La grotte de la Madeleine : Proust qui peut !

Avec un pseudonyme digne de la fameuse prose de Marcel Proust, la grotte de la Madeleine reste évocatrice. Paradoxalement, d’autres explorations nous évoquaient cette cavité.

 

La grotte de la Madeleine est un complexe en rive droite de l’Aveyron (Commune de Penne sur Tarn). Sensiblement en amont du pittoresque château de Bruniquel, où furent tournées certaines scènes du « vieux fusil » (Robert Enrico- 1975). Une plongée qui se mérite, ingrate mais qui valait la peine d’être entreprise.

 

La vallée de l’Aveyron est riche en émergences plongeables. Plus en amont, certaines atteignent des développements  pluri-kilométriques.

 

Une route étroite, sensiblement plus haute que la rivière, puis une piste conduisent au hameau cerné de bambouseraies. La source s’ouvre par un porche bas de plafond, prolongé jusqu’au plan d’eau effilé du siphon 1.

Au-dessus de la piste, une grotte abrite le captage d’eau potable de Penne et ses instruments de mesure en continu. Plus haut encore, une autre caverne, fermée par la DRAC cette fois, recèle des gravures rupestres. Elles honorent la féminité, notamment une Venus singulière.

 

Aperçu historique

Nos préhistoriques ancêtres n’attendirent pas l’avènement de la spéléologie pour investir ces cavités. Quelques évolutions de l’espèce plus tard, en 1984, Patrick Barthas (Section Spéléo des Cadets de BRASSAC)progresse jusqu’à -38m dans le second siphon, soit jusqu’à 340m de l’entrée inférieure. Il topographie méthodiquement et précisément toute la partie explorée. Cette minutie est d’autant plus louable qu’il n’est pas dans les mœurs, en cette période d’explorations frénétiques, d’accorder du temps à autre chose qu’à dérouler du fil.

Dix années plus tard, Pascal Bernabé poursuit et enchaine les explorations jusqu’à 622m dans le S.2 (1999) puis 647m en 2007. Dans ce cadre, Philippe Rabatel réalise une escalade dans la salle intersiphon et explore les cloches du S.2.

 

Accès interdit

L’accès est drastiquement interdit pendant plus de 10 ans. Une voisine zélée veille au grain, les autorisations nécessitent d’âpres et longues négociations.

Dominique Victorin, local de l’équipe, s’y attelle, armé de patience et de bonnes intentions. Il organise la poursuite des explorations et la topographie à la Grotte de la Vipère, la topographie intégrale du Cuzoul Bleu, plonge le siphon de la Loutre, répertorie les sources du secteur. Son travail paye enfin en 2014, après plus de 10 ans de travail de fond auprès des collectivités locales et des spéléologues. Avec le soutien des clubs d’Albi et de Brassac, le sésame est enfin délivré par la municipalité. Sous conditions : pour des sorties consacrées à l’étude et l’exploration de la cavité.

 

Il est trop tard pour qu’Eric Establie, qui ambitionnait de plonger cette source, soit de la partie. Trop tard aussi pour Domi qui a levé le pied et ne sera pas de l’équipe de pointe. Il n’en sera pas moins déterminant dans la réussite de ce projet par sa participation active en assistance.

 

Janvier 2015, les conditions météo déplorables dans notre Midi nous incitent à migrer vers l’ouest, vers la vallée de l’Aveyron où persistent de joyeux souvenirs d’exploration baroque, dans la Grotte de la Vipère (Spéléo n°56 – 2006).

 

Enfin à pied d’œuvre

Le 3/01/15, l’ambiance est pluvieuse. Le paysage embrumé de la vallée se dévoile par fragments, entre deux balayages d’essuie-glaces. Entre deux futaies de bambous un tantinet anachroniques, une voiture indique le parking. C’est Claude Bou. Il nous présente le site, les diverses entrées, la structure des cavités du secteur, la station de pompage et ses multiples appareillages, la sortie active impénétrable, spécialement aménagée pour le piégeage de faune cavernicole, les topographies existantes.

J’aime prendre ce temps, celui d’approcher la cavité, nécessaire à l’imprégnation. Visualiser le site, intégrer son histoire, son organisation, appréhender son potentiel, ses spécificités. Cette approche progressive fait coller les prévisions, la planification au terrain. Le temps que la technique épouse la caverne, que l’hypothétique se concrétise par confrontation à la réalité.

 

Cerise sur le gâteau, Roland Gilet et Serge Delaby plongeurs belges d’une génération prolixe et audacieuse, sont sur place. Leurs comptes-rendus d’explorations, leurs topographies, ont puissamment inspiré, stimulé mes débuts, au siècle dernier. Nous échangeons sur la cavité, qu’ils ont pratiquée modérément, sur leurs aventures passées, les projets futurs.

 

En guise de premier contact avec la source, nous reéquipons et topographions le S.1 (106m ;-9), passons des éléments d’échelle emboitables pour équiper le seuil dans l’inter-siphon et reconnaissons le S.2 sur 200m. Les bouteilles de sécurité sont déposées pour le lendemain.

Si le premier siphon est modeste de dimensions, il s’achève en une apothéose spacieuse mais copieusement argileuse, jusqu’à la surface amont. Le niveau est juste assez haut pour franchir le bref lac à la palme, porté par Archimède. Passé un virage, les parois se rapprochent, la surface bute contre la roche. Des spits supportent des lambeaux de cordes effilochés, il faut émerger. Nous installons deux éléments d’échelle pour changer d’élément. Ces artefacts seront bienvenus à l’aller comme au retour. D’autant plus que la concentration en CO2 est particulièrement élevée. Impossible d’évoluer harnachés autrement qu’en respirant sur les boucles des recycleurs.

 

Le lendemain, avec le précieux renfort de Domi jusqu’au S.2, nous équipons et topographions le S.2 jusqu’à 486m (-58). Le ton est donné dès les premiers coups de palmes. La bauge que constitue la vasque de départ du S.2, onctueuse à souhait, se trouble au premier clapot. L’eau chargée, plus lourde, glisse à contre-courant en suivant la pente. Insidieusement, elle nous précède et opacifie le conduit devant nous. Le fil, amarré en plafond, surnage de l’eau sale. Provisoirement, car l’échéance arrive vite : il faut piquer dans le nuage glauque.

 

La traversée est de courte durée, nous doublons rapidement le cumulus conquérant. Le second siphon diffère radicalement du premier. De section globalement elliptique, il s’étire parfois en hauteur à la faveur de fractures. La particularité de cette cavité réside dans l’omniprésence de remplissages argileux. Au sol, souvent sur les parois. Chaque contact impacte immédiatement la visibilité, complexifie le retour. Il ne faut pas toucher, nulle part, malgré le fil métré à équiper, malgré les mesures à prendre, les relevés à noter. La progression se fera en apesanteur, en pleine eau, avec une maitrise de la flottabilité affutée, une gestion de la propulsion ajustée. Ça tombe bien, à nos âges canoniques, l’esprit suppléant le muscle, nous avons développé depuis plusieurs années la technique en compensation du physique. Nous planons en pleine eau, avec un rythme de progression régulier, mesuré, au bénéfice de l’observation et de la découverte de la caverne.

Réaliser une topographie présente de nombreux intérêts. Notamment celui, non des moindres, de prendre le temps d’observer. Privilège du besogneux, en estimant la largeur, la hauteur, je prends la mesure du remplissage argileux, les linéaments sculptés par le courant au sol, les formes de reprises d’érosion dans les talus, la couleur de la roche, le cisèlement fin des cupules d’érosion sur les parois. J’appréhende à quel point la réputation de «tas de pus » dont souffre la cavité peut être usurpée. La Madeleine révèle ses charmes à qui se donne les moyens et prend le temps de l’approcher. Arrivés à la limite convenue, celle de nos moyens en circuit ouvert en cas de panne sur un recycleur, nous marquons le point topo sur le fil et rentrons en récupérant le fil métré.

 

Tant que les conditions sont valables, sur le plan de la hauteur d’eau pour faciliter l’émersion entre les deux siphons, nous récidivons le week-end suivant.

 

Le 10/01, avec plus de bouteilles de sécurité, afin de parvenir à la zone terminale et progresser au-delà si l’occasion se présente, nous revoilà à pied d’œuvre. Domi et Nico sont venus prêter main forte pour le transfert des bouteilles au niveau du seuil. L’atmosphère est toujours toxique, il n’est pas possible de respirer dans l’inter-siphon. Aussi, ils nous précèdent à l’aller, nous aident puis ressortent. Un rendez-vous est convenu pour le portage retour.  

Nous égrenons les flacons de sécurité au fur et à mesure de la progression, aux profondeurs et distances définies. Nous avons proscrit l’usage du scooter, car le portage et les particularités de la cavité ne s’y prêtent pas. Le palmage est dosé, nous avançons tranquillement et surement. Le temps de progression avant de rentrer en action et s’atteler à la poursuite de la topographie me parait long. Non que la cavité soit rébarbative, la progression monotone. Mais depuis la dernière plongée, le week-end précédent, la France a subi plusieurs attaques terroristes. Un déchainement de bêtise crasse, de lâcheté minable. Leçons d’instruction civique, informations citoyennes, explications préalables, drapeaux en berne, minutes de silence. Les perturbations intellectuelles sont présentes, j’ai besoin de m’occuper l’esprit pour rentrer pleinement dans la plongée.

Enfin, le repère sur le fil est en vue. La mécanique bien rodée se met en branle. Mehdi, devant, équipe le fil métré, je suis en topotant.

 

Le conduit change de morphologie, le remplissage d’argile s’amenuise, on dirait presque que l’eau est plus claire. Passage ponctuel à -70, puis brusque remontée latérale, unique yo-yo du siphon, dans une fracture qui précède la salle terminale. L’ultime amarrage du fil en place est dans une petite salle. Un boyau étroit s'engage en rive gauche. Pas sûr que ce soit pénétrable en recycleur. Sous un rétrécissement rocheux, au sol en rive droite, un laminoir argileux ascendant se réduit à proximité du plafond. Le matos racle, rien pour amarrer le fil et la visibilité qui s'annule rapidement n'incitent pas à aller coller le nez au plafond. Ultime visée dans une eau opacifiée, après une petite dizaine de mètres de première. Retour en inspectant particulièrement les parois et les plafonds, sans trouver de galerie pénétrable. La zone terminale fracturée semble drainer l’écoulement toujours présent, dans des parties impénétrables. Au total, 170m de topographie supplémentaires et 10m de première pour cette seconde plongée.

Après 4h30 d’immersion dans le S.2, nous arrivons 5 minutes en avance au rendez-vous de l’intersiphon. Nico et Domi passent tous les blocs dans le lac du S.1, nous épargnant de fastidieuses et laborieuses manœuvres.

Nous émergeons dans les temps pour expliquer, sous la pluie comme à chaque fois, aux copains spéléos le résultat de cette exploration.

 

Nous achèverons cette campagne par une séance photographique le 18/10  jusqu’à 300m (-36) dans le S.2. Avec un niveau plus bas, le lac post-S.1 devient une pataugeoire. Avec le matériel photographique, onéreux et fragile, la progression devient une gageure. Surtout que l’échelle qui facilitait l’émersion a été déplacée sur le replat supérieur, où elle ne sert à rien. Il faut s’arracher en opposition tout harnaché pour la remettre à sa place. Les résultats seront à la hauteur de nos ambitions, c’est bon de réaliser ses projets en la matière, d’obtenir des résultats photographiques espérés.

 

La Madeleine n’aura finalement pas dérogé à sa fonction proustienne. Elle nous évoque le privilège de bénéficier de la liberté d’explorer, d’entreprendre.  La faculté de vivre dans un pays où il est encore possible, librement et en respectant les protocoles d’accès, de découvrir des endroits de nature sauvage, vierge et inédite.

 


Participants
ASCAlbi (81) : Thierry Guiraud, Jean-Claude Héral, Thierry Monteillet, Patrick Pagnucco.
SSCBrassac (81) : Claude Bou, Thierry Barthas, Paul et Claudine Batime.
Cathy et André Sergent.
PlongeeSout : Mehdi Dighouth, Nicolas Jaussaud, Dominique Victorin et Frank Vasseur.

Remerciements

Dominique Victorin pour avoir fait en sorte que les plongeurs et les spéléos agissent de concert dans ce département et la construction d'échelles à éléments emboitables fort utiles pour le franchissement du seuil dans l'intersiphon gazé;
Claude Bou pour les relations avec la municipalité, les topographies antérieures et les informations relatives à la cavité;
la famille Victorin pour son accueil et l'hébergement,
les spéléos d'Albi et de Brassac pour leur précieux coup de main au portage du matériel ,

Jean-Louis Galera pour l'habillage informatique et la mise au propre de la topographie.

Innodive pour son soutien maériel de longue date (Sous vêtements Artic, éclairages Tillytec, ordinateur Petrel, matériel Dirzone, flexibles, cellules O2…etc) ;
Bruno Bardès pour ses dévidoirs « tout terrain » ;
Franz Schonenberger pour ses combinaisons SF Tech ;
Manel Montoro pour les sous-vêtements Sharkskin ;

Esbit pour les réchauds à alcool solidifié.

 

Conditions d’accés

Cette source est captée. Chacune de nos plongées ont été précédées d'une demande d'autorisation auprès de la municipalité.

Lors de notre dernière plongée nous avons été informés que la multiplication des plongées hors autorisation a conduit la municipalité à réfléchir à une fermeture de l'accès au siphon (entrée inférieure sous la piste). Les spéléologues du Tarn (et nous -PlongeeSout- avons abondé dans ce sens) ont suggéré de faire en sorte que la grille soit perméable, afin de permettre au plongeurs d'y accéder moyennant une autorisation.
Le comportement des plongeurs souterrains induit les actions et réactions des propriétaires / gestionnaires des cavités.

 

 

 

Frank Vasseur – équipe Plongeesout