significative. La fin de la plongée est proche, et toujours ce fil qui n'en finit pas…
Enfin, une masse cylindrique apparaît en bout de fil dans le faisceau de mes lampes. Un lest ! Le câble que j'ai suivi était celui d'une sonde, et non un fil d'Ariane (…)

A -35, un plongeur tchèque vient me faire coucou et s'enquérir de mon sort. Il y a un peu plus d'une heure que je barbote, et nous avons convenu qu'à partir de cet instant, ils se relaieront d'heure en heure pour surveiller la remontée. Y'a pas à dire, c'est rassurant. Aussi, lorsqu'une heure plus tard mon stock d'air et de lumière touche à sa fin, je n'éprouve aucune inquiétude : un simple message à passer au visiteur suivant, et je recevrai rapidement tout le nécessaire… C'était compter sans les problèmes de compréhension, réels quand il s'agit de s'exprimer sous l'eau dans une langue intermédiaire que ni mes interlocuteurs, ni moi-même ne maîtrisons pleinement. Trois quarts d'heure plus tard je me trouve encore à -18 et toujours rien ! (…)
A -15, je sais pouvoir compter sur le narguilé oxygène qui est tout juste assez long, en tirant un peu… Mais c'est une solution boiteuse, car l'oxygène ne devrait commencer qu'à -12. Quelques minutes d'Oxy et toujours personne. Cela ne peut durer comme ça ! Il ne reste qu'une solution : remonter en catastrophe (j'ai droit à une minute, pas une de plus), gueuler un bon coup pour obtenir ma bouteille d'air, et plonger fissa aux paliers.
On peut dire qu'ils en ont fait une de tête, les gens de la surface, quand ils m'ont vu émerger ! Un vrai coup de pied dans la fourmilière : ça a commencé à s'agiter de tous les côtés, mais je ne me suis pas attardé pour contempler l'effet produit (…).

Par Michel Pauwels, extrait de Spéléo n°16, p.1.

C'est en 1981 que le gouffre de Hranice sort de l'anonymat. Cette année-là, deux plongeurs tchèques (L.Benyesek et Fr. Travenec) y atteignent la profondeur respectable de -110 m au cours d'une plongée aux mélanges qui a du leur laisser des souvenirs épiques…
Par la suite, le gouffre n'a cessé d'exciter les imaginations, tout en recevant un aménagement confortable, pour servir de base d'entrainement aux plongeurs spéléos de la région.
Pâques 1992, une première reconnaissance m'avait permis d'atteindre la côte -130m, arrêt sur fin d'autonomie. L'objectif de l'année suivante est d'atteindre la cote -150, limite autorisée par les tables dont je dispose actuellement.
Les 24 et 25 juillet 1993, une équipe belgo-tchèque composée de plongeurs et de spéléos des clubs Labyrint de Br,no et Hranicky Kras d'Olomouc, plus Marc Van Espen et moi-même s'active à descendre dans la doline, à l'aide d'un treuil, un imposant matériel rassemblé pour la circonstance, puis à le mettre à l'eau.
Le 25 à midi, je m'enfonce enfin dans l'eau pétillante pour une plongée qui allait durer sept heures trente. Au long de la corde mise en place, les bouteilles de palier s'égrennent comme un chapelet dans une visibilité parfaite. A partir de -60, niveau du dernier relais, il n'y a plus que le fil de la sonde qui s'enfonce à perte de vue dans les profondeurs abyssales.
La descente continue. Jusqu'à -80, avec l'aide d'un phare puissant, je distingue la paroi opposée, à une quinzaine de mètres. Ensuite, le gouffre s'ouvre en entonnoir inversé et il ne reste plus qu'une sensation de verticalité absolue.
Seules les indications du profondimètre permettent d'avoir conscience de la progression, et la cote -100 est atteinte sans encombres.
Ca continue. -120, -130, -150 … il me reste encore un peu de temps par rapport au timing prévu ! J'en profite pour tâcher de discerner quelque chose, une paroi, un redan… en pure perte.
Pourtant quelque chose arrête la sonde à -170 et nos amis tchèques aimeraient tellement savoir quoi ! Serait-ce le fond, ou un simple palier ?
Tandis qu'Aladin, mon profondimètre électronique commence à débloquer, et que les craquements des batteries qui implosent doucement me rappellent à l'ordre, j'essaie encore de gagner quelques mètres en écarquillant les yeux. Il n'y a rien, aussi loin que porte le phare dans cette eau limpide.
-155m. Arrêt absolu affiché par mes tables. On attend la suite…
Cette opération a bénéficié du soutien de la firme Diving Surf Marine, de S.C.U.C.L. et de la commission plongée de l'U.B.S. . Que soient remerciés encore Michal Piskula et son épouse pour leur hospitalité à Brno, ainsi que les plongeurs des clubs tchèques, comptant dans leurs rangs les protagonistes des premières tentatives.