FONT DEL TRUFFE

Compte rendu d'expédition, par Bernard Gauche

paru dans Info-Plongée n°70 d'Octobre 1995

 

Ascension 1994: un temps de chien (Terre-Neuve, bien sur). La Finou était programmée depuis plusieurs mois. J'avais tout préparé en conséquence: bi-151, bi-10... et surtout le mental pour ... Le mercredi soir, il pleut pendant tout mon voyage vers le Lot. En passant à Montvalent, je n'y tiens pas et je m'arrête à 2 heures du matin à La Finou. Dans l'obscurité, je distingue un grand fleuve sortant de la vasque et se joignant à la Dordogne. Des cascatelles tombent de la falaise au-dessus, levant mes dernières illusions.

Arrivé chez Lasvaud, j'informe Jean-Mi qui me fait partager un breuvage détonnant dont il a le secret. Jeudi. Tergiversations d'une équipe désorientée. Il y a là Eric Morin, Eric Hagège, JeanMichel Roux, Ludovic Giordano, Jean-Pierre Stéfanato, Gilles Jolit, Laurent Rouchette. Jean-Claude Collette nous rejoindra un peu plus tard. Tout le monde sent qu'il n'y a qu'une source à plonger avec un tel temps : Font del Truffe. Mais il faut que les désirs cristallisent et cela prend un peu de temps.

Ce n'est qu'en milieu d'après-midi que nous sommes devant la vasque qui a pris quelques rondeurs par rapport à celles que nous lui connaissons durant l'été. Mais tous n'ont pas le goût de l'eau, et Eric, Laurent et Jean-Michel optent pour les fonds de bistrot pendant que nous, les inconditionnels, prenons prétexte d'aller chercher quelques bouteilles que Fred et Ludovic ont baigné depuis plusieurs mois, pour retrouver quelques motivations. L'objectif est vite atteint et j'en profite pour faire une reconnaissance jusqu'au S6 ce qui me donne quelques envies.

Repas chez Mme LASVAUD. Les choses s'organisent. Vendredi. Nous attaquons. L'objectif est imprécis. Qui est déjà allé au fond et sur quel obstacle ont-ils buté? Pourtant il y en a du monde qui visite Font del Truffe! Qu'importe. Nous y allons, au fond. Départ. Ludovic et moi, sommes prévus pour la dernière extrémité. Pour moi, c'est bi-101 sur le dos de l'entrée à la sortie, comme s'il m'était collé dessus. Un relais pour S 1 et S2, relais 7 pour S3, S4, S5. Nos chers collègues font suivre nos réserves d'air au fur et à mesure. Chacun a un bi 7 ou 91 sur les dos, un relais pour S 1 et S2, et une bouteille pour la pointe.

Devant S5 : rassemblement de la troupe. Certains attendront là. D'autres, franchissent le S5 qui est un conduit régulier de 3m de diamètre, dont les parois d'argile contrastent avec le beau rocher dénué de sédiments des premiers siphons.

S6 : les choses sérieuses commencent. La donne est faite ; l'équipe joue ses deux dernières cartes. Je récupère mes 2 relais 91 et je descends dans une belle vasque surmontant un puits, disséqué par une lame rocheuse verticale, qui donne accès à un beau - conduit régulier. Nous émergeons. Devant nous un ressaut. Sans hésiter, j'attaque avec mes 4 bouteilles. Je vieillis. Mais non, si on compte cela fait au moins 60 kg, pensais-je en pestant. Après cet effort, on se laisse glisser sur une pente rocheuse (savonneuse?) qui nous conduit dans un lac.

Ludovic me lance : "c'est le S7, il est très court, tu vas voir". Et je le vois plonger. Suspicieux, je me mets simplement à nager. 30 mètres plus loin, le plongeur émerge de ce qu'il croit être un siphon et confirme: "tu as vu,c'est très court" ! En fait, S7 est un peu plus loin, mais c'est vrai qu'il n'est pas long. Entre S7 et S8, les choses changent un peu. Il s'agit d'un long corridor, nécessitant de progresser pliés en deux. Le haut niveau de l'eau va nous permettre de - limiter nos efforts. Je suis devant, et face à une bifurcation, je prends à droite la galerie la plus large. Je progresse facilement et j'attends mon compagnon un peu plus loin devant S8. Et j'attends, j'attends. Finalement j'entends des cognements qui n'en finissent pas: la branche de gauche est manifestement plus étroite.

Et c'est reparti. S8, S9, s'enchaînent sans qu'il y ait besoin de ressortir de l'eau. Entre S9 et S10 la progression est facile et courte. S 10 est court et peu profond. A sa sortie, coule une jolie cascade, issue d'un petit canyon. Le passage se fait en opposition à 2 ou 3 mètres au dessus du torrent. Je laisse les 91 dans la vasque, et après 50 mètres, nous atteignons Sil.

La galerie de ce dernier siphon, descend assez rapidement avec vers -20 mètres un rétrécissement horizontal. La descente s'arrête à - 31, profondeur qui se maintient sur 50 mètres. Par la suite, on progresse entre -15m et -20m. Tout d'un coup, après une centaine de mètres, on bute sur un grand mur: c'est l'une des parois d'une grande faille coupant transversalement la galerie. Le fil en place, remonte, mais tout de suite je réalise que c'est peut-être regrettable car la base du puits m'apparaît très large. Nous suivons le fil. Il nous conduit dans la faille qui effectivement, se rétrécit au fur et à mesure de notre ascension. Bientôt de l'argile nous tombe dessus tandis que cela devient très étroit. Le fil est attaché à -4m, accompagné d'un deuxième bout sans utilité évidente.

Je comprends ce qui a bloqué la suite de l'exploration. J'invite Ludovic à amarrer son dévidoir (ou plutôt, celui de Stéf). Il a tout compris et nous redescendons en nous dirigeant vers la partie droite de la faille, c'est à dire en rive gauche. Nous suivons ainsi l'axe de la faille, dans laquelle cela continue sans difficulté (galerie de 2 m de diamètre). Désormais, il n'y a plus de vieux fil devant nous. Au bout de 100 mètres, nous ressortons dans une cloche. Je sens qu'il doit y avoir mieux et nous reprenons la plongée. Effectivement, 20 mètres plus loin nous ressortons pour de bon. Mais nous sommes dans un lac aux parois argileuses et verticales. Au dessus, à 3-4 mètres part une galerie fossile. La suite n'est pas là: elle est au-dessous de nous, dans l'eau, à 5 ou 6 mètres de fond. Un conduit de 2m X 2m, tortueux, se développe horizontalement. Nous y parcourons quelques mètres mais nous décidons de rentrer car en fin d'autonomie d'air.

Retour sans histoire pour moi. Les siphons s'enchaînent et au S6 je retrouve Stef et Eric H. On attend... on attend Ludo qui était derrière moi jusque devant le S6. Finalement il ressort bouteilles vides. On saura plus tard qu'il faisait des exercices d'emmêlage dans le fil avec une variante consistant à changer de détendeur pour équiper la seule bouteille où il lui restait de l'air ! Avec l'aide de tous, nous ressortons l'ensemble du matériel au sein duquel quelques bouteilles font d'étranges et lourds glouglou : cherchez l'espiègle. En fin de journée, la zone entre S4 et S3 apparaît bien revêche, malgré nos - genouillères souvent éprises de liberté. S2 et S i sont dans une touille effroyable, digne de La Finou mais finalement nous émergeons entre 21h30 et 23 heures, ce qui représente 11 à 12 heures pour une expédition rondement menée.

Mme Lasvaud nous attend encore pour un dîner sans chandelles. Dans la nuit il tombera des cordes, mais le lendemain un grand soleil nous fait fête. Tout en séchant notre matériel, nous prenons un air étonné lorsque quelques plongeurs s'inquiètent de ne pas avoir pu faire de photos dans Font del Truffe la veille.

Depuis, j'ai pu enfin prendre connaissance du compte-rendu de nos prédécesseurs : Info-plongée (n°30, 1981). Tout est désormais limpide : " En octobre 79, 20 heures d'exploration nous avaient permis de porter le développement de la branche active à 3000 mètres environ, dont 1715 mètres de siphons. Nous nous étions arrêtés dans le SI 1 à -6, après passage à -30. Le 12 août (1980), nous faisons une autre tentative: arrêt à -4 dans S 11 sans pouvoir trouver la suite qui pourtant nous semblait évidente. TPST: 12 heures. Plongeurs : J.C. Chouquet, F. Vergier, et P.Penez "

Que d'Illustres ! Je suis assez satisfait de notre ballade

FONT del TRUFFE (suite)

Le 30 octobre 1994. Même scénario : trop d'eau pour La Finou, nous allons à Font Del Truff. Nous sommes moins nombreux (J.L Siriex, J.P. Stéfanato, L. Rouchette, G.Jolit, B. Gauche) et un seul plongeur est prévu pour la pointe.

Jean-Luc m'accompagne jusqu'au S10, puis je plonge dans le S11 équipé d'une bonne réserve d'air. Je passe au bas de l'ancien terminus marqué par le croisement de faille et je parviens bientôt dans le petit lac délimité par de hautes parois de glaise, qui sépare S 11 de S 12.

J'attaque S 12 dont l'entrée circulaire de 2 m de diamètre, est située au fond du lac vers -8 m. Les premiers quarante mètres ont été équipés par F.Swierczyinsky une semaine auparavant. J'amarre mon fil et je continue dans un conduit d'1,5 m de diamètre, peu profond, à -10 m, qui se dirige dans le sens opposé à la sortie de S11, comme si nous revenions sur nos pas. Bientôt, je parviens en haut d'une diaclase qui part vers ma droite et qui plonge. J'y descends. Ce n'est pas très large mais cela se fait sans difficultés. Je parviens dans le fond de la faille à -32 m. La suite est en remontant dans une nouvelle faille, perpendiculaire, beaucoup plus étroite. Je parcours quelques mètres puis je suis contraint de renoncer, coincé entre les parois, avec des nuages d'argile qui me tombent dessus. Je rembobine jusqu'à trouver un bon amarrage, à 90m de mon départ. S12 est désormais connu sur un peu plus de 130 mètres.

Décidément, la fracturation de cette zone est très complexe, donnant une impression de zébrures taillées à la hache. Au retour j'explore quelques diverticules Puis j'essaie d'escalader les parois du lac S 11-S 12, mais c'est impossible sans spit de s'élever de plus de quelques mètres en raison de l'argile et de la verticalité. Par ailleurs au bas du terminus des " anciens " je vérifie que l'autre partie de la faille est colmatée.

Sortie sans incident. J'ai passé 1 h 30 au delà de S10. Avec Jean-Luc, nous sommes restés 6h30 derrière S5. Tout le monde est dehors (avec toutes les bouteilles), après 14h30 d'une expédition " Tip Top ".

Bernard GAUCHE