Sortie « anticipée » au trou des Gangônes

Octobre 98, Jean Marc.Lebel.

 

 

J'ai déroulé soixante dix mètres de fil d'Ariane, je suis à trente cinq mètres sous la surface de l'eau. Il est temps de faire demi-tour car j'ai atteint ma limite d'autonomie en air avec le petit scaphandre dont je dispose.

Ce dimanche d'octobre 94, nous avions prévu cette petite sortie de reconnaissance, estimée tellement rapide que le temps franchement pluvieux depuis le début du week-end ne nous avait pas vraiment alarmé. On était en fin de saison extrêmement sèche, l'étiage très prononcé.

Après avoir soigneusement amarré mon fil et après un dernier coup d'śil à la suite alléchante de ce siphon superbe, j'amorce ma remontée. Rapide au début, puis de plus en plus lente à mesure que j'atteint la zone de mes premiers paliers de décompression. Moins neuf mètres : une minute d'arrêt, correspondance pour… je dois purger ma combinaison sérieusement pour me stabiliser à cette profondeur. Je n'y prête pas attention, tout à l'agréable plongée que je viens de faire. Je rejoint bientôt calmement le paliers de six mètres, où je dois patienter trois minutes. Je commence à trouver un peu bizarre d'être obligé de freiner avec mes palmes pour m'y arrêter. Mettant çà sur le compte d'un mauvais équilibrage, je purge à nouveau à fond ma combinaison. Ce n'est pas fait pour arranger mes affaires car la température de l'eau dans cette froide cavité du Jura n'est que de huit degrés. Autant dire qu'une bonne isolation avec l'air contenu dans la combinaison serait nettement plus confortable. Mais bon, je pratique la plongée en siphon depuis deux ans et ce milieu hostile m'a vite appris à ne se poser comme questions que les essentielles !

Arrivé à trois mètres, où je dois rester dix minutes, j'ai cette fois la plus grande difficulté à m'y maintenir. Purger la combinaison et vider mes poumons n'y suffisent plus, je suis forcé de m'agripper au sol d'une main. Cette fois je comprend que quelque chose « cloche », j'abandonne l'idée de sortir mon carnet pour y inscrire les notes sur cette plongée comme je le fait d'habitude. Aucune explication ne m'effleure encore, je me contente maintenant d'enserrer affectueusement de mes deux bras un gros bloc arrondi, qui me le rend bien.

Une autre interrogation m'attendait à ma sortie de l'eau : mes compagnons et gnones, Isa, Cathy, Stéphane, Laurent ont l'air très agités, vociférants. La cagoule de ma combinaison m'empêche d'y comprendre goutte, mais leurs gestes sont explicites. Visiblement, ils ont un train à prendre ou un sanglier sur le feu…

Ayant pris l'habitude, toujours grâce à la discipline particulière qu'impose ce « sport », de ne pas m'alarmer ni m'agiter sans valable motif, je me contente d'ôter mon casque et ma cagoule afin d'y entendre plus clair. Laurent trépigne et me hurle : « MÂGNE-TOI, çà monte ! ». Cette fois, j'ai compris et sors prestement. Trois paires de mains s'agitent sur moi pour me délester de tout ce qui traîne : scaphandre et accessoires. Tout est démonté et rangé dans les sacs en un tourbillon tandis qu'Isa et Cathy m'expliquent que l'eau a monté de trente centimètres pendant la plongée. Un regard à la vasque : il suffit de fixer le bord pour constater que l'eau monte cette fois à vue d'śil ! Nous n'avons pas intérêt à traîner : on est à cinquante mètres sous terre au fond d'un long toboggan en forte pente, coupé d'un passage rétrécis et débutant par un puits de dix sept mètres à franchir sur corde pour rejoindre la surface. Je décide de garder la combinaison de plongée afin de gagner du temps. On ne sait pas trop comment va réagir la cavité, mais une petite pensée aux mises en charges observées à la grotte de la Balme sur le massif du Vercors : des « crevaisons » de plus de trois cent mètres, suffit à me convaincre de ne pas attendre une sortie à la nage…

La sortie est atteinte en un temps record. Dehors, il pleut toujours. Nous décidons d'aller voir la résurgence pérenne du réseau, que nous ne connaissons pas. Il s'agit de la source du Drouvenant. Elle s'ouvre au sommet d'un couloir d'éboulis au pied d'une falaise, une centaine de mètres en contrebas du trou des Gangônes que nous venons de visiter. A la vue de la source, tout devient clair : l'eau sors de plusieurs minces griffons, petites fentes dans la falaise compact qui ne peuvent laisser qu'un débit très limité. Aussi lorsque l'alimentation du réseau en amont devient supérieure à celui-ci, l'eau s'accumule dans le réseau et rempli la ou les galeries, notamment celle du trou des Gangônes (qui peut aller jusqu'à servir d'exutoire à la crue : fait confirmé par des habitants de la commune). C'est une cheminée d'équilibre du réseau.

Participants : Stéphane et Catherine Guignard, Isabelle et Jean-Marc Lebel, Laurent Osvald.