Chourum des Aiguilles
Retour aux sources par Philippe Bertocchio |
En novembre 1998, les membres Spéléo-Club de Gap
décident de revoir le fond de la cavité pour améliorer
un équipement vieillissant et renouer avec
la cavité qui a marqué l'histoire du club. De nombreux points
d'interrogation nous apparaissent alors sur la topo et dans les comptes rendus
d'explo.
Nous décidons de fermer l'entrée avec des planches et une trappe
pour pouvoir y accéder tout l'hiver. Le 29 novembre 1998, avec D. Garreau,
S. Rogeau et C. Kupiec, nous rentrons sous terre après deux heures
de portage en raquettes et une demi-heure de pelle pour ouvrir la trappe.
Aujourd'hui, l'objectif
est de revoir le siphon terminal.
Deux kits pour les bouteilles de plongée de six litres en aluminium,
un kit plongeur et un kit bouffe, nous sommes relativement légers puisque
la cavité est déjà équipée jusqu'à
- 600 m. Il ne reste que le puits Moustique et celui de la Déception
à équiper et les cordes sont à - 500 m. Nous connaissons
suffisamment bien la cavité pour arriver au fond en trois heures. Je
commence à m'équiper au sommet du puits de la Déception,
le fond étant copieusement arrosé.
J'entends alors Christian arriver en pestant. Son appareil photo jetable vient
de tomber à l'eau. Malgré la pochette nylon, il a pris l'humidité.
C'est le seul appareil pour fixer cette plongée, alors la pression
monte. Il essaie une photo. Echec, le mécanisme a pris aussi, il n'y
a plus d'enroulement. Avec le calme reconnu du capitaine Haddock qui ne trouve
pas sa bouteille de whisky, Christian balance l'appareil au fond du puits,
accompagné par quelques jurons du meilleur cru. Didier ne retrouvera
qu'un tas de pièces détaché mais sauvera la pellicule
et les deux clichés qui étaient déjà dessus. Dans
mon coin, je laisse passer l'orage et finis de m'équiper. J'ai déjà
une idée précise de la galère dans laquelle je m'engage
car un an auparavant j'avais mis la tête dans ce laminoir en voûte
mouillante. Aussi, j'ai prévu un montage des bouteilles dit "à
l'anglaise" c'est à dire de chaque côté des hanches
et des cuisses. Testé en piscine, tout allez bien. Sur le terrain,
rien ne va plus. Rien que pour atteindre l'eau, je dois ramper en tenue de
plongée dans un bruit assourdissant de bouteilles qui rencontrent les
rognons de silex. En fait de voûte mouillante, c'est plutôt le
parcours du combattant où les bouteilles cognent encore et se coincent
partout entre les blocs affleurants. Changement de tactique, j'enlève
les bouteilles après quelques minutes de combat inutile dans ce laminoir
et sans oublier de perdre un peu d'air avec les détendeurs qui fusent
et de laisser des morceaux de néoprène sur les arrêtes.
Heureusement, à ce niveau, je ne suis pas obligé d'utiliser
l'air des blocs car le temps avance et je n'ai pas encore parcouru les dix
mètres de Frédo.
D'ailleurs, je suis son fil d'Ariane (1978?) toujours en place. Les crues
ne doivent pas être terribles dans ce secteur de la cavité car
le fil a l'air neuf. Par précaution, j'en déroule un autre,
ce qui me vaut quelques noeuds car la place est chère dans ce trou
de ch... Ca y est, j'atteints le terminus. Tout droit, un boyau exondé
continu. Je laisse les bouteilles pour le visiter. Quatre mètres et
c'est la queute. Retour sur la fin du fil où une étroiture sévère
et "sèche" part à gauche pour donner sur un plan d'eau
dont le niveau est plus bas que la voûte mouillante. Je tente le passage
sans les bouteilles. Le casque racle un peu mais passe. Par contre, le masque
s'y refuse. Je le descends au niveau du cou et en forçant juste assez
pour laisser encore un peu de néoprène, je plonge tête
première dans la vasque sans masque ni bouteille. Avec plaisir et en
apné, je découvre que je peux faire demi-tour sans trop d 'efforts
et attraper les blocs de l'autre côté de l'étroiture.
Bouteilles en avant, j'explore la vasque de 40 cm de profondeur et de 2 m_
de surface maximum.
C'est pas la fontaine de Vaucluse ! A l'opposé de l'étroiture,
cette flaque a l'air plus profonde mais mes bouteilles tamponneuses ne trouvent
pas de passage. A ce moment, c'est mon phare qui trouve la suite. Une envie
de liberté le prend, il se détache, tombe au fond de la vasque
et par le fil électrique me tire sur le casque. Juste sous les bouteilles,
le plancher, une strate de silex, est creux. J'y enfile les blocs mais ils
sont vite arrêtés par un autre plancher. Je pousse en avant,
en arrière, rien. A gauche, oui, c'est bon, ça passe. Je suis
les bouteilles en continuant de dérouler le fil tant bien que mal.
Ce passage, à sec, aurait fait une sacré boite aux lettres.
Je me demande si je vais retrouver le chemin de retour.
A peine cinq mètres de première et deux infâmes étroitures.
Ca promet. J'avance en tâtonnant avec les bouteilles qui me cachent
la suite. Elle semble plus large. Tant mieux, j'ai ma dose d'étroitures.
C'est pas la joie en terrestre mais en plongée bonjour l'angoisse.
Un coup d'oeil aux instruments, j'ai atteint la profondeur record de 1 mètre
et je suis toujours dans le même axe. J'avance doucement sur les genoux
et les coudes, au plafond. J'ai laissé les palmes à la maison
car vu les dimensions, ce n'était pas raisonnable de les traîner
ici. Trois mètres plus loin, c'est presque spacieux, assez pour pouvoir
faire demi-tour. Je trouve même de quoi fixer le fil. J'ai pas fini
le noeud qu'un des détendeurs se bloque ouvert.
Je dois fermer la bouteille avant qu'elle se vide. Il faut me rendre à
l'évidence, je ne peux pas continuer avec une seule source d'air. En
plus, cela m'arrange car j'ai fait le pleine de sensations fortes. Et puis
il faut encore remonter. Dans l'eau, j'ai vite oublié que nous sommes
à - 680 m, à quatre avec tout le matos et en plus en hivernale.
Avant de rebrousser chemin, je fais un tour d'horizon pour avoir un aperçu
de la suite. Elle ne semble pas engageante. La galerie repart en laminoir
étroit avec des blocs coincés. Je coince la bobine sous une
pierre et direction la sortie. Je me repasse le film de l'aller à l'envers
mais le paysage a changé. Je vois partir le fil sur les cinquante centimètres
de visibilité qui reste dans des passages ahurissants. Ce n'est pas
possible que je sois passé par ces horreurs d'étroitures. Finalement,
à grands coups de bouteilles dans les parois, je rejoins la boite aux
lettres que je franchis à la troisième tentative et uniquement
de mémoire car la visibilité est maintenant nulle et le fil
est coincé en interstrate. Je retrouve avec beaucoup de plaisir la
surface. L'étroiture "sèche" et la voûte mouillante
me paraissent presque un jeu d'enfant. J'accroche les bouteilles à
la corde du puits pour les faire remonter pendant que je remets les bloqueurs.
La corde revient, c'est à mon tour. Au sommet du puits,
une soupe chaude m'attend. Merci les copains. La remontée sera comme
d'habitude une succession d'escalades et de puits franchis en moins de cinq
heures. Nous nous changeons au pied du premier ressaut car dehors c'est l'hiver
et la nuit. Nous avons passé dix heures sous terre et il nous reste
deux heures de raquettes pour rejoindre les voitures. Il ne fait vraiment
pas chaud car l'eau gèle dans les Arianes.
Le reste de la nuit sera beaucoup plus calme mais court car le boulot nous
attend.