GROTTE DE LA BALME, Isère, hiver 2000 - 2001

 

par Frédéric POGGIA et Laurent TARAZONA

CAMPAGNE 2000

L’objectif de cette campagne est de retourner à l’extrême amont du réseau au terminus de 1984.


par Frédéric Poggia
Pour arriver à ce point, il nous faudra franchir 5 siphons et parcourir quelques centaines de mètres de galeries exondées présentant parfois une large rivière calme, parfois des méandres plus ou moins larges ponctués par de brefs passages en escalade.

Les opérations débutent le 5 janvier par une plongée de reconnaissance pour se remettre le premier siphon (S1) en mémoire et surtout vérifier le précieux fil d’Ariane qui aurait pu être endommagé par des crues.

Suite à cette première plongée, nous passerons le mois de janvier à transporter notre matériel derrière le S1. En effet, ce genre d’exploration nécessite une préparation sans faille. Ainsi, devons nous acheminer les bouteilles pour franchir les derniers siphons le jour de l’exploration, de la nourriture, du carbure pour l’éclairage, du matériel pour l’escalade.

Fin janvier, malgré quelques crues qui nous ont fait prendre un peu de retard, tout le matériel est en place et l’exploration finale peut avoir lieu. Malheureusement, un mois de février extrêmement pluvieux va provoquer de nombreuses et importantes montées d’eau nous barrant l’accès au réseau pendant plus d’un mois.

Ce n’est qu’au mois de mars que le temps redevient stable et nous permet de plonger le 19 mars 2000 soit, à trois jours près, 16 ans après la dernière exploration de Frédo dans les amonts de la grotte.

Afin de s’économiser le jour de la " pointe ", nous portons notre matériel la veille.

Dimanche 19 mars 2000 : le temps est stable et la météo favorable. Un dernier café nous permet de regarder encore la topographie du réseau pour bien se la mettre en mémoire, puis nous pénétrons dans la grotte. Arrivés au lac, nous nous préparons avec des gestes automatiques et lents puis nous immergeons vers 12H00. Enfin libérés de nos angoisses, nous palmons sur le lac pour rejoindre le départ du S1.

Au bout de 150 m de nage, nous arrivons au départ du S1. La plongée commence, les 100 premiers mètres sont spacieux, mais encombrés de matériels divers (câbles, morceaux de bois) ayant du servir aux premières explorations. Après une première cloche d’air, nous replongeons, cette fois pour parcourir les 800 derniers mètres du S1. D’abord avec un propulseur puis à la palme, nous refaisons ce parcours désormais familier, passons la zone " profonde " (- 24 m), puis ressortons à l’air libre au bout de trois quarts d’heure.

La sortie du S1 s’effectue dans une faille relativement malcommode avec 50 kilos sur le dos. Par contre, de suite après, une salle spacieuse (10 m de diamètre et 20 m de haut) avec un lac nous accueille. Au bout de cette salle, quelques ressauts ascendants où cascade la rivière nous amènent au Siphon 2.

par F. Poggia

Après avoir échanger nos volumineuses bouteilles de 18 litres pour un équipement plus léger (bouteilles de 6 et 3 litres chacun), nous entamons le S2.

Celui-ci est long de 120 mètres pour une profondeur maxi de 20 m, il est clair et agréable, ne présentant pas de difficulté particulière.

La sortie s’effectue dans un magnifique lac, et en remontant une dizaine de mètres, nous nous retrouvons dans une superbe galerie de section régulière (4*3 m) où s’écoule paisiblement la rivière. En la parcourant, nous prenons quelques photos, puis arrivons devant le siphon 3. Celui-ci est très court (30m) et fait immédiatement place au S4 qui est du même type.

Encore 100 m de rivière calme et nous voilà devant le S5. A cet endroit, le réseau se sépare en deux branches (gauche et droite). La branche de gauche ayant été explorée par Fredo et s’arrêtant dans une salle exondée 100 m plus loin, nous empruntons celle de droite.

Le S5 est long de 120 mètres, mais contrairement aux précédents, il n’est pas très accueillant.

A chaque coup de palme, nous soulevons d’importantes quantités d’argile ce qui nous promet un retour sans aucune visibilité. De plus, il est ponctué par deux étroitures que l’on doit franchir en se " tapissant " au sol (donc dans l’argile).

A la sortie du S5, la galerie spacieuse a cédé la place à un méandre plus ou moins large avec beaucoup d’argile au sol. Visiblement, cette partie de la grotte n’est pas l’actif principal mais un affluent ou un trop plein du réseau principal.

La suite du réseau ne présentant plus de siphon, nous laissons définitivement notre matériel de plongée et mettons celui de spéléo.

La suite est un méandre remontant, ponctué par une étroiture et une marmite de géant (6 m de profondeur et des formes d’érosion d’une régularité exceptionnelle) qui nous oblige pour des raisons de sécurité à mettre une corde en place pour s’assurer.

Après ce passage, le méandre redescend et recoupe la rivière principale du réseau.

Nous partons en premier en aval où Fredo s’était arrêté sur un bassin de boue. Arrivé à cet ancien terminus, nous continuons la rivière sur 50 m et sommes arrêtés sur un siphon boueux.

Selon toute probabilité, ce siphon doit jonctionner avec le S5 mais où ? ? ?

Cette partie du réseau ne présentant plus de continuation possible, nous revenons sur nos pas et filons en amont de la rivière vers le terminus de 1984. Ici, la progression s’effectue dans l’eau, le méandre est large et très haut, mais ponctué parfois par des passages étroits.

Au fur et à mesure que nous remontons la rivière, ces passages étroits se font de plus en plus fréquents et longs et nous obligent finalement à quitter le fond du méandre pour continuer en opposition à mi hauteur, là où le méandre est nettement plus large.

Nous voici au terminus de 1984, effectivement, le fond du méandre est trop étroit, et à cet endroit, les parois lisses ne permettent pas de remonter.

Par contre, en revenant un peu sur nos pas, nous trouvons un passage nous permettant de monter en escalade libre en haut du méandre et de dépasser le terminus.

L’inconnu s’offre donc à nous. Nous sommes en haut du méandre dans une large galerie ne présentant aucune difficulté. Cette galerie est surcreusée par le méandre au fond duquel court la rivière.

Au bout de 50 m, nous voilà de nouveau dans la rivière. Certainement à la faveur d’un changement géologique, le méandre se transforme en une galerie qui s’abaisse petit à petit et bute 50 m plus loin sur un nouveau siphon (S6).

N’ayant pas prévu cet obstacle, nous arrêtons là l’exploration et décidons de ressortir.

Le retour s’effectuera sans problème malgré le manque total de visibilité dans les siphons.

Arrivés au S1, nous profitons de " l’hospitalité " des lieux pour reprendre quelques forces et boire une soupe tiède, puis, reprenant nos bouteilles de 18 litres, nous replongeons dans le siphon 1 dont nous sortons 1 heure plus tard.

On est lundi, il est deux heures du matin et voilà maintenant 14 heures que nous sommes rentrés dans le trou. Nous remettons des vêtements secs ( pour changer un peu), et commençons les portages pour sortir le matériel.

 

Pâques 2001

Comme l’an passé, nous " remettons le couvert " en janvier 2001 et commençons à acheminer le matériel derrière de premier siphon.

Afin de plonger le S6, nous devons stocker 8 bouteilles derrière le S1 plus le matériel d’exploration classique.

Ce sera chose faite fin janvier après 5 plongées.

L’hiver étant encore moins clément que l’an passé, nous devrons attendre fin mars pour avoir des conditions correctes. Entre temps, la grotte a été en " crue perpétuelle ", ce qui nous oblige à retourner vérifier le matériel avant d’entreprendre la pointe.

1er avril 2001. Premier week-end de beau temps depuis déjà plusieurs mois, c’est presque dommage d’aller sous terre ! ! !

A 10h30, nous entrons dans la grotte. Le niveau de l’eau est encore un peu élevé, mais ça ne devrait pas gêner la progression. Après s’être minutieusement préparé, nous nous retrouvons à l’entrée du S1 à 12h30.

Juste le temps de raccrocher un petit kit de nourriture et nous plongeons.

Tristesse : la visibilité est mauvaise. Tout juste deux mètres. Nous sommes déçus et hésitons un instant.

Dans la cloche des 100 mètres, je m’aperçois que j’ai perdu le kit que j’avais raccroché. Décidément, ce n'est pas le jour. Je fais donc demi-tour, ressort du S1, replonge et le retrouve collé au plafond à 5 m du départ.


par Laurent Tarazona

Nous voilà repartis vers l’aventure. La visi reste très médiocre, mais nous pouvons progresser avec les propulseurs jusqu’à 570m.

A partir de là nous finirons à la palme.

A la sortie du S1, nous laissons le Bi 18l, grimpons les deux ressauts et nous retrouvons au bord du S2.

Le fait d’avoir préparer nos kits pour la suite de l’explo nous fera gagner un temps précieux.

A partir de là, nous partons avec un tri dorsal panaché (6l, 3l et 2l) plus un relais de 4l pour franchir le S2 (120m, -20).

En sortant du S2, Fredo pose son sac et va se baigner dans le lac. Mais que fait-il donc, on n’est pas à la plage ici ! ! En fait, alerté par un bruit de cascade, il vient de repérer un affluent actif inconnu.

D’habitude, le niveau de l’eau étant moindre, il n’y a pas de cascade et on ne fait pas attention à cette arrivée qui est de plus dans notre dos.

Nous voilà donc partis dans de la première plutôt que prévu. Après l’escalade de 3m, nous suivons le cours d’eau dans une galerie de 2*2 en partie comblée par des remplissages d’argile. Au fur et à mesure, nous nous baissons, puis passons à quatre pattes et butons sur un siphon après 60 m de progression.

Revenus au S2, nous remettons nos sherpas et reprenons notre progression. Le S2 est suivie de 300 m de galerie active. Chaotique au départ, elle fait rapidement place à une large rivière calme où la beauté du paysage nous fait oublier nos charges.

Nous franchissons le S3, le S4 dans la foulée et, après une magnifique galerie rectiligne de 4*2m nous arrivons devant le S5.

Après chacune des deux étroitures, nous installons des morceaux de chambre à air qui nous permettront de les anticiper au retour dans la " touille ".

La sortie du S5 est toujours aussi peu accueillante. Pour éviter de se changer dans la boue, nous avançons dans le méandre et trouvons un endroit propre mais un peu exigu.

Nous défaisons donc nos tri pour ne garder que la 3l et la 2l qui nous servirons à plonger le S6.

Chose faite, nous repartons vers le fond. Le franchissement de la marmite de géant avec des gros sacs est moins aisé que l’an passé et nous devons nous faire passer les charges.

De même, le méandre actif, franchi aisément avec un petit kit devient une véritable corvée.

Ce n’est qu’au bout de 200 m que nous quittons le fond du méandre pour continuer en opposition sur de magnifiques banquettes blanches ou la progression devient presque agréable. Il faut toutefois resté très vigilant.

Nous franchissons le terminus de 1984 par une opposition très aérienne et arrivons au S6.

Il est 18h30. Frédo va " jeter un masque " pour vérifier si ça passe .c’est bon, c’est assez large.

Nous préparons donc nos bi, partons à la " cueillette aux cailloux " pour lester les sacs et, après avoir repris quelques forces, nous attaquons au S6.

Pour la plongée de ce siphon, il faut mettre les palmes 10m avant et avancer sur les genoux jusqu’au départ car la boue est omniprésente et on ne peut y tenir debout. On amarre le fil et nous voilà partis. Le siphon est en fait un laminoir de 3 mètres de large et 1m de haut dont le fond est tapissé d’argile fluide et où il est impossible d’amarrer le fil.

Nous sortons au bout de 10m dans une cloche d’air, amarrons le fil et replongeons. Le plafond s’abaisse un peu, mais en se collant bien par terre, ça passe et au bout de 20 m , nous émergeons et entendons le bruit de l’eau.

Celle-ci arrive d’un puits en forme d’ellipse (4m*2m) et haut de 10m, il est taillé dans la roche mère et il n’y a aucune trace d’argile.

Par contre, il nous faudra du matériel d’escalade adapté pour franchir cet obsatcle.

Le retour du S6 se passe bien sûr sans aucune visibilité, mais sans problème.

A sa sortie, nous nous restaurons avec du café chaud et quelques barres énergétiques, puis entamons le retour.

La loi de la pesanteur aidant, le méandre passe mieux au retour, mais c’est pas encore ça et l’arrivée au S5 est un réel soulagement. Nous ré équipons nos tri bouteilles et replongeons dans le S5 ou la visibilité est toujours aussi nulle ! ! !

Nous enchaînons le S4, S3, la galerie, le S2, et arrivons au S1.

Nous prenons le temps de déballer nos sacs, mangeons un peu, préparons du matériel à ressortir et nous immergeons dans le S1.

A 570m, nous reprenons les propulseurs, à 400 m les relais de 9l, et malgré la " grève des locos " vers 300m nous ressortons du S1 à 3H30 le lundi matin après 15 h d’explo.

Pentecôte 2001

Suite à notre plongée de Pâques, et afin de profiter de la logistique déjà en place ( derrière le S1, nous avons encore du carbure, du matériel spéléo, nos sherpas) nous avons décidé de retourner dans la foulée derrière le S6.

Pour cela, il nous faudra " simplement " ramener les 8 bouteilles stockées derrière le S1, les regonfler et les ramener avec du matériel d’escalade en plus (cordes, spits, amarrages).

Quatre plongées nous permettront de venir à bout de ce long travail de préparation.

En ce dimanche de pentecôte, nous nous retrouvons donc devant le lac pour une troisième grande explo.

Les orages de ce matin nous ont contraint à attendre pour voir l’évolution de la météo, aussi ne nous mettons nous à l’eau qu’à 15h30. Peu importe, le ciel est bleu dehors et nous partons l’esprit tranquille, c’est le principal.

Notre immersion dans le siphon 1 nous procure toujours le même sentiment de plénitude et c’est toujours à cet instant que nous quittons nos tracas quotidiens pour rentrer dans un autre monde.

Ce coup ci, les locos ont été révisés, les batteries sont neuves, et ça se sent ! ! ! A 570m, nous les déposons pour finir calmement à la palme.

Derrière le S1, nous prenons nos sacs soigneusement préparés à l’avance et nous partons dans le S2 avec chacun une 4l pour le S2, une 6L pour les S3,S4,S5 et deux 2L pour le fond mais qui seront en sécurité pour doubler la 6L.

Derrière le S2, siphons et galeries s’enchaînent " paisiblement " jusqu’au S5. Dans ce dernier, la visibilité est bonne et nous permet d’apprécier les dimensions " honorables " de ce siphon sans parler de ses deux étroitures " visqueuses ".

Derrière, nous recommençons notre rituel familier : on défait les tri, on prépare les bi 2L pour le fond, tout ça dans une atmosphère très boueuse.

Une fois les préparatifs finis, nous partons vers le fond, repassons le méandre aquatique et étroit, re-franchissons le pas d’oppo " de plus en plus aérien " du terminus 1984 et arrivons au S6 6 heures après notre départ du S1.

Ici, une plage de boue accueillante nous permet de préparer nos sacs et de faire chauffer de la soupe et du café, ce qui est bien réconfortant.

Nous repassons le S6 en amarrant le fil sur des cailloux que nous avions soigneusement " sanglés " avec des chambres à air pour remplacer les plombs que nous n’avons pu amener et arrivons à la base du puits entrevu lors de notre dernière explo.

Celui-ci est en fait un affluent de la rivière qui arrive par un 7ème siphon à l’aplomb du puits.

Enthousiastes, nous plongeons donc le S7 en espérant déboucher dans la suite de la rivière. Malheureusement, au bout de 20m à –2, ce dernier siphon, boueux, devient impénétrable et nous force à rebrousser chemin.

Nous entreprenons alors l’escalade du puits. L’escalade est aisée, mais on est " loin de la maison ". Après un point d’assurage " psychologique " à 6 m du sol, j’arrive sur un palier à 18m. De là je distingue une arrivée étroite 15 m plus haut (à faire en artif).

Estimant que le jeu n’en vaut pas la chandelle, je plante un spit et redescend rejoindre Frédo.

L’explo de la Balme semble finie de ce côté, il ne nous reste plus qu’à ressortir. Ce sera chose faite le lundi matin à 8h30 après 17 h d’explo donc 4h en plongée.

Cette explo marque l’atteinte des extrêmes amonts de la Balme à quelques 3000m de l’entrée. Certes quelques affluents restent à voir, mais les espoirs de développement sont faibles.

La Balme n’en demeure pas moins une grotte fantastique combinant aussi bien une superbe plongée (le S1 de 900 m) qu’une fabuleuse explo en fond de trou avec toutes les difficultés de ce genre d’exploration (préparation de la pointe, portage, étroiture en plongée, escalade, opposition)

Remerciements

Pour ces deux campagnes d’explorations, nous tenons à remercier :