PLONGÉE AU FRAIS PUITS (1946)

récit de la plongée du 26 mai 1946 par Claude PELLETIER

"Tandis qu'en moi-même je supputais les aléas de ma première plongée, et regardais d'un oeil inquiet les eaux -inviolées qui allaient m'absorber, Monsieur Chambrette, devenu, chef de manoeuvre, mettait la dernière main "à ma toilette" J'étais écrasé par lourds plastrons de plomb et des "escarpins" gigantesques, garnis de formidables semelles de plomb, rendaient ma démarche hésitante. Pendant ce temps, Koulikowski, jeune et actif chef du matériel de l'A.S E, mettait au point l'appareil téléphonique agencé par ses soins dans le casque du scaphandre, et Monsieur Vincent vérifiait le fonctionnement du phare électrique qu'il avait préparé en vue de l'exploration et le branchait sur une batterie puissante
Un dernier sourire (un peu contraint, mettez-vous à ma place) aux, photographes et cinéastes amateurs emplissant l'entonnoir, et ...à Dieu vat !
Lourdement je descends et commence à m'enfoncer dans l'eau glauque, tandis que, sous les ordres de Monsieur Chambrette, les jeunes de, l'A.S.EE actionnent les pompes et m'envoient généreusement de l'air frais.

Je m'approche du rocher cachant l'orifice du gouffre et ressens une première et curieuse impression, en voyant l'eau troublée atteindre et dépasser les fenêtres de mon scaphandre. Mon phare me fait entrevoir l'orifice, à peu près triangulaire, mais dans lequel, chose curieuse, je ne puis descendre ? Au contraire, je me sens remonter et, subitement oppressé ; je perçois, de plus en plus forts, les halètements des pompes. Que se passe-t-il ?... La soupape !,..Tout à mon examen, j'oubliais de manoeuvrer la soupape d'évacuation, et, gonflé tel Bibendum, mon scaphandre m'enlevait vers la surface.
La soupape permettant l'évacuation de l'air vicié se manoeuvre en appuyant de la tête sur un petit piston, à droite dans le casque de l'appareil.
J'appuie donc vigoureusement et longuement, et perçois aussitôt un bouillonnement, tandis que je m'enfonce brusquement dans l'orifice, et me sens serré de plus en plus fort par la pression extérieure... J'ai évacué trop d'air et voilà, que j'etouffe ...
Me souvenant du téléphone, je lâche plusieurs 'pompez... pompez.'. .. "devant le micro et, avec soulagement, je sens aussitôt la vie revenir avec le bruit de bienfaisant !
Où suis-je ?...
Ayant dépassé l'orifice, je descends sur un amas de galets et mon phare me:permet aussitôt de me rendre compte que je suis dans une galerie de 2 à 3 mètres de largeur, et. 2 mètres de hauteur, de forme vaguement hexagonale, et dont la voûte, les parois et le sol sont absolument lisses.

Je progresse lentement dans l'eau, d'une grande limpidité et à travers laquelle le puissant faisceau lumineux provoque de très curieux jeux de lumière par réflexion sur 1'- blanches ou rougeâtres du conduit émerge.
De petits poissons, seuls représentants de la faune existant dans le gouffre, fuient éperdument vers les profondurs et, émerveillé du spectacle étrange, j'oublie à nouveau d'évacuer l'air, et "m'envole" bientôt vers la voûte noyée, éprouvant une désagréable sensation d'oppression. "Dégonflant" prudemment, je reprends mon équilibre physique, et moral, car je ne suis pas venu ici pour "savourer" des impressions !

Donnant de temps à autre signe de vie àux collègues qui, au dehors, sont rivés à leurs écouteurs, j'examine avec soin les lieux. Je n'ai pas encore vu de gouffre l... La galerie s'enfonce en pente douce... et hélas sa voûte suit le mouvement, et me présente aucun signe de relèvement comme je l'espérais. Devant moi, je distingue tout à coup, à quelques mètres et et nettement dessinée sur un fond très sombre, l'extrémité de son conduit ! Au delà, les voûtes, les parois et le sol sont invisibles, et mon phare semble perdre son puissant faisceau dans des profondeurs énormes !
La vision est impressionnante : plus trace de vie entre les parois lisses et verticales, ni clans l'épaisseur des eaux où se perd la lumière....