Laminako Ziloa : aux pieds de la Pierre.

une plongée à la mesure d’une démesure.

 

« Il te reste encore des crèmes de marron ?

-          oui, je t’envoie ça. Tu veux une autre tasse de thé ? »

 

Conversation anodine, croquée à la faveur d’une pique-nique bucolique ? Presque. A une centaine de mètres de l’entrée, dans l’obscurité d’une émergence majeure de la Pierre Saint Martin, par 7m de fond, sous la surface d’une eau à 7°C.

 

Il est des cavernes particulières, celles dont les caractéristiques marquent une exploration, déterminent une organisation, nécessitent des équipements spécifiques, et forcent, plus que les autres, à l’humilité.

 

L’émergence de Laminako Ziloa est sous-lacustre, phénomène suffisamment rare en France.

Une première plongée des Tritons de Lyon en 1953, alors que la vallée n’est pas encore barrée, révèle son potentiel.

Car l’ennoiement de l’exutoire n’est pas naturel. La vallée de l’Uhaitxa voit l’édification d’un barrage hydroélectrique. Débuté en 1914, rehaussé en 1954 il est mis en service en 1955. Le petit cirque et la puissante fracture d’entrée disparaissent irrémédiablement sous les eaux.

 

Définitivement ? Pas tout à fait. Car tous les dix ans, le lac est vidé afin de procéder au curage du barrage, contre lequel viennent s’agglomérer les éléments charriés lors des crues dantesques, dont les Pyrénées sont coutumières.

 

Si la puissante fracture d’entrée, étirée sur plus de 26m de haut, présage de dimensions hors normes, rien n’est écrit en la matière.

En effet, au terme d’une cinquantaine de mètres dans la faille, une zone d’étroitures sévères, infranchissable en plongée, interdit l’accès au prolongement amont de la source en hautes eaux. Ainsi, de 1953 à 1997, les explorations adoptent une fréquence décennale, dictée par les vidanges.

La chronologie des explorations est indiquée sur la topographie.

 

En 2008, la vidange estivale est confirmée. L’équipe des Crapouillaux (amalgame de plongeurs du sud-ouest de la France) est confrontée à un dilemme cornélien.

 

La profondeur atteinte implique des moyens que les étroitures d’entrée rendent difficiles à mobiliser. La fréquence décennale bride sévèrement les explorations, bien qu’entre deux intervalles, les plongeurs aient le temps de peaufiner leurs techniques et d’approfondir leurs connaissances.

 

Aussi, lorsqu’en 2008 le barrage est à nouveau vidé, l’idée germe dans l’esprit de Brice Maestracci de pérenniser l’accès à la cavité au lieu de prioriser l’exploration. Nos Crapouillaux, emmenés par Frédo Verlaguet, consacrent plusieurs sorties à élargir les passages étroits, pulvériser les obstacles, éliminer les remparts et réaliser un véritable ouvrage de BTP derrière le siphon résiduel d’entrée. Ces heures de concassage, alors que la « première » était à portée de palmes, le point terminal 10m moins profond qu’à la normale, sont à l’honneur de cette équipe laborieuse. Elle préféra ne pas hypothéquer l’avenir et pérenniser l’accès à la cavité, plutôt que de profiter momentanément de la situation.

Quatre jours avant la remise en eau du barrage, et malgré des conditions défavorables suite à une crue (courant important et visibilité réduite), le terminus 1997 de Jean-Paul Guardia est repoussé un peu plus loin et un peu plus profond par son fils spirituel, Brice. Au lieu de remonter,  ça continue de descendre. Le passage du Menhir est découvert par -55m, mais les limites de la plongée à l’air sont largement atteintes. La vidange du barrage se termine, les vannes se referment, il faut rajouter 10m de plus en profondeur….

La profondeur, ainsi que le contexte géologique local incitent nos crapouillaux à inviter l’équipe Plongeesout, avec qui plusieurs explorations ont été entreprises dans ce département les années précédentes.

En 2009, les conditions sont bonnes. Un séjour familial au bord de l’océan est mis à profit pour effectuer une reconnaissance approfondie dans cette cavité exceptionnelle. Le résultat est à la hauteur des attentes : -82 et ça continue, dans des dimensions enviables, à des profondeurs confirmées comme « déraisonnables ».

Cependant, l’exploration de cette résurgence majeure de la Pierre Saint Martin ne fut jamais une entreprise aisée.

 

Le tempérament de braise des Crapouillaux, proches voisins du pays Basque, conduisit à l’organisation d’un camp plus conséquent pour le mois suivant. Nous constaterons ultérieurement que le bénéfice d’une fenêtre météo favorable n’est jamais acquis sous la Pierre. Laminako n’est pas plongeable tous les étés, et depuis 2009 il n’a pas été possible de bénéficier de plus d’un mois de conditions favorables pour des plongées d’exploration.

L’opération d’août 2009 fut un succès : arrêt à –120m surplombant un puits, avec une vue à plus de 130m …

 

Des deux hypothèses sur la morphologie future de la cavité (point bas puis léger pendage ascendant ou failles plongeantes), celle des fractures dégringolantes est validée.

 

L’hiver est mis à profit pour planifier les opérations suivantes, acquérir des chauffages, développer des cloches de décompression, concocter les mélanges gazeux adaptés. Eté 2010 : tout l’équipe est à pied d’œuvre, motivée, les amortisseurs des véhicules sur-sollicités. Pas une goutte n’est tombée sur la Pierre depuis 15 jours, les conditions vont être bonnes, les laminaks vont-ils nous laisser barboter ? C’était sans compter avec les précipitations sur le versant espagnol. Dès le premier jour, la visibilité est inférieure à un mètre, il ne faudra pas compter sur une amélioration notable avant plusieurs jours. Et pour trouver la suite dans un volumineux puits-faille, mieux vaut voir un peu plus loin que le bout de ses palmes… L’équipe se scinde, certains migrent dans le Lot, d’autres sous le Larzac pour d’autres aventures, mais celles-ci sont d’autres histoires.

 

Hiver 2010 et été 2011, personne ne se déplace, il pleut sur la Pierre et les sources expurgent des mètres cubes d’eau à plein orifice.

 

A ce stade des explorations, la combinaison des éléments physiques, (profil de plongée irrégulier) et géologiques (strates verticales et fracturations majeures) impliquent des plongées profondes, de longue durée avec des paliers de décompressions associés.

 

Afin de sécuriser ces immersions, des équipements spécifiques sont mis en œuvre après plusieurs années de pratique afin de s’assurer de leur maîtrise :

-          vêtements étanches avec gilets chauffants et purges urinaires ;

-          recycleurs à circuit fermé avec redondance en circuit ouvert ;

-          mélanges respiratoires synthétiques (trimix) ;

-          progression au propulseur subaquatique ;

-          cloche de décompression.

 

L’éloignement du site (vallée de Sainte-Engrâce) des caissons de recompression  opérationnels (Bordeaux et Toulouse) incite à solliciter du personnel compétent (médecin hyperbare et technicien caisson) intégré à l’équipe. Les démarches pour disposer d’un caisson de recompression mobile sur site n’aboutirent pas, faute de disponibilité et de moyens. Tout vaut la peine d’être tenté, pas de regrets.

 

Illamina 2012 : les voyants se mettent au vert. La cheville ouvrière des Crapouillaux tourne à plein régime. La cloche rigide installée sous le Pont d’Enfer, dans le lac, est nettoyée et recalée après les crues de l’hiver. Des marches sont taillées dans le talus argileux de mise à l’eau et un escalier avec rampe est aménagé. Le sentier est débroussaillé. Sous l’eau, après avoir mis au point des perforatrices opérationnelles, les 250 premiers mètres sont reéquipés avec de la corde d’escalade et des broches en guise d’amarrage. Les bouteilles de sécurité de décompression seront accrochées sur les cordes avec des poignées jumar. Nous pourrons nous délester des flacons inutiles tout en le faisant suivre sur la corde durant la remontée.

 

La problématique de la cavité demeure liée aux fluctuations de niveau du lac selon les ponctions opérées par EDF, pour répondre aux besoins énergétiques.

La SHEM, société exploitante du barrage, joue le jeu et accepte de maintenir les turbines au débit minimum. En effet, un point haut à proximité de l’entrée, à 3m de profondeur lorsque le lac déverse, devient infranchissable, pour les plongeurs ayant une longue décompression à 6m, si le niveau du lac descend sous le seuil de déversoir du barrage.

De ce fait, la cloche de décompression rigide, installée à demeure dans le lac, devient inaccessible et contraint les plongeurs observer leurs paliers de décompression dans de l’eau à 7°C, à l’intérieur de la cavité.

Frédo s’investit alors dans la confection d’une cloche souple, avec une structure rigide démontable pour franchir la zone étroite d’entrée. Elle sera installée à –7m en amont de la zone étroite et sous la première surface libre de la cavité. De quoi assurer des décompressions de qualité, sécurisées pour toute l’équipe, en s’affranchissant des fluctuations de niveau du lac.

 

C’est ainsi, après moult péripéties, dérisoires avec le recul, au regard de la dynamique et des relations développées au cours de ces explorations, que l’été 2012 nous fut enfin propice.

 

Le soleil, trop bas sur l’horizon pour déborder les Pyrénées, n’atteint pas encore le fond de la vallée. Après l’effervescence des derniers jours dans le lac de Sainte-Engrâce, les berges calmes, la surface de l’eau immobile, que nulle ride ne vient agiter contraste étonnamment avec les jours précédents.

Malgré l’heure matinale, toute l’équipe est là.

Malgré la concentration humaine sur la petite berge, il règne une certaine harmonie collective, une décontraction générale dans l’instant.

Malgré la perspective de plusieurs heures d’immersion en eau froide, je me sens bien, apaisé, serein. Equipement, mise à l’eau, vérifications, salut à l’équipe, immersion.

 

L’approche est progressive. Une première chevauchée lacustre, puis la fracture, grandiose porte d’entrée à une cavité hors norme, à une plongée de démesure. Les passages étroits recalibrés par l’entreprise Crapouillaux 2008, puis la première cloche, naturelle, sous laquelle est sise une autre, artificielle, à 7m de profondeur. Avec son allure de chariot de western, sa couleur claire, elle augure un havre de bien-être, un oasis lumineux, aérien et tempéré dans l’élément tellurique, aquatique… et frigorifique !

Quelques décamètres de fracture chaotique, le laminoir déclive, le second yo-yo, puis voici le puits des maillons.

Nos bouteilles de 20l attendent depuis la veille. A 9m de profondeur, le temps défile encore librement, sans impact sur la durée, ni le déroulement de la plongée. Nous prenons le temps d’échanger les bouteilles de Nitrox pour celles de trimix fond, de les ajuster, de peaufiner la configuration afin d’éliminer les contraintes parasites qui coûtent en temps et peuvent générer des problèmes en profondeur.

Une fois prêts, nous engageons la descente du puits des maillons, point terminal des explorations durant presque 30 années. Le petit rétrécissement à –40, le départ du puits dans lequel Jean-Paul Guardia s’était engagé en 1997, la lucarne, puis la puissante galerie, effilée en hauteur, dardée d’écailles rocheuses acérées au plafond. Volontairement, nous jouxtons la voûte pour modérer la décompression incontournable pour des plongées de ce type. Rapidement, le menhir se dresse là, au milieu de la galerie. Imposant cap vertical, il divise le conduit en son centre et oblige à un contournement latéral. Derrière se trouve le terminus de Brice, ultime exploration en circuit ouvert et à l’air.

Par un corridor toujours vaste (4 x 5) la descente s’amorce, interrompue ponctuellement par un abaissement du plafond, vers –75. Elle stoppe net à –87 sur ce qui semble être un cul de sac. Mais en plafond, sous la voûte et masquée par une lame, la galerie remonte. Plus haute que large, le sol strié de cannelures et de lames, encombrée de blocs, elle grimpe jusqu’à –74 avant d’amorcer une descente  qui ne s’arrêtera plus. La pente s’accentue jusqu’à –98. Nous déposons les scooters, atteints par la limite de profondeur. Là, le sol se dérobe, une puissante fracture dégringole jusqu’à un palier, à –118.

Nous retrouvons, intact, le câble déployé trois ans auparavant, amarré en rive gauche, juste avant la margelle qui domine la verticale suivante.

Raccord des dévidoirs, Mehdi dégaine le matériel topo et c’est parti pour une jolie chute verticale.

La fracture s’évase sur l’avant, au fur et à mesure de la descente. La visibilité est telle qu’on distingue un pincement, là-bas beaucoup plus bas. Faut-il avancer vers l’autre extrémité de la fracture ou descendre s’assurer que le fond ne révèle pas une suite ?

J’opte pour la seconde solution. En dosant les efforts, car à cette profondeur les articulations peuvent en souffrir, nous nous enfonçons en douceur. Les parois claires s’éloignent, le sol approche . En face, à l’autre extrémité, la fracture s’évase. –135, la verticale s’infléchit. Nous glissons encore jusqu’à –142. Sous nos pieds, la fracture se pince, un sol avec quelques rochers épars marque le fond du puits, colmaté vers 145m. La suite est en face, de l’autre côté de la fracture à une quinzaine de mètres. Une puissante fissure haute de plus de 10m se prolonge soit à l’horizontale, soit augure un nouveau cran de descente.

Le conciliabule tourne court, pas question de palmer à cette profondeur sans s’exposer à un accident de décompression.

Le fil est amarré en rive gauche, puis nous entamons la remontée. Vu d’en bas ce puits-fracture est tout aussi impressionnant, il est rare de rencontrer une telle ambiance, une telle ampleur, un tel gigantisme sous terre.

La remontée est rythmée par les premiers arrêts de décompression. Je savoure particulièrement les deux minutes sur le menhir, autre endroit atypique. Dans le puits des maillons, le premier contact s’établit. Didou vient aux nouvelles. A cavité exceptionnelle, moyens exceptionnels. C’est sur un support particulier, digne de l’occasion, que nous échangeons les informations techniques et impressions, les premier croquis d’exploration.

 

Le temps s’étire alors en une succession de stations immobiles. Mehdi reste sur la corde, j’opte pour le fond de la fracture, calé en opposition face à ce liseré clair observé sur les photos de Jean-Daniel. Le froid engourdit les bouts des doigts. C’est le signal pour démarrer le chauffage. Il reste plus de trois heures, un peu moins que l’autonomie de la batterie, ça devrait tenir jusqu’à la fin de la plongée. Quelques minutes suffisent pour retrouver la mobilité des extrémités. Le dernier palier, à 12m me pèse, les copains arrivent pour évacuer toutes les bouteilles de Trimix. Frédo filme les manœuvres et en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, nos gaillards repartent, chargés comme des bêtes de somme, d’un palmage ferme et décidé, vers la lumière. Nous sautons le point haut de 8m pour une petite balade scooterisée à –9. J’apprécie de pouvoir bouger durant ce palier, avant de passer le point bas de –17 et remonter à –7 pour enfin investir la cloche de décompression.

Les deux heures et quelques restantes deviennent une formalité. Au chaud, au sec, nourris, bichonnés et régulièrement visités par les copains, nous regagnons le jour après 7 heures passés dans Laminako Ziloa.

 

Les senteurs estivales, les sourires de l’équipe, la douce température de cet après-midi d’été parachèvent cette journée particulière, celle des privilégiés qui auront profité de cette sublime cavité plusieurs heures d’affilée.

 

 

Résumer l’aventure d’Illamina en quelques mots est complexe, ce sera en quelques phrases, une affaire de transes, d’inter et d’extra.

-          international avec des représentants de l’Espagne et de la Suisse ;

-          extra régional avec des représentants de presque tout le territoire migrant annuellement vers la vallée de Sainte Engrâce ;

-          transgénérationnel avec ses générations d’explorateurs réunis au pied de la Pierre ;

-          multi-technologique avec tous modèles de recycleurs et toujours des bouteilles emplies de mixtures sophistiquées ;

-          extra-technique avec des matériels conçus et éprouvés pour l’occasion ;

-          transociétal avec des plongeurs, des spéléos, des élus, des résidants, des professionnels, des amateurs, des passionnés plus que jamais ;

-          Enfin ambiance extraordinaire encore et toujours à la démesure de la Pierre, avec l’intensité d’une crue pyrénéenne et la grandeur d’un lapiaz d’altitude.

 

Participants 2008-20012 :

Establie Eric, Establie Arthur, Quartiano Didier, Daniel Robert, Burgui Martin, Bertochio Philippe, Kupiec Christian, Soulayres Jean Luc, Delpech Thomas, Dighouth Medhi, Julien Eric, Alary Frédérique, Gomez Ruben, Henaf Claire et Yvon, Schalk Nicolas, Guardia Jean Paul, Morlec Cecile, Maestracci Brice, Fred Erb, Carey Kevin, Gelos Eric, Watieaux Claude, Godn Loic, Guinouard Daniel, Frédéric Verlaguet, Frank Vasseur, Dominique Victorin, Daniel Robert, Mathieu ROCHAULT, Francis ESPRABENS, Bernard SURPLY et Jean-Jacques LAGATHU, Christophe CORBERAND.

 

 

Matériel utilisé pour ces explorations, sans lesquels tout ne serait pas possible :

Combinaison étanches Classic et toile kevlar SF Tech
- Sous Vêtement Fourth Element Artic - Innodive
- Recycleur circuit fermé Megalodon et Pathfinder - ISC
- ordinateur de décompression Shearwater Petrel - Innodive
- éclairages Tillytec- Innodive

-          écairages vidéo Dragonsub – Procean (Nicoals Schalk)
- Dévidoir Bardes et Dir Zone
 - Sous-vêtements Sharkskin
- sacs de portage Résurgence
- Réchaud Esbit à alcool solidifié

Merci à nos partenaires Franz Schonenberger de SF Tech, Nikolas de Innodive, Javier Lopez de chez Esbit, Bruno Bardes pour ses dévidoirs, Manel Montoro de Sharkskin, Edith et Bernard Trouvé de Résurgence.
Bernard Trouvé de Résurgence, SAS la Verna, Groupe spéléologique Oloron, ARSIP, CDS Pyrénées-Atlantiques, CSR Aquitaine.

 

Frank Vasseur.