La Grotte de Pâques

Patrick MICHEL
Club Martel
Club alpin français de Nice

paru dans Spelunca n°56 - 1994

 

 

En 1891, Gabriel Gaupillat explore la Foux et s'arrêtee devant le premier siphon. Mais les explorations débuteront réellement en 1950 par la découverte de la grotte de Pâques par un membre du club Martel (Club alpin français de Nice). A Pâques de la même année, une expédition de huit jours permit d'explorer 1000 m de galeries. D'autres expéditions permirent de doubler cette longueur et de rejoindre la Foux souterraine dont Pâques s'avérait être l'étage fossile. A la fin de l'année 1950, le réseau affichait 2000 m de développement pour 64 m de dénivelée. Les explorations furent stoppées par un boyau inondé, bien connu depuis sous le nom de gours de Tony, Tony étant le sur-nom d'Antoine Senni qui, le premier, s'y engagea.

C'est presque 20 années plus tard, en 1968, qu'eut lieu la seconde grande découverte. A la faveur d'une séance d'initiation d'élèves de lycée et des Eclaireurs de France, deux membres du Spéléo-club du Var trouvent les gours de Tony relativement secs (période de sècheresse cette année là). Ils s'y engagent. Ils ont la surprise de pouvoir passer et de découvrir une suite à ce qui paraissait être le terminus. Le manque d'éclai rage et l'heure tardive les obligent à faire
demi-tour. Pâques II vient d'être inventé, à la grande joie de nos deux spéléologues. La semaine suivante, une équipe réduite de quatre personnes va reprendre l'exploration. Le lac du Canot est traversé, la chatière du Chef franchie; le terminus de la journée sera une salle, appelée depuis salle Noire à cause de la couleur de la roche particulièrement corrodée et érodée à cet endroit.
Mais, rapidement, la cavité reprend ses droits, le réseau étant sensible aux précipitations atmosphériques. En période pluvieuse, la rivière souterraine de la Foux grossit et peut noyer les galeries supérieures habituellement sèches de la grotte de Pâques. Une mise en charge du réseau peut bloquer des spéléologues engagés loin dans la grotte. Les gours de Tony se révèlent un verrou dange-reux car facilement noyés: il suffit d'imaginer un boyau de trente mètres de long, d'un mètre de diamètre, tapissé de boue et à moitié rempli d'eau dans les meilleures conditions. L'eau y est froide et les sacs, d'un seul coup, deviennent lourds et encombrants. Derrière les gours, l'exploration change d'ambiance, on se sent loin de la surface. Lors d'explorations prolongées, l'angoisse de découvrir les gours de Tony noyés lors du retour n'est jamais totalement absen-te de la pensée des explorateurs. Les pluies du printemps vont stopper les spéléologues varois.
Le 20 juillet enfin, le passage est libre. Derrière la salle Noire, un labyrinthe, les Poumons, précède un large conduit fortement incliné: la descente aux Enfers. Là, c'est la course jusqu'à une grande salle. Au point haut de cette der-nière, au sommet d'une coulée de calci-te, un méandre donne accès à un puits. Il dut y avoir là un moment d'intense émotion chez les explorateurs. Lorsque les visages se penchent au-dessus du puits, on sent un vide important. L'air est fortement chargé d'humidité, un bruit sourd et continu remplit le silence de la caverne: celui d'une rivière.

Du haut du puits, on ne peut la voir, seulement l'imaginer.
Le lendemain, une nouvelle équipe munie de cordes et d'échelles descendra le puits de 15 m et atteindra la rivière qui occupe toute la largeur de la galerie (il faudrait un canot pour continuer l'exploration). La découverte est d'importance car, plus qu'un simple regard sur la rivière souterraine de la Foux, c'est peut-être la porte ouverte à un vaste réseau. En effet, l'année précédente, en 1967, la grotte de la Baume Obscure, située à 5 km à vol d'oiseau de la résurgence, a été colorée à la fluo-rescéine. Au bout de six jours, le colo-rant était détecté à la Foux. Les spéléo-logues, arrêtés par la rivière, devaient se demander jusqu'où leurs prochaines explorations les conduiraient. La rivière s'estompe peu à peu dans l'obscurité. La cavité continue et, avec elle, le rêve et cette fièvre qui vous prend lorsque vous êtes le premier à fouler des terres encore inexplorées.
L'hiver 1968-1969 sera pluvieux, les gours de Tony ne pourront être franchis qu'en mai 1969. Le sempiternel ballet des spéléologues va reprendre. Transport de tuyaux pour désiphonner complètement les gours de Tony, installation d'une ligne téléphonique, stockage de nourriture, transport des canots. Tout se met en place pour la grande offensive. Aux spéléologues qui font aujourd'hui l'aller-retour en quelques heures, il est bon de rappeler ce qu'est la spéléologie d'exploration: des chemins mille fois parcourus, de longues heures d'attentes, des portages incessants, souvent pour de maigres résultats. Cette année là, les spéléologues varois n'auront pas vu grand chose d'autre que la boue des gours. Enfin, les 28 et 29 juin, trois équipes distinctes s'engouffrent dans le réseau. L'équipe 1 termine une escalade (ce sera un cul de sac). L'équipe 2 explore la rivière:
"les canots seront transportés, gonflés et mis à l'eau (...) pas pour longtemps malheureusement: l'eau profonde coule sous une voûte qui s'abaisse brutalement (...). Le passage existe, bien visible sous deux mètres d'eau, c'est l'inexorable siphon (...) ".
La déception est générale. L'équipe 3, assure le reportage photographique (60 clichés et 200 ampoules de flash utilisées).
Les années 1970 verront se succéder plusieurs clubs qui compléteront la connaissance des réseaux I et II. Mais il faudra attendre les progrès des techniques de plongées souterraines pour relancer les grandes découvertes dans la cavité. Entre 1976 et 1981, les plongées respectives de Munoz, Vuillemin, Franco, Vergier et Poggia vont porter la longueur du siphon à 800 m. A la fin des années 1980, le Club Martel (Club alpin français de Nice) effectue la synthèse topographique du réseau. Ce regain d'intérêt pour la cavité va déclencher une plongée en 1989 où, sous l'égide du Comité, départemental de spéléologie des Alpes-Maritimes, une mobilisation inter-clubs va permettre d'assurer le long et pénible portage du matériel à travers 1300 m de galeries. Laissons le plongeur Jean-Claude Tardy nous raconter sa plongée:


"13h20, équipé de cinq bouteilles de neuf litres, de huit lampes permettant jusqu'à 7 h d'éclairage en alternance, je m'enfonce dans ce siphon, où quelques minutes plus tôt, j'ai déposé une bouteille contenant 1 m3 d'oxygène. La visibilité est de 30 m, la température de 12°C. Les trois cents premiers mètres se développent à faible profondeur, de -2 à -12 m; au-delà, la galerie plonge rapidement entre -25 m et -30 m. Je progresse dans des galeries dont la section ne cesse d'augmenter, les 20 W de mes projecteurs frontaux ne me permettent plus de voir la totalité du réseau, seul le 250 W me permet d'apprécier le volume des galeries et des salles que je traverse. Après une heure de progression, j'accède au point extrême, je sors du siphon et découvre une salle énorme, en son centre un grand cône de gravier pulsé par un affluent arrivant au point bas de la salle et reconnu par F. Poggia jusqu'à -49 m. Je remonte et trouve au sud, par -22 m, un beau départ de galerie, l'eau y est moins claire et le fond est boueux. J'avance encore et fais le point en air.o mes tiers sont maintenant dépassés et de violentes douleurs aux cuisses occa-sionnées par des crampes m'imposent le retour. Sur le chemin de la rentrée, je récupère deux relais et profite de ces arrêts pour m'alimenter en sucres rapides. Le retour est rapide: 35 mn pour les 880 m. Le regret de n'avoir été plus loin me tenaille terriblement. Le noir de cette superbe galerie que mes projecteurs n'ont pu déchirer me pousse déjà au désir de revenir. La sortie se fait avec difficulté, les jambes complète-ment raidies par les crampes. Mes amis, transis de froid, m'aident à me déséquiper. " .
Reste le long portage du retour.
"C'est une plongée de rêve", dira le plongeur: "grand, large, clair". Va s'ensuivre toute une série de plongées. En 1990, en l'espace de trois mois, trois plongeurs se succèdent. J.-C Tardy sort le siphon dans une galerie de belles dimen-sions, explorée ensuite par F. Poggia sur 500 m, il s'arrête devant une grosse trémie. Enfin, P. Maniez réussit la perfor-mance de trouver un passage dans la trémie et de découvrir 1000 m de galeries. Seul, avec un éclairage électrique, il s'égarera dans certaines parties labyrinthiques. Il retrouvera son itinéraire en suivant les traces de ses pas.
En 1991, J.-C. Tardy et D. Sessegolo topographient les galeries post-siphon et cherchent la suite du réseau, en vain ! L'exploration de la rivière est à poursuivre, car il ne fait pas de doute que la cavité continue !
Peut-être existe-il un passage par le plateau ?


DE L'AVENIR DES EXPLORATIONS A L'ORIGINE DE LA RÉSURGENCE

Dans le réseau accessible aux spéléo-logues non-plongeurs (Pâques I et II), l'essentiel semble bien avoir été exploré. L'avenir des grandes découvertes se situerait après le siphon terminal, dans Pâques III. Ce réseau, dont l'exploration vient juste de débuter, est défendu par un siphon de 880 m. Nous pouvons entre-voir trois grands axes de recherches: - les plongées du siphon terminal, - le shunt du siphon terminal, - la découverte d'un accès sur le réseau par les plateaux de Saint-Cézaire et de Saint-Vallier.
Les plongées du siphon terminal sont le futur immédiat du réseau. Au cours des quatre dernières années, nous ne comp-tons pas moins de cinq plongées, la der-nière s'étant effectuée à deux plongeurs. Les temps d'explorations (24 h), les difficultés pour acheminer le matériel jusqu'au siphon (1300 m de l'entrée),
sont des facteurs qui limitent le nombre de visites. Le shunt du siphon terminal par le réseau lui même semble très aléatoire. Par contre, la prospection, au des
sus des parties terminales du réseau, pourrait bien s'avérer un jour payante.

Lors de la publication de la topographie du réseau, en 1992, nous constations qu'il n'existait aucune cavité sur le cheminement actuel de la grotte. Depuis, des cavités commencent à être redécouvertes au-dessus des parties terminales de Pâques III. Cette zone est depuis longtemps occupée par l'homme. Culture de l'olivier, pacage du bétail et, aujourd'hui, une occupation permanente (villas). Ces différentes activités ont entraîné le colmatage systématique de tous les orifices de cavités pouvant présenter un danger. Un puits de 40 m a été obstrué partiellement sans que l'exploration en fut achevée. Ouvert à nouveau en partie récemment, un violent courant d'air s'en est échappé durant plusieurs heures. La description, dans le réseau post-siphon, de puits remontants ainsi que d'une circulation d'air, permettent d'envisager un accès plus direct parfaitement réaliste. L'exis-tence d'un regard bien en amont du réseau actuel nous amène à resituer le réseau connu dans un contexte beaucoup plus large et à amorcer une réflexion sur l'étendue du bassin d'alimentation de la Foux. Le premier constat à faire est notre méconnaissance totale du fonctionnement de l'aquifère des plateaux de Saint-Cézaire et de Saint-Vallier. Situation consternante lorsque l'on sait que la plupart des résur-gences de cette région sont captées pour l'alimentation en eau potable. L'action des spéléologues est, ici, rendue délicate par les fortes rivalités opposant les diffé-rents gestionnaires de l'eau. L'obligation pour ceux-ci de définir "des périmètres de protection" devrait, d'une manière ou d'une autre, nous permettre d'augmenter notre compréhension du fonctionnement de ces massifs. Tout en espérant que ces nouvelles données n'entravent pas la pra-tique de notre activité, mais ceci est une autre histoire !
Aujourd'hui, le seul élément sur lequel nous puissions nous appuyer est le tra-çage de 1967 qui a mis en évidence une relation entre la grotte de la Baume-Obscure et La Foux. Il démontre l'appartenance de la zone nord-ouest du plateau au bassin d'alimentation de la Foux.
Pour le reste du plateau, nous en sommes réduits pour l'instant à l'extra-polation. Mais les grandes découvertes et les projets de traçage er cours dans la partie centrale du massif devraient faire évoluer rapidement notre connaissance du massif.

Commentaires sur la carte

La zone A est la seule partie du plateau dont la destination des eaux souter-raines nous soit connue. Le pendage des strates est orienté nord-est et dirige les écoulements souterrains à l'opposé de la Foux. Ce phénomène explique la pré-sence de deux distang -es dans les résul-tats du traçage de 1967: 4950 m corres-pondant à la distance à vol d'oiseau et 10500 m tenant compte du phénomène décrit ci-dessus.
Données du traçage de 1967
Au contact du chevauchement du Briasq, les eaux souterraines doivent être drainées tout le long de la faille reliant les deux chevauchements (Briasq et Castéou d'Infer). Après la traversée du chevauchement du Castéou (soit comme indiqué sur la carte au profit d'une faille perpendiculaire au chevau-chement, soit plus à l'est au niveau du col de la Lèque), les eaux souterraines vont rejoindre le réseau connu de la Foux et de Pâques. La zone B est d'actualité puisque d'importantes découvertes sont en cours (galeries de
grosses sections, réseau actif). Un traça-ge, organisé par Christian Mellot, devrait nous dire si cette partie du mas-sif alimente le versant ouest (la Foux) ou le versant sud (LL Veyans).