Exsurgence de la Clautre

 

Par Jean-Luc Siriex

Article paru dans « Spéléo-Dordogne » n°9 - 1995.

 


JL. Siriex

 

Plongée du 28 janvier 1995

Participants : Mathieu et Max Chavoix, Michel Deleron, Patrick Dureisseix, Annie et Michel Maire, Jean-Luc Siriex.

En réalité, depuis un mois déjà, une idée germait dans mon esprit. Je projetais de réexplorer la fontaine de la Clautre. Ce qui impliquait impérativement deux choses :
- Prendre contact avec Monsieur le Maire de Tourtoirac ;
- Mais avant tout trouver un créneau de libre, afin d'être tous présents à la date fixée, en tenant compte des occupations de chacun.

Cela remonte à l'an dernier, où lors d'une sortie dans le secteur avec Christiane et Andy, ils m'avaient gentiment convié à prospecter cette exsurgence.
Je reconnais bien volontiers avoir été un peu impressionné par le fait spectaculaire que provoque cette crue. Je découvrais une scène de fiction, tout en me creusant les méninges, j'essayais de m'imaginer et
de m'expliquer comment une violente poussée des eaux, pouvait-elle faire sauter la porte du captage. Il est impossible de se rendre compte de la force physique déployée par les eaux en furie, c'est incroyablement
stupéfiant de constater cette grosse quantité de sable qui est sortie du siphon.
Il faut croire que la puissance était décuplée en amont pour arriver à ce stade. Sans avoir la prétention de tout percevoir, il est quand même très difficile d'extrapoler lorsqu'on ne connaît qu'une mince partie du
conditionnement, aussi ne soyons pas trop surpris carnous avons déjà vu le ravage dévastateur des eaux.

Sachant d'une part, que la dernière exploration de cette fontaine remonte à 1980, où Gérard Bugel, en deux séances, avait pu progresser de 130 mètres avec arrêt sur & remplissage sableux et suite entrevue.
D'autre part, en découvrant que les fortes crues de 1994 puissent faire sortir autant de sable de cette cavité laisse présager quelques espoirs.
Je dois signaler l'action de Gérard Delorme qui a effectué une petite reconnaissance en apnée sur quelques mètres.

La zone noyée ayant une tendance à être très peu profonde et entrecoupée de cloches, il est très simple de consulter les compte-rendus circonstanciés de Gérard Bugel, des 23 mars et 7 avril 1980, publiés
dans hypogée, la revue du G.S.Périgourdin.

Néanmoins, j'ai observé une particularité marquante, voire très intéressante et relative à cette exsurgence, c'est qu'aucune coloration, parmi toutes celles effectuées dans la région, n'est ressortie à la Clautre. Par contre, nous savons pertinemment qu'une autre résurgence toute proche, la fontaine de Besan, collecte bien les eaux de la Reille, de l'Ouillade et du Petit Homme. Ainsi, tout laisse à penser qu'il doit y avoir un autre gros réseau dans cette remarquable région.
En fait, une seule perte n'ayant pas été colorée peut éventuellement être en relation directe avec la fontaine de la Clautre, mais sans rapport évident avec le débit.
J'ai quand même le pressentiment que cette perte de la Jasse est susceptible d'être l'une des alimentations de ce réseau inconnu. Je reste donc persuadé que cette configuration offre de considérables espoirs et favorise l'avenir avec confiance, étant donné que cette fameuse perte n'est distante que d'au moins 5 kilomètres à vol d'oiseau.

Je suis tellement séduit par le contexte, et après mûre réflexion, je demande à Christiane et Andy de bien vouloir se renseigner sur la possibilité d'y faire une nouvelle plongée d'identification. Malheureusement, cette requête s'est soldée par un refus catégorique.
Toujours suivant leurs explications, et après avoir sollicité la municipalité de Tourtoirac, toute exploration y est interdite. Cette fontaine est un captage primordial et capital d'approvisionnement pour la commune. Selon toute vraisemblance, il n'existait plus aucune possibilité de négocier une autorisation, même avec toutes les mille et une précautions de rigueur.

En conclusion, c'était une petite déception car une telle plongée pouvait fort bien se révéler captivante. Tout compte fait, ce n'était pas bien grave, puisque nous avions de nombreux autres projets en cours,
et que parfois il faut savoir renoncer et se résigner, non sans omettre l'analyse des avantages et des inconvénients d'un programme passionnel.
Nous sommes donc convaincus du bien fondé communautaire et le temps apportera avec lui l'oubli.

Finalement, il a suffit d'une rencontre imprévue avec Mathieu Chavoix et Patrick Dureisseix, lors d'une assemblée du club. Tout en discutant de généralités, notre conversation à bâtons rompus permit d'aborder, entre autres, la situation de la fontaine de Clautre. Nous poursuivons un long entretien, très ouvert et sans détour. Nous échangeons nos idées, nos commentaires, nos perspectives, nos impressions et bien entendu mon désappointement devant le refus absolu. Il se proposent d'exploiter la probabilité existante de la meilleure façon, et n'y voient même aucun problème majeur. Nous nous séparons donc sur la promesse de faire le maximum auprès de Monsieur le maire de Tourtoirac. Ils me tiendront informé de leur démarche.
Le temps et les jours s'écoulaient insensiblement lorsque, en début de semaine, Patrick me demande au téléphone. J'accours, angoissé de connaître le résultat de leur intervention. Il m'annonce une bonne nouvelle, un accord permanent et sans condition de la municipalité qui accepte la tentative de plongée. L'espace d'un instant, je restais muet et déconcerté par le constat de retournement de situation, mais
cependant avec une information qui me comblait de joie. Non seulement je dirais que c'est l'aboutissement presque logique pour des périgourdins, je pense surtout à Philippe et à moi, mais je suppose que nous avons dans ce domaine les capacités nécessaires voire suffisantes et, en plus, nous sommes des adhérents très attachés au club avec, pour ma part, 18 ans à son service, bien petite référence soit, mais référence tout de même.

J'adresse mon infinie gratitude aux copains qui m'ont proposé cette plongée, à Monsieur le Maire ainsi qu'à la municipalité de Tourtoirac pour nous accorder cette opportunité.
J'ai accepté la proposition dans le seul but de servir le CDS 24 qui avait programmé sa réunion à Tourtoirac, lieu de proximité avec la fontaine de la Clautre. Une réelle opportunité de discussions avec la
reprise des explos de Gérard Bugel, quelques 15 années après. Cela pouvait être enrichissant pour tous. [&]

Pour en revenir à la réalisation de cet objectif, le moment n'est pas forcément très bien choisi car beaucoup de rivières et de sources sont, à peu de choses près, en crue. De plus, Philippe Marchive s'est engagé
pour la sortie au Petit Homme, et il semble être déçu que la plongée à la Clautre se fasse quand même ce jour-là. Il est évident que, de mon côté, les deux prochains week-end sont occupés et, par la suite, vient
l'assemblée du CDS 24. En conséquence nous maintenons cette plongée de reconnaissance où j'espère au moins voir en réalité le terminus de Gérard Bugel.
Bien entendu, cela ne pose pas de problème pour y plonger seul, néanmoins je décide d'inviter mes deux amis plongeurs de 10 ans de galères aquatiques, Annie et Michel Maire.
Sachant que Michel risquait d'être intéressé par la chose, puisqu'il a déjà fait de nombreuses séances, entre autres au Puits de Bontemps. Par contre, pour Annie, cela n'est peut-être pas très captivant, aussi je
lui conseillais de ne pas prévoir de plongée, du moins pour l'instant. En définitive, ils acceptaient avec joie ma proposition et j'en étais ravi.

Nous fixons donc rendez-vous samedi matin vers 9h45, avec l'invitation de prendre un petit casse-croûte avant de partir. Le restant de la semaine, je me suis consacré à la préparation du matériel. Le jour venu,
et à la suite de mon rendez-vous du dentiste, je me rends à leur domicile, comme décidé. Un contretemps bénin va nous retarder un peu, Annie a dù partir travailler ce matin, pour débaucher vers 10h30. Un
décalage sans gravité puisque le restant de l'équipe, en l'occurrence les copains spéléos, arriveront à 10h30 au point de ralliement qui est le café du village.

Quant à la prévision météorologique, il est impossible en cette période de déterminer ou même d'affirmer le temps qu'il fera dans deux ou trois heures. Pour l'instant, il ne pleut pas, c'est tout.

Pour nous avancer, Michel me donne un coup de main afin de charger le reste du matériel dans la Ford le repas de midi ayant été prévu en commun à Tourtoirac. Il est environ onze heures lorsque le convoi lève
l'ancre, chargé au max. Notre voyage n'apparaît pas trop long car l'objectif Tourtoirac alimente passablement notre conversation.
Cependant, nou s remarquons facilement qu'au-dessus de nos têtes les nuages défilent et se développent par mouvement de yo-yo, tantôt ils obscurcissent le ciel, tantôt apparaissent des éclaircies.
Admettons également que cela perturbe un peu notre esprit, mais nous devons être optimistes et conserver le moral. Enfin nous arrivons, sans vitesse excessive, sans encombre sur les lieux et midi n'est pas loin.
Je fais visiter le secteur à mes amis, mais l'orge devient tellement menaçant qu'il faut interrompre notre promenade. Vite, nous rejoignons la fontaine, à peine le temps de sortir le matériel et mettre une bâche
que la pluie est là, accompagnée de grêle. En fait, c'est un gros orage de grêle, assez court dans sa durée. Pendant ce temps, nous en profitons pour nous restaurer, tout en discutant du déroulement des opérations.
Je partirai le premier puis, 15 à 20 minutes après, ce sera le tour de Michel, en espérant que nous n'allons pas trop nous gêner. Il faut savoir que dans toutes les explos de ce type, il est toujours délicat de
plonger à plusieurs, ou tout au moins, ce n'est pas agréable pour le second. Il n'y voit absolument rien, selon le contexte dans lequel nos évoluons, et peut se poser mille questions en fonction de ce qu'il
rencontre sur le chemin. En quelque sorte, c'est toujours l'inconnu qui fait partie des éléments de cet univers. Enfin nous verrons bien tout à l'heure, car aucun de nous ne connaît l'endroit.
Le repas terminé, nous nous avançons d'un pas tranquille jusqu'au bar restaurant convenu afin de prendre un bon café et attendre les copains qui ne devraient pas tarder, puisqu'il est presque 13h30. Effectivement,
deux sont déjà là, Michel et Patrick, le temps de faire les présentations d'usage, puis c'est Mathieu et Max qui pointent le bout de leur nez. Nous dégustons notre café, tout en parlant de ce qui nous intéresse aujourd'hui : préparatifs, organisation et mise en oeuvre par étapes, consignes, horaires&etc, enfin toute la panoplie traditionnelle est passée en revue. Nous nous activons un peu car l'heure tourne, le gros de l'orage s'est effacé maintenant, mais il tombe encore quelques petites gouttes.
Arrivée à la fontaine :
- d'une part, nous constatons que l'eau n'est pas particulièrement trouble, mais tout de même un peu laiteuse,
- d'autre part, elle est assez haute, mais pas franchement encore en crue, environ 20 à 30 centimètres d'eau dans le lavoir et avec la pelle en place.
Pendant que les copains s'affairent à retirer la pelle pour faire baisser le niveau à l'intérieur du captage, je prends toutes les dispositions nécessaires de choix pour activer mon organisation, une partie du matériel comprenant :
la petite quincaillerie habituelle, ceinture avec 7,5 kg de plomb, le bi 4l à 250 bars (dont une à 220 b), dévidoir principal Bigeart, casque avec lampes&etc. Pas de palmes, mais des bottes, ce qui est plus
pratique dans ce genre de petits siphons à tendance étroite, peu profonds et courts. Par moment j'en profite pour refaire mentalement le trajet de Gérard. Vient ensuite l'instant qui déconcerte et stupéfait
tout le monde, ma façon particulière qui consiste à mouiller ma combinaison néoprène et mettre du shampooing. Pour mon cas, ce procédé me permet de l'enfiler beaucoup plus facilement et rapidement qu'avec la manière normale.
J'entreprends donc mon harnachement avec tous les accessoires& et je suis fin prêt pour faire cette reconnaissance tant attendue. Je sens que Michel a l'esprit un peu ailleurs. Il est pensif, peut-être éprouve-t-il un inquiétude quant à la hauteur du passage noyé. Un décapelé paraît indispensable, surtout au départ. Il est vrai que de mon côté cette appréhension n'existe pratiquement plus. J'en ai tellement l'habitude
que cette sorte de tourment n'est plus une gêne. J'attache mon fil d'Ariane sur une dalle d'entrée. Je prends congé de mes copains avec un petit geste de la main pour dire au revoir et je m'immerge, mes eux flacons devant moi, pour ressortir deux mètres plus loin dans une première cloche. Le plafond est bas, mais je peux quand même être à genoux. Ah ! Voici le fil encore intact de Gérard Bugel quelque 15 ans après. Je fais donc mon possible pour placer le mien à proximité, en avançant ainsi pendant 5 ou 6 mètres jusqu'au S.2, qui est en forme de petite diaclase, alors que le premier ressemble davantage à un laminoir. A peine suis-je engagé dans ce siphon que mon dévidoir se bloque, impossible de le faire fonctionner car tout est coincé. Pour ne pas perdre le moindre temps, je décide de ressortir en surface afin de récupérer celui de réserve. Heureusement que je prends mes précautions, la vérité d'expérience est que deux valent mieux qu'une, par contre trop de précautions nuit. Mon aller-retour terminé, j'amarre mon nouveau fil
et m'engage dans ce S.2 dont le sol semble creusé dans l'argile.
Exactement comme si une main d'homme avait effectué une tranchée à même le remplissage. C'est au fil des ans que le ruisseau a fait ce lit. Les dimensions de e siphon 2 sont très modestes, mais ça passe assez bien, avec les flacons sur le dos. La distance de visibilité avoisine au max. les 0,50m et le fil en place m'est bien utile. Il fait gagner un temps considérable et m'évite surtout la recherche du bon passage (à noter,
dans le compte-rendu de Gérard, un départ à mi-parcours, mais avec une telle visibilité, impossible de localiser le-dit passage). En ce qui concerne la profondeur, elle ne doit pas excéder les -1m, à la limite de
la voûte mouillante par endroits. J'effectue une dizaine de mètres de cette progression facile, dans une galerie surbaissée et encombrée de nombreux blocs ça et là par moments. J'émerge de nouveau dans une
cloche, longue de quelques mètres. Ensuite, le S.3 du même genre qu'auparavant. En fin de compte, je n'ai aucune gloriole à tirer, je ne fais que suivre le fil de mon prédécesseur, qui est resté intact jusqu'ici, sur une bonne centaine de mètres. Hélas ! Comme toute bonne chose a une fin, ce fil s'arrête net attaché à un bloc. Je continue à dérouler le mien pour ressortir peu après dans une troisième cloche.
Cette dernière dont la progression s'y fait à genoux, semble être un cul de sac, où en tout cas impénétrable puisque bouchée en grande partie par le sable. Tout bien considéré, c'est là le terminus de Gérard Bugel en
1980. Si aujourd'hui je réalise la comparaison dans son état, par rapport au compte-rendu de l'époque, l'endroit n'a pas évolué d'un pouce. Je mets seulement quelques instants pour me rendre à la réalité.
Il n'y a pas de passage pénétrable évident, à peine 10centimètres de hauteur, sur plusieurs mètres, c'est tout. Au fur et à mesure que je progresse dans mon action de recherche et de fouille pour reconnaître d
où arrive le plus gros flux du ruisseau, la déception me gagne peu à peu.

C'est sur le retour, deux mètres avant le cul de sac, sur la gauche, que semble arriver l'eau en quantité plus abondante. Pour une plus grande mobilité, je me débarrasse de mes flacons et décide d'entamer une petite
désobstruction, étant donné qu'en grande partie le sol est constitué de sable. Il me suffit de quelques minutes avec mains et pieds pour ramener tout ce sable vers moi . Ensuite, j'essaie d'engager mes pieds les
premiers en poussant tout ce que je peux devant, et surtout en m'efforçant de sonder la hauteur de ce laminoir, car c'est bien de cela dont il s'agit.
Après un certain temps d'activité, je suis surpris de constater et sentir que mes pieds sortent de l'eau. Il doit y avoir une nouvelle cloche derrière ce court verrou noyé. Je m'emploie donc à déblayer le
plus possible de sable afin de pouvoir m'y engager, et en décapelé bien sur.

Dès que je passe cette désobstruction facile, de 10 à 15 mètres, je décide de tenter le passage. Pour cela, il me faut revenir en arrière pour prendre mon dévidoir et les flacons. J'amarre ce fil de telle façon
qu'il soit correctement positionné, c'est à dire en face du nouveau passage débouché. Conscient que je peux endommager les précieux appareils en traînant mon bi-bouteilles, je prépare mon scaphandre en
protégeant du mieux possible détendeurs et manos, que je fixe sur les bouteilles, bloqués sous des élastiques.
Je m'engage donc les pieds devant et à plat ventre, en faisant suivre le restant du matériel. Ca coince pas mal, mais après quelques efforts et petites contorsions j'y arrive quand même. Je me trouve par suite
logique dans ce qu'il me semble être une nouvelle cloche. A la différence que celle-ci me paraît être une galerie exondée, de petit calibre soit, car je suis toujours à genoux, mais une petite galerie tout de même.
En tout état de cause, l'obstacle était bel et bien réel mais très bref, à peine deux mètres. Ma persévérance malgré tout intense de désobstruction me donne la récompense de franchir le terminus. A partir de maintenant, je perçois l'intense sensation d'être dans l'inconnu et le mystère de la nature. Est-ce par impulsion instinctive, l'intuition, la déduction, l'expérience à formuler des hypothèses, la faculté de
posséder une réception sensorielle plus développée, ou tout simplement de l'abnégation et de la constance ? Je ne peux pas le dire, mais en tout cas, la grande première périgourdine est là, qui me tend la main.
Ici, tout est vierge, aucune trace sur les banquettes argileuses qui bordent cette petite galerie. Le sol de son lit est toujours sablonneux.
Un moment d'hésitation et de méfiance avant d'enlever mon détendeur de la bouche, car j'ai en permanence à l'esprit les quelques accidents qui sont survenus à des compagnons, malheureusement décédés (dont P. Boissard, en raison de gaz foudroyants), alors &prudence.
J'en profite pour m'accorder un petite trêve, en consultant ma montre et me rendre compte que l'heure tourne invariablement. Il est 15h30 et cela représente plus d'une demi-heure que je viens de quitter les copains, et je crois ressentir leur anxiété et suppose un tas d'interrogations&accompagnées de questions appropriées et admissibles.
En tout cas, pas encore de Michel en vue. A vrai dire, je n'en suis pas totalement étonné, car il n'aime guère la taille et l'étroitesse de certains siphons. D'autant que ce dernier verrou liquide conjugue
parfaitement les deux ; par déduction je ne pense pas le voir apparaître tout de suite.

Pour l'immédiat, je dos revenir à la réalité et c'est tout heureux que je poursuis mon petit bonhomme de chemin, tant bien que mal, à genoux avec mon scaphandre et en fixant toujours mon inestimable fil d'Ariane.
J'avance de cette manière pendant une trentaine de mètres et décide de laisser là mes flacons puisque je n'aperçois aucun siphon. Je dépose mon bi-bouteilles en prenant la précaution de fermer les robinets, sécurité oblige. Une nouvelle fois je relève l'azimut : sud-est, idem pour la zone noyée.
La galerie se relève peu à peu, et très vite je me retrouve debout. Cette galerie a vraiment fière allure, j'en suis même sidéré, tellement les parois y sont claires et toutes cupulées. D'autant qu'il existe également de multiples, variables et importantes concrétions qui varient le paysage, c'est fabuleux. Et évidemment, ce fil d'Ariane que je déroule et fixe sans cesse derrière moi. Je veille en particulier à l'attacher solidement, à mi-hauteur autour des abondants becquets ou stalagmites. Dans le labyrinthe des souterrains, nous appliquons la sagesse du petit Poucet avec notre précieux fil d'Ariane. De plus, on fait d'une pierre deux coups, nos retrouvons facilement notre itinéraire et nous obtenons la distance parcourue, si souvent surestimée dans nos prospections. Je ne ma lasse pas de le die, mais je suis pétrifié devant cette galerie qui devient extrêmement féerique et magistralement concrétionnée.
A la réflexion, il est invraisemblable d'admettre ou d'imaginer qu'il faille tant de millions d'années à ces ensembles de concrétions pour se créer et qu'avec leur diversité il sera enfin possible, par la blancheur
de ces concrétions, la longueur des stalactites, les dimensions, la couleur et leurs configurations, de déterminer l'évolution des âges.

Comme la nature est sublime, elle sculpte des Suvres de génie avec une créative impétuosité, mais elle est dotée aussi d'une patience inlassable et infinie.
Je suis maintenant dans une diaclase de 2 ou 3 mètres de large, pour 7 à 8 de hauteur. Elle est d'une splendide beauté, et la progression s'y effectue avec une facilité déconcertante. Tellement fasciné par cette
cavité, j'ai beaucoup de mal à réaliser que ce n'est pas un rêve. Tout bonnement, je frétille comme un gardon à l'idée d'accomplir une magnifique première en Dordogne, avec l'impatience de retrouver ceux qui
m'attendent en surface. Ils s'inquiètent peut-être, et sont loin de se douter que je vis une émotion aussi intense, agréable et profonde. C'est un peu injuste de profiter seul de tous ces instants inoubliables.
Cette rivière souterraine est majestueuse par son calibre, pittoresque par ses dimensions, admirable et éblouissante par al beauté de son concrétionnement, la sinuosité de ses méandres et aussi l'amplitude de
son débit. Même si elle est un peu en crue, elle court tout le temps, sur un sol rocheux le plus souvent, parfois calcifié mis à part quelques marmites ça et là. Et encore et toujours dans la direction sud-est.
Je note au passage qu'à un certain moment je laisse sur main droite un petit affluent actif, à mon humble avis assez important et profitable pour u projet en perspective. Mais pour l'heure, je me contente de
suivre et de remonter le cours principal qui ne semble pas vouloir s'arrêter de sitôt, et tant mieux. Maintenant la galerie change un peu d'aspect, elle serpente encore légèrement avec tout de même ses 4 x 3
mètres, ce qui est tout à fait correct. Puis me voici au bout de mon dévidoir, soit 500 mètres de parcourus, et la galerie se prolonge sans cesse. J'attache l'extrémité du fil à un becquet, tout en y accrochant
le dévidoir vide.

Je songe maintenant à tous mes amis plongeurs, Annie, Michel, restés en surface à m'attendre, mais surtout Philippe qui doit se trouver quelque part dans le Petit Homme. J'estime qu'ils méritent tous de partager
cette impressionnante et considérable exploration. J'éprouverais un immense plaisir s'ils pouvaient venir poursuivre et faire de la premièreà leur tour, d'autant que la zone noyée ne pose aucun problème.
Je projette d'avancer encore un peu ma prospection jusqu'à 16 h, et je ferai demi-tour, peu importent les circonstances de lieu ou de position.
Je parcours encore 300 mètres environ et je m'arrête, c'est l'heure. Je fixe un élastique autour d'une stalagmite afin de repérer l'emplacement, et je rebrousse chemin. Sans regret, à l'idée d'y revenir avec cette
fois la totalité de mes amis plongeurs, il ne faut pas être égoïste.
N'empêche que c'est bien une des rares fois où, pour la bonne cause, je m'arrête sur rien.

Il faut dire que je commençais à avoir très chaud, tant il est vrai que sous l'emprise de la découverte j'ai complètement oublié de poser tout le restant de mon matériel, et surtout ma ceinture de plombs de 7,5 kg,
ainsi que mon masque que j'ai gardé tout le temps sur le visage. Je n'ai même pas pris un moment pour dégrafer ma combinaison, tout cela sous l'euphorie excitante d'une première inhabituelle.
Me voici sur le chemin du retour ; j'en profite au passage pour récupérer mon dévidoir vide. Un retour rapide et sans encombres, pour ne m'apercevoir que maintenant des deux endroits où il faut se baisser. Je
ne les ai pas remarqués à l'aller, tellement le restant de la progression était facile. Arrivé à proximité du siphon, je récupère mon scaphandre et me dispose à refranchir cette zone noyée, longue de quelque 135 mètres. En décapelé pour le passage délicat, puis le bi sur le dos pour le restant.
Cependant, je me dois de noter une particularité au niveau d la deuxième cloche : il faut faire attention à ne pas se prendre dans les fils.

Jusque là, les deux fils étaient côte à côte, seulement ici sur quelques mètres, ceux-ci sont séparés. C'est pourquoi il est nécessaire d'être prudent, en évitant de s'en prendre un dans les lampes ou les
robinetteries. Quant à la visibilité, elle est devenue nulle à cause de l'argile omniprésente à cet endroit.
Vers la fin du S.2, soit à quelque 20 à 30 mètres de l'entrée, j'aperçois les lampes de Michel venant à ma rencontre. Tant bien que mal, je lui fais comprendre de faire demi-tour et que tout va pour le mieux. Finalement, nous nous retrouvons dans la cloche et, en quelques mots, je lui raconte mon périple. Mais je comprends bien vit que Michel est plutôt préoccupé de la façon dont il va devoir s'y prendre pour
refranchir ce court S.1 qu'il a passé à l'aller en décapelé. Je m'empresse donc de le rassurer, en lui conseillant d'employer l'autre méthode qui consiste à garder le bi sur le dos et en passant de côté, ce
qu'il parvient à faire, non sans mal.
Puis vient mon tour, et je retrouve les copains qui acclament cette découverte avec joie.
J'ai à peine le temps d'ouvrir la bouche pour dire quelques mots que je suis ébloui par les flashs et arrosé, non pas au champagne, mais à la bière qui fusait de tous côtés. Cette allégresse passée, je leur donne
tous les détails et commentaires avec une gaieté quelque peu retenue, car j'aurais nettement préféré que notre équipe soit au complet, avec moi au moment de cette découverte exceptionnelle.
Cela dit, elle représente approximativement 800 mètres parcourus et elle continue interminablement dans une somptueuse galerie sud-est, où je me suis arrêté sur rien& Une autre explo. nous attend, mais tous ensemble cette fois-ci, du moins pour les plongeurs. Néanmoins, cela laisse sous-entendre que pour les copains spéléos, tous les espoirs sontégalement permis de pouvoir la visiter, étant donné qu'avec un mètre
d'eau à peine, dans la zone noyée, le désamorçage n'est pas utopique mais réalisable :
- attendre les beaux jours ;
- casser les barrages en béton (après acceptation de la municipalité) ;
- pomper pour faire baisser le niveau ;
- éventuellement faire sauter certains passages difficiles d'accès pour les novices.

Mais dans tous les cas, reconnaître avec certitude une réalité que d'autres voient cela un jour. Tout en nous déséquipant, nous discutons bien entendu de ce que je viens de découvrir, et plus particulièrement
de ce réseau qui s'avère considérable pour la région. Après rangement du matériel, nous nous retrouvons tous autour d'un verre offert par Patrick.
Dans l'immédiat, d'une part malgré le planning chargé de nos futurs week-end, et d'autre part avec l'importance et la valorisation de ce ruisseau souterrain, nous devons vite songer à une prochaine plongée
puisque l'assemblée du CDS n'est pas loin. Je me charge de convaincre Philippe, et sans plus attendre, nous programmons la sortie pour samedi prochain 4février 1995. Nous sommes également conscients de rechercher des horaires de notre convenance, afin de rentrer vers 18 h pour respecter impérativement l'engagement de Michel qui doit assurer une soirée-bal. Nous prenons congé de nos amis, parce que sur e retour nous avons prévu de faire un petit crochet dans la commune de Brouchaud . En conséquence, je m'impose cette courte visite de curiosité pour montrer selon le bon vouloir de la météo, le puis de Bontemps qui crache oh ! à peine quelques centimètres au-dessus de la margelle.

Récit d'une journée bien remplie qui se termine et à samedi prochain.