Résurgence de Cabouy

Les mentalités évoluent, les outils changent, les rivières souterraines demeurent, quant à eux les hommes, ils ne font que passer…

 

par Alain Oger - 2010


 

« Toutes les grandes personnes ont d'abord été des enfants. (Mais peu d'entre elles s'en souviennent) ». Le Petit Prince / Antoine de Saint-Exupéry

Ma première plongée, dans cette résurgence, date du 15 aout 1995. Depuis de nombreuses fois j'y suis retourné découvrant toujours un peu plus de son secret. C'est toujours un réel bonheur quand je m'en approche et que je gare mon véhicule près de la vasque. L'été, cette rivière souterraine est très fréquentée par des plongeurs de tous horizons. C'est un site où les randonneurs se donnent rendez-vous avant leur marche. Un coin, où les animaux sauvages tôt le matin et en soirée viennent s'abreuver. Hors saison estivale s'y retrouvent la solitude et le calme, complices ils s'enveloppent d'un léger brouillard créant ainsi une ambiance que j'affectionne particulièrement, c'est l'invitation au voyage…

Mon rituel commence toujours par faire le tour du plan d'eau. Machinalement j'y jette une petite pierre que je regarde disparaître vers le fond. Un reste de nostalgie d'enfance, le coté garçon. Projection dans ma future plongée…

Puis c'est la préparation. C'est l'avant plongée qui en rien ne doit être bâclé. Du sérieux de cette préparation dépendra le bon déroulement de la suite. Quand une plongée foire, c'est souvent la faute de l'homme. En cet automne je suis au top de mon ambition, je plongerai donc avec six blocs. Mon bi plus quatre relais, tous bien gonflés avec l'air des Vasques du Quercy. Je prépare toujours en premier les relais. L'un sera chargé de Nitrox et les autres d'air. J'en équipe deux d'une lampe flash. Ce seront ceux que je déposerai au fil de ma progression. J'éprouve toujours une certaine émotion lors du retour quand je vois les éclairs percer l'obscurité. C'est à la fois la signature éphémère de mon passage en cet endroit insolite et un gage de sécurité. Je continuerai mon voyage en respirant sur les deux autres relais que je conserverai avec moi pendant le reste de la plongée. Au plus loin se sera au tour du scaphandre dorsal de me donner de l'air à ma demande...

Un rouge-gorge curieux me tient compagnie. Lui semble satisfait de se son sort au point de siffler son bonheur dépourvu de superflu, moi manipulant mes objets, mes jouets qui me permettront de dépasser ma condition humaine, je reste concentré et silencieux…

Je transporte mes bouteilles au bord de la vasque que je dépose méthodiquement de façon à ce qu'elles soient bien placées pour m'équiper. Je regarde la surface, ce miroir que je vais franchir pour accéder à un tout autre monde, un monde d'apesanteur. Encore un autre voyage pour y porter les palmes, le casque, le phare et le dévidoir de secours…
Je suis dedans, dans ma passion, corps et âme, toujours avec le même ressenti, du vrai bonheur mais aussi une légère appréhension. J'y ai pris goût, au point parfois d'en ressentir le manque. Je suis dépendant...

Il commence à être loin ce temps où je plongeais en humide, avec Fenzy, détendeurs avec étrier et les manomètres fixés aux poignets. Aujourd'hui, j'enfile d'abord mon Damart plus une polaire et deux paires de chaussettes, bien au chaud dans une étanche, ca n'a plus rien à voir. Reste la fermeture dorsale de la combinaison qui n'est pas du plus facile à fermer seul. Fera l'affaire un bout de corde pris dans la boucle de celle-ci et l'autre coincé dans une portière de la voiture. Je peux, non sans difficulté, tout en voyant la manœuvre dans le reflet de la vitre, me tourner et jouer des épaules pour y arriver. C'est le prix à payer pour le confort thermique. Quant à ma bouée, déjà elle n'est plus ventrale et c'est un mieux. Gonflée elle me porte allègrement avec tout mon bardas. Passé le temps de la Fenzy qui par sa sous-cutale nous écrasait les bijoux de famille tout en nous arrachant la tête par sa collerette. Disparue la grenade sur le ventre. Oubliée la fragilité des étriers lors des chocs, les DIN y ont remédié. Fini les Jetfin qui nous plombaient les pieds…

Ceci dit je fais l'inventaire de ma panoplie du parfait plongeur spéléo actuel. Deux masques, autant de lampes de secours, un sécateur, un couteau, une boussole, l'ordinateur, le profondimètre, le dévidoir, l'ardoise et mes fidèles épingles à linge rouge. Je ne les veux que rouge…
Je me suis souvent posé cette question. Si on pouvait plonger dépourvu de tout nos accessoires, aurions-nous le même plaisir ?

Hier, j'ai titillé l'apnée, approché de très près les dauphins, fréquenté pendant une bonne dizaine d'année Jean-Louis à la Pointe du Van, à la bouée cardinale d'Arnette du coté de Fos sur Mer j'ai joué avec Fany tout en côtoyant le grand Jacques Mayol dans la grande bleue. En P.M.T j'ai aussi pêché, pardon chassé le bar dans le Raz de Sein, le loup dans les Calanques. J'ai visité des épaves, descendu des tombants, plongé en lac d'altitude, fouillé les rivières, démystifié des carrières. Il apparut que je préférais nettement le contact de l'eau douce. Naturellement, je m'éloignais du bord de mer, je délaissais le zodiac, je quittais les palanqués abandonnant mon rôle de gentil moniteur pour prendre dès que je le pouvais le cap sur le Lot…

Ce sera à Saint Georges que je fis mon baptême. Ce fut la révélation. Tout ce que je recherchais, la technique, l'évasion, la liberté étaient en elle, dans la plongée souterraine... Reste à accrocher sur mon bras l'ordinateur, quel bel outil. Il me libère la tête et veille sur ma santé… Avez-vous plongé avec des tables ?

Les GERS 65 et ses quatre vingt cinq mètres à l'air, ses trente minutes à trente mètres sans palier, sa vitesse de remontée vingt puis dix sept mètres minutes, les C.O.M.E.X 74, puis C.O.M.EX PRO 91, les P.A.D.I, celles du Ministère du Travail M.N90, les U.S NAVY, celles personnalisées avec comme objectif « Zéro accident » du non moins célèbre B.E.S.S.3 Ph.Molle, quelle audace ! Les Bühlman, et les Doris, et celles du dessous du manteau. Les procédures successive, consécutive, équivalente, en altitude, en multi-profondeur avec remontée lente ou rapide et son palier de demi-profondeur. Contraignantes en exploration, indigestes à la remontée. Mettons-nous à table, prise de tête en cours théoriques où les moniteurs se faisaient un réel plaisir sadique d'y placer un vol en hélicoptère entre deux immersions...

Alors beaucoup de pifomètre pour les appliquer en plongée souterraine. Maintenant c'est mon Aladin qui pense pour moi. Qu'il est doué et si toutefois il lui prenait à ce petit génie, l'envie de coincer la bulle, le profondimètre électronique prendra la relève, avec comme table associée le souvenir des paliers, de mes anciennes plongées, archivés dans ma mémoire encore vive d'où je suis sorti sans séquelle apparente. Les profils des galeries, eux ne changent guère…

Sur les palmes des anciens, la majorité d'entre nous, sont des amateurs s'aventurant avec ceinture et bretelles. Avec des Nitrox dès que la profondeur dépasse les vingt mètres, suivis des Trimix dès que l'on passe les trente cinq et finissant par une décompression à l'oxygène pur. A quand notre GPS étanche avec la topographie en couleur en trois dimensions et radio associée ? Demain…

Et puis viendra le temps de la plongée virtuelle. Comme pour de vrai. On se rendra dans des centres spécialisés, comme hier où nous allions au C.I.P. Sans se mouiller on pourra choisir son protocole, son scaphandre et franchir en enfilade les siphons, faire des pauses et reprendre l'aventure où nous l'aurions quitté, sans se bouger de son fauteuil, juste en se coiffant d'un casque à la connectique optique et manipulant une console très ergonomique. Mais certains resteront rebelles et se frotteront contre vent et marée pour conserver le contact avec les éléments et vivre en réel…

Assis à l'arrière du véhicule prêt à endosser le scaphandre je déroule le film. Je pars pour une longue balade et le tout à la palme de plus de deux heures. Je connais bien cette résurgence, le fil d'Ariane est sans ambigüité et j'ai aussi mes repères naturels. Ce sont les roches et leurs fantaisies travaillées à grands coups de gouge. Je partirai sur le premier biberon d'air. Passé les trente mètres je déposerai mon Nitrox 40. Ensuite se sera le tour du premier relais que j'abandonnerai dans la zone des vingt mètres. Tout les deux clignoteront dans la nuit en attendant mon retour. Si l'eau est aussi claire que la semaine dernière, avec l'éclairage embarqué je pourrai mettre à jour toute la galerie, et dans ce cas le décor est magnifique. Avec l'HID fixé sur mon casque je peux en toute confiance, tout en rasant le plafond, suivre le fil reposant sur le sol. De cette façon je gagne en autonomie. Je devrai passer au pied de la cloche vers les vingt sept minutes, atteindre le dolmen à trente, descendre la rivière de galets, quitter la galerie principale pour ensuite prendre le shunt à gauche, retrouver la galerie principale et filer vers mon objectif. Je devrai y parvenir dans les cinquante minutes. Puis ce sera le retour, rembobiner le film, finir le générique par les paliers d'environ vingt minutes…
Ici, mes dernières plongées étaient d'une durée totale d'environ cent vingt cinq minutes…

Les moyens ont évolué, les méthodes aussi ont changé. Dans cette vasque j'ai pu y voir des plongeurs, qui dans le souci de minimiser leurs efforts avant la plongée, disposaient chacun d'un diable en assistance pour les aider à acheminer leurs bouteilles en aluminium de la voiture au plan d'eau. Deux jolis escabeaux avec tablettes assorties qu'ils installèrent les pieds dans l'eau pour pouvoir y déposer les scaphandres et ainsi les capeler sans effort. Puis ils partaient faire leur plongée, laissant leur infrastructure en place. Je m'imagine la tête du promeneur, passant par là, ignorant cette activité ! A quoi peuvent servir ces escabeaux ? Est-ce pour un surveillant de baignade ? Une échelle à grenouille ? Un perchoir pour chasseur de canard ? Et lui, mon fidèle rouge-gorge qu'en pense-t-il ?

Il me suggère qu'il n'est pas raisonnable de faire une telle distance à la palme! Qu'il faudrait se motoriser. Et par sécurité traîner un deuxième engin en cas de panne du premier. Et mieux encore, faire le même voyage les pieds sur terre en quelques minutes à travers bois et dans ce cas il m'accompagnerait en quelques envolées…
Volatile et humain rien de commun !

Il est vrai que le temps n'est pas le même pour tous et qu'il varie même pour moi suivant ce que je fais. Il y a le temps qui parfois fuit vide, sans combler chaque seconde de ressenti, c'est le temps commun, le temps horizontal, plat et linéaire. Et puis il y a celui qui s'arrête, qui marque une pose, qui prend de la hauteur, se charge de ressenti, d'émotion, c'est le temps vertical. En plongée le temps semble passer moins vite. Si les eaux se font limpides, les parois dévoileront toute leur beauté, la pierre se mettra à nue, sculptée avec goût et originalité, elle attirera le regard. Lorsque la visibilité est réduite, je suis intimement le fil d'Ariane, la plongée devient plus intériorisée, le détail prend toute son importance. De ces plongées j'en tire toujours profit. Et quand l'envie me taraude, que je ne peux l'honorer, alors je me débats en surface pour ne pas me noyer dans un monde que je ne comprends pas toujours…

Ca y est. L'homme est enfin prêt, casqué à la façon des Gaulois, c'est si peu dire. J'admets être long à m'équiper. Mais rien ne presse, je suis seul, je prends mon temps, j'y prends déjà du plaisir. L'oiseau est toujours là, sautillant de branche en branche. Est-ce sa façon de communiquer ?

Parfois, je me permets de mettre en bouche à certain personnage, dont la sagesse est indiscutable, certaines phrases. Par exemple celle-ci « Quand tout vous pèse, il faut se mettre sans attendre en état d'apesanteur », je la verrai bien dans la bouche du Petit Prince…
En surface je gagne le milieu de la vasque, lampe et phare allumés, détendeur en bouche, je purge ma bouée et m'enfonce dans l'élément liquide à la façon de nos pieds lourds d'antan, pieds en avant…

Avez-vous été sous l'eau en scaphandrier ?

Autre sensation, autre vision, enfin rien à voir avec notre scaphandre d'aujourd'hui. Imaginez un peu ! Aucune aisance, aucune liberté dans les mouvements, tous sont pénibles, le pied est lourd. L'air arrive par un ombilical qu'il faut se trainer vous reliant à une pompe à bras. Votre vie dépend d'autres restés la haut. Vous avez la tête enfermée dans une casserole et pour gérer votre peau de bouc, pour ne pas remonter en ballon il vous faudra purger d'un coup de tête sur la soupape qui se tient à l'intérieur sur le coté du casque. Là, le bonnet en laine est précieux…

Moi en ce jour je suis entièrement autonome, autonome en gaz, en éclairage, pas de laisse, je vole avec une bouée double enveloppe, double inflateur pour mieux maîtriser ma flottabilité…

C'est peut-être de là, de ce cette autonomie accordée en partie par du matériel fiable et redondant que peut venir aujourd'hui le danger. La limite devient moi. Du temps où l'on plongeait avec des scaphandres qui bridaient le temps d'immersion, des éclairages fragiles et de faible durée, des combinaisons si peu isolantes, alors les plongées se bornaient souvent aux contraintes matérielles. De nos jours ce n'est plus le cas, la limite est principalement humaine. Et que dire de cette fabuleuse machine qu'est le recycleur, la machine peut encore donner, alors que le bonhomme peut s'être surestimé et avoir dépassé ses limites physiques, psychologiques voir intellectuelles. « Connais-toi toi-même », en plongée engagée aujourd'hui, prend tout son sens…

J'atterris sur la pente sableuse qui m'entraîne dans la résurgence, beaucoup de vairons et de beaux gougeons. L'entrée est un vaste porche, je me laisse couler sur le fond des trente mètres. Inutile de trainer plus loin le Nitrox. Crocheté sur le fil, je déclenche le flash et m'assure que le robinet est bien fermé. Il sera consommé aux paliers. Combinaison et bouée équilibrées, phare bien en main je pénètre dans l'intimité de la source…

La visibilité est excellente. Le début de la galerie, sur la gauche, laisse apparaître une roche qui descend du plafond au sol comme des rideaux froissés, décors cher à André qui a eu cette bonne idée de créer en terre lotoise, une station de gonflage qui n'a rien à envier à celles du bord de mer. Chez lui on trouve de l'air à la demande et des gaz à tous les étages. Mon rythme respiratoire n'est pas encore bien calé, quoi de plus naturel, en début de plongée. La consommation est plus importante mais elle va se réguler au cours de la progression…

Je m'éloigne un peu du fil d'Ariane en me rapprochant du plafond. Celui-ci est lisse, quelques flaques d'air oubliées par d'autres plongeurs y sont collées, cela ressemble à des flaques de mercure. Je me retourne pour mieux les contempler. A mon tour je dépose mes bulles qui s'y fondent. De cette fusion certaines s'en échappent pour se cacher dans les anfractuosités de la roche. D‘autres ne trouvant pas d'issue roulent sur la pierre, prennent leur élan tel l'oiseau, déploient leurs ailes et s'envolent hors portée de ma lumière. C'est vraiment beau…

Parfois dans mon entourage, on me demande ce qu'il  peut bien y avoir dans l'eau et sous terre pour que j'y plonge, et quel est l'intérêt  ? Tout est dans le  peut bien  et l'intérêt exprimés. Car souvent l'interlocuteur est déjà convaincu que rien ne justifie un tel engagement. Homme bombardé d'images, de sons qu'il ne choisit pas. Terrien déambulant dans les galeries marchandes ou se vend beaucoup d'inutile et d'éphémère. Consommateur plus victime que responsable, vie sous procuration, que te répondre ? Descendre pour voir ? Tu en reviendrais peut-être métamorphosé. En plongée souterraine l'image et celle que l'on va chercher, on ne vous l'impose pas, pas de frénésie, pas de surenchère des couleurs, notre regard est focalisé dans la seule lumière que nous portons, on ne craint pas d'être distrait. Le moindre son est entendu, l'écoute n'est pas parasitée. En ces lieux c'est le silence qui règne en maître et non le bruit. Tu es livré à toi-même, pas de faux semblant, que du vrai. Sous terre on a la sensation d'être encore un homme libre et totalement responsable et il n'y a aucun intérêt !

J'arrive à la consommation maximum de ce relais pour l'aller de façon à assurer le retour avec une marge de sécurité. Je repique sur le fil qui est toujours plaqué sur le fond. La profondeur n'est plus que de dix sept mètres. J'y dépose la bouteille dans une marmite de géant. Le flash lance ses éclairs. Treize minutes se sont écoulées depuis mon immersion. Je reprends ma progression sur un autre relais. Je passe au-dessus de cette pierre posée bien à plat sur le fond en forme de triangle dont la pointe et orientée vers l'amont, on ne peut la louper. La prochaine, qui se distinguera sur ma droite dans ce chaos minéral, sera taillée avec finesse et ressemblera à un croissant de lune. J'ai comme ca mes pierres, ca et là dans les résurgences. La tête de cheval et le bison dans le Ressel, le dauphin et le requin dans Font del truffe, Rabelais en bas de St Sauveur, là il se peut que la narcose ait le même effet que le Chinon, Alien à Trou Madame et bien d'autres encore. Il nous faudrait les filmer, les photographier et les rassembler dans une exposition dédiée à cette grande artiste qu'est l'Eau. Ramener d'autres images que nos exploits, mettre en avant les ambiances, l'eau, la pierre et oublier un peu l'ego de l'homme…

Maintenant je plane sous un plafond qui est de plus en plus tourmenté où les ombres m'ont souvent trompées en me laissant espérer des prolongements de galerie. Je me laisse encore prendre à leur jeu restant persuadé qu'il y a encore des anfractuosités qui méritent d'être fouillées. Qu'il nous faut s'écarter du sentier fléché, plonger dans la marge. C'est en faisant ce petit exercice avec Thierry, un compagnon occasionnel de plongée, que nous avons trouvé deux cheminées. L'une remontant bien à la verticale coiffée par une cloche exondée, l'autre qui en son sommet continue par un étroit boyau à l'horizontal, où les bulles de nos scaphandres ont décollé de la boue et des débris végétaux ! Ont-ils été transporté et acculé dans ce trou, ou bien sommes-nous pas loin du plancher des vaches de la vallée sèche ?

Pendant cette cogitation, j'ai dépassé ce coude bifurquant sur la gauche ou un fil isolé est encore accroché sur le coté droit comme une lire, fil abandonné, sans doute, après des exercices et oublié lors du dernier nettoyage. «  C'est une question de discipline, me disait plus tard le Petit Prince » . Passé aussi sur la droite le repère rocheux en forme d'astre de la nuit, puis à gauche le fil conduisant à la cloche. Mon ange gardien m'affiche vingt sept minutes qui se sont égrenées pour parvenir jusque là, profondeur treize mètres. Mon palmage n'est pas rapide, j'en conviens. Je suis plutôt un coureur de fond. Lecture des manomètres, pas de mauvaise surprise. Je ne devrais pas tarder à découvrir la colline, le dolmen. Sur son plateau fût un temps où les fils d'Ariane trop nombreux tricotaient ensemble des pièges à plongeur et la touille à l'affût profitait de cette occasion pour se lever et participer un peu plus à créer une situation délicate. L'adrénaline pouvait aussi s'en mêler, d'où l'utilité de mes épingles à linge. Quand l'eau est déchargée de ses impuretés, que nous n'avons pas le nez sur le fil, avec un bon éclairage, on peut se rendre compte de la grandeur de la salle, de son bel arrondi, du travail de l'érosion…

Aujourd'hui, dans ce monde minéral comblé d'eau claire, je vis pleinement chaque instant. La profondeur passe à quatre mètres cinquante. Le fil est légèrement recouvert de sable. Il bifurque vers la droite. Je retrouve la rivière de galet qui roule de l'autre coté. Mon guide tendu repose au sol puis passe au plafond de la galerie, je me glisse en-dessous et regagne les quinze mètres de profondeur. A ma gauche sur la paroi je distingue parfaitement un autre fil qui remonte à la verticale dans une faille. Je l'oublie, j'ai un objectif et je m'y tiens. Je file mes quinze à dix sept mètres minutes, ma vitesse de croisière. Dans cette seconde partie je trouve la pierre plus sombre...

A main gauche c'est le départ du shunt, je l'empreinte histoire de me faire la totale. Il me revient cette petite anecdote vécue dans Meyraguet avec Jacques, un amateur de trou étroit. Nous avions quitté sans nous en rendre compte la galerie noyée en empruntant un autre couloir sur la gauche pensant rester dans le conduit principal. L'eau y était cristalline. Jacques m'ouvrait la route. Après quelques minutes il stoppa, le fil s'arrêtait. Avec nos phares nous cherchions la continuité. Nous n'apercevions pas d'autre fil. Aucune envie d'en dérouler et ne voulant pas s'aventurer à la légère dans cette résurgence délicate, nous décidâmes de faire demi-tour. Quelle fût notre surprise. Nos bulles avaient décollé le plafond. Devant ce n'était plus qu'un mur marron foncé sans aucune visibilité. Nous avons remonté le guide à la main, je me bouffais les palmes de mon ami. Qu'il était long ce tunnel. Puis retrouvant la visibilité nous sommes ressortis dans la galerie principale et reprîmes notre progression. Quelques minutes après, s'éleva devant nous un nuage de touille. C'était l‘endroit où nous nous étions arrêtés, en bout de fil, en fin de shunt. A cet endroit, le fil de la galerie principale disparaissait sous des sédiments blancs que le moindre coup de palme ferait lever en un brouillard envahissant et perturbateur…

Ici ce n'est pas le cas, le fil est parfaitement fixé, fléché et bien visible. Sur ma gauche toujours ce morceau de bois coincé dans une faille, encore un repère. Je me rapproche de ma cible. Je reconnais les endroits où hier, je m'arrêtais pour faire demi-tour, soit par manque d'autonomie ou par besoin d'arrêter. Alors, j'y laissais une épingle à linge que je retrouvais la fois suivante et que je portais encore et toujours plus loin, comme un fanion. Progression en pointillé, à chacun ses pointes…

Le temps s'écoule fluide, quarante cinq minutes, les manomètres descendent tranquillement leurs aiguilles, les lampes ne faiblissent pas… Je suis serein et le rouge-gorge que fait-il ? Attend-il mon retour ?

Le fond remonte, de plus en plus chaotique. De gros blocs sont là, ils marquent le début de la salle du chao, ils doivent gêner les torpilles humaines dans leur vitesse de pointe. Je sais que mon objectif se rapproche, il sera à main droite, que je pourrai l'apercevoir sur un fond de huit mètres. Le fil continue de se dérouler. Dans le faisceau étroit mais puissant de mon HID, j'aperçois le lien. C'est fait, j'ai la main dessus. Je m'empresse d'y mettre mon épingle, complice de mes escapades, sur ce fil qui m'a guidé jusque là et qui me donnera la direction du retour. Je remonte le bout vers cet œil de Cyclope, cette ouverture verte dans la roche. J'émerge après cinquante et une minutes. Il fait sombre. Je suis très heureux d'avoir refait cette plongée. L'échelle métallique n'est plus, mais on peut jouer de la corde à nœud. Je m'accorde une petite pause, bien que je savoure ce moment, je constate que le réel plaisir est bien dans le chemin plus que dans l'objectif recherché. L'endroit est sauvage, pour seule compagnie l'oiseau. Est-ce le même ?

Une autre plongée va se faire à l'envers, c'est le retour. Sans incidence, avec en plus cette tranquillité concernant la réserve d'air supérieure à ce que m'impose la sécurité théorique. Je vais me permettre de flâner un peu plus du coté du dolmen, de visiter la cloche du P'tit Pote …

Dans le fond noir surgit une étincelle, c'est le flash de mon premier relais, une fois récupéré je respire dessus jusqu'à le vider. Je gagne en profondeur, je me rapproche du second. Je l'aperçois, même émotion, me rappelant à l'ordre par sa signature lumineuse. Je remonte la pente sableuse respirant goulument le Nitrox. Ce sont dix huit minutes de paliers qui vont s'imposer pendant lesquels je vais jouer avec les vairons, les gougeons, les gobies et les loches. Tous viennent gober dans les remous que je provoque. Les dernières minutes s'achèveront en faisant, comme le hamster dans sa cage, le tour de la vasque. Quand Aladin m'affichera 99 je pointerai mon nez au-dehors…

L'ami rouge-gorge n'a pas l'air effrayé par mon déguisement, il continu son ballet très près de moi...

La tête remplie d'images, de sensations uniques, d'un vécu authentique, je me déséquipe et range dans le calme mon matériel tout en songeant déjà à la prochaine. Mon choix se portera sur la partie amont du trou vert, il paraît que c'est encore plus beau, je n'en connais que les deux cent premiers mètres. C'est comme un grand jeu, une nouvelle aventure à la jules Verne qui s'offre à moi…

C'est là un bien grand mystère... Et aucune grande personne ne comprendra jamais que ça a tellement d'importance ! Le Petit Prince / Antoine de Saint-Exupéry