La Doux de Coly

par Olivier Isler

 

VICTOIRE MALGRE TOUT

 


O. Isler par Gavin Newman

 

 

2 Août 10 heures. Je prépare mon matériel sans trop de hâte et pour cause. Mon départ prévu initialement à 11 heures est différé à plus tard, voir annulé si le problème survenu à la cloche de déco. (câbles vrillés et emmêlés) n’est pas résolu. La Doux de Coly se défend décidément bien et cette nouvelle galère fait suite à une série de revers apparus dés la décision d’en reprendre l’exploration.

Août 97. Confiant en l’état du fil et en une technique éprouvée, je partis avec assurance. Je dus vite déchanter. Depuis la dernière exploration de 1991, la visibilité, encore d’une douzaine de m. à l’époque, avait régressé pour ne plus atteindre que 6 à 7 m. au maximum (un grand merci aux propriétaires des porcheries de la région !).


par Arne Hodalic
Piloter deux scooters couplés à une vitesse élevée (55 à 60 m.par minute) devenait hasardeux dans de telles conditions. Première surprise désagréable: la rupture du fil d’Ariane vers 2000 m. de l’entrée, alors que celui-ci avait tenu sans problèmes pendant plus de 10 ans. Même scénario 120 m plus loin. A peine 50 m plus loin, la cause était entendue:
suivant la paroi de trop près à cause de la médiocre visibilité, j’entrais en collision avec une lame rocheuse sournoise au point de réussir, malgré le carénage de protection, à transpercer le tuyau de l’un de mes circuits. Un système respiratoire (sur 3) hors course, la barre de poussée de mes propulseurs cassée net, il ne me restait plus qu’à essayer de ramener mon matériel blessé à bon port. M’agrippant tant bien que mal à mes deux coursiers en équilibre instable en progressant par sauts de puces, ma rentrée fut un calvaire.

A la suite de cette plongée mémorable de 12 heures aux relents d’Apollo 13 !, atteindre seulement le terminus de 1991 devenait un challenge considérable, car non seulement l’état déplorable du fil obligeait à un rééquipement depuis 1000 m. (jusque là il était
acceptable), mais peut être plus difficile, il fallait complètement repenser le concept propulseurs.
Malgré l’incertitude liée à l ‘organisation d’ une nouvelle expédition, deux plongées (Reinhard Buchaly et Fred Badier) permirent de poser une nouvelle ligne de 1000 à 1700 m..

Durant l’hiver, Reinhard me proposa de construire deux super scooters version américaine proches de ceux utilisés par les membres du célèbre WKPP. J’acceptais avec enthousiasme, tout en lançant une opération de révision du propulseur de Georges Grime,
remarquable par sa conception à double système de sécurité. En outre, je me gardais la possibilité d’utiliser l’un des longs scooters en aluminium embarqué dans l’expédition 97. Idée judicieuse, car suite à de nombreux tests, ce dernier fut retenu comme DPV tracteur d’un scooter américain modifié (afin de le chevaucher tel un FARALLON MK 8 par exemple).
Modifications rendues nécessaires, car en configuration standard (traction) les turbulences créées par la position ventrale du troisième RI pénalisaient par trop confort et vitesse de progression.

par Arne Hodalic

Expédition 98

Reinhard et moi prévoyons de faire une plongée rééquipement le samedi 25 juillet, à partir de 2500 m. (ou plus !). La suite des événements tempère notre optimisme.
D’abord, Fred Badier et Sylvain Redoutay, décidés depuis longtemps à en mettre un coup sont réquisitionnés deux jours avant leur arrivée par la colonne secours, suite au dramatique accident survenu à la Caruva (siphon jurassien). Au pied levé, Michael Walz
essaye de les remplacer, et, ne reconnaissant pas l’endroit de reponse du nouveau fil doit replonger à nouveau deux jours plus tard. Il sort de l’eau le samedi dans la soirée avec deux nouvelles. La bonne: il a tiré le fil jusqu’à 2100 m., la mauvaise: les accus du scooter
que j’avais prévu d’utiliser donnent des signes de faiblesse. Confirmation, après test de décharge prouvant que ces batteries âgées d’une année sont à moins de 40% de leur capacité originelle. Le coup au moral est rude et décision est prise de recycler le second
propulseur américain en scooter tracteur, sans essai préalable, cela va de soi.


par Gavin Newman
Nous ne partirons finalement que le lundi 27, chacun avec sa technique. Reinhard, fidèle aux théories du WKPP, a déposé 5 bouteilles secours les jours précédents et plonge avec l’imposant équipage de l’HALCYON et de ses deux bouteilles secours latérales.
Je m’immerge avec le RI 2000 (3 circuits indépendants: 2 dorsaux, 1 ventral).
Départ moralement difficile, car nous savons que nous allons passer plus de 10 heures sous l’eau, uniquement pour un travail de rééquipement. Très vite, je remarque que mon équipage improvisé est pratiquement inconduisible. Moins de deux cents mêtres après le puits, je décide d’abandonner le scooter tracteur et de poursuivre sur mon second coursier. J’accroche ma ligne à 2100 m.. et déroule au propulseur, Reinhard plaçant le fil derrière moi. Par endroits, le siphon est franchement glauque, le vieux fil cassé jonchant le sol en boucles irrégulières. Aux alentours de 2500 m., je remarque un fil neuf?! sur le sol, après avoir suivi une paroi dans un virage.
Insidieusement, nous avons fait demi-tour dans cette zone vaste et particulièrement trouble. Une recherche à deux nous remet finalement sur la bonne voie.


Rebelote à 2800 m.
Je me rappel avoir trouvé la suite sans hésitation lors de ma plongée de 1984. Cette fois ci, le puits ascendant aboutit à -32,5 sous un plafond. Je pose mon scooter et aidé par Reinhard, je me déplace vers la droite et découvre la galerie horizontale à -34 m.. Le minimum fixé pour envisager d’atteindre le terminus de 1991 lors de la prochaine plongée est atteint, mais nous avons dépassés les 120 minutes, et Reinhard doit envisager de stopper, car ses tables sont prévues pour un maximum de 240 minutes. A regret,
je donne le signal du retour, car si je continuais seul, un problème survenu à mon unique scooter pourrait sérieusement compromettre la prochaine plongée exploratoire. La rentrée se fait sans problèmes particuliers.

2 août 11 heures 30. Les plongeurs remontent avec la bonne nouvelle: la cloche est enfin opérationnelle. Pendant que je finis de m’habiller, Reinhard emmène mes deux coursiers jusqu’au point bas (450 m.), soit un super scooter avec en remorque une version normale destinée à me ramener du point le plus éloigné, si nécessaire.
13 heures 15. Avec plus de 2 heures de retard sur mon timing, je pars enfin. 10 minutes plus tard, un peu essoufflé par la légère hypoxie due à l’emploi de mon mélange fond,

j’arrive au bord du puits ou je dépose mon premier propulseur. Et la véritable plongée commence. Tout coule de source jusqu’à près de 2000 m. où un bruit moteur anormal m’alerte aussitôt. Arrêt vérification. La boucle d’ancrage au fil d’Ariane du petit scooter s’est détachée et pend, touchant par intermittence l’hélice du DPV principal. Un coup de pince coupante plus tard, le problème est réglé. A 2800 m., retrouvant le dévidoire, je le déroule jusqu’à son terme (3100 m.) ou je raccorde ma nouvelle ligne. Le vieux fil apparaît parfois, émergeant d’une dune de sable ou d’argile. En rééquipant, je redécouvre une galerie qui sur certains secteur est beaucoup plus vaste que dans mon souvenir. J’atteins ainsi 3600 m. et m’arrête au pied de la trémie où j’attache le scooter principal, car les 10 mètres qui suivent sont trop étroits pour mon équipage.

par Gavin Newman


Nouveau départ avec le petit propulseur que je pousse devant moi pour me faufiler entre les blocs. Bonne surprise,l’ancien fil parait enfin être d’une qualité acceptable. Fatigué d’avoir déjà déroulé plus de 800 m., je prends le pari de le suivre. Arrivé à -41, entre 3900 et 3920 m.(marquage du fil illisible), je dépose le petit scooter. Temps depuis le départ dans le
puits:165 min. Ayant attaché ma nouvelle ligne en parallèle à l’ancien fil, je continue à la palme. Je déroule très lentement, balayant constamment la galerie du faisceau de ma lampe à main, à la recherche de toute possible continuation. Dès le ressaut atteint (-29
m.) je me décale sur la gauche et continue à fouiller. Vers approximativement 4010 (est-ce la marque correspondant ?) j’aperçois une grande courbe descendant sur la gauche. Je m’y engage, car c’est visiblement la continuation. En 1991, suivant cette paroi sur sa droite, je m’étais enfilé dans le diverticule argileux marquant l’extérieur du virage.

La progression est d’abord rendue délicate par la présence sur le plancher de nombreux monticules d’argile, puis la galerie horizontalise à -35 m. Le sol est jonché de gros blocs, mais le conduit reste de belles dimensions (7 à 8 m. de large, 2 à 3 de
haut). M’étant donné un temps de progression maximum de 200 minutes, j’attache mon fil sur un becquet à 202 min. ayant déroulé exactement 350 m. Assoiffé, je bois quelques gorgées, prenant le risque d’une diarrhée future. Le retour s’effectue sans problèmes
particuliers. A 3900, je récupère le petit scooter, à 3620 le dévidoire laissé là et à 3600 mon propulseur principal. Dans la zone profonde, il m’arrive d’éteindre mon éclairage frontal, ce qui me permets de mieux distinguer les contours de la galerie éclairée par la torche de mon scooter.

par Gavin Newman

J’apprécie le bien fondé du choix d’une vitesse plus lente (30 à 35 m./ min.), gage de sécurité dans les secteurs tourmentés du conduit. A 342 min.,j’atteins - 40.

Premier palier court à -35 où Reinhard vient me donner une poignée de main sous l’oeil du ROV installé en éclaireur dans le puits. Quelques minutes plus tard, j’embrasse goulûment son hublot, sachant que mon amie Christine qui regarde l’écran vidéo à l’autre
bout comprendra mon message. Tout va bien jusqu’ici et à - 24, je branche mon chauffage. A - 16, premier problème. Claude et Daniel ont la délicate charge de me débooster (enlever les 2 bouteilles latérales du RI) afin que je puisse entrer dans la cloche. L’opération se passe aisément.Par contre, l’ombilic du ROV s’est enroulé malencontreusement autour du câble d’encrage de l’habitat. L’opération de démêlage prend une bonne demi-heure, et, Claude et Daniel qui ont consommé largement plus que prévu doivent précipiter mon
installation. Résultat: le siège réglable de la cloche n’est pas dans la position idéale que j’aurais souhaitée, me créant un léger inconfort. Toute l’équipe de soutien est fatiguée par le rythme infernal qui mené depuis le début du camp et, malgré l’installation du téléphone, la déco. ne se passe pas sans quelques couacs. Le timing d’un rendez-vous imprécis et, entre - 12 et - 10, je dois assurer seul la remontée de la cloche, effort important nécessité par l’actionnement du levier du tirefort, aggravé par une légère difficulté à ventiler que j’expliquerai plus tard par une PP O2 un peu élevée (peut être un léger effet Lorrain - Smith ?).
Heureusement, les boissons énergétiques (Overstim.s), la purée de bananes et autre thé chaud me regonflent un peu. Après 3 heures sous oxy. pur à -8, reste la dernière opération critique: la sortie.


par Gavin Newman
N’ayant semble-t-il pas assez insisté sur cette délicate manipulation, quelle est ma surprise inquiète de voir arriver non l’équipe rodée à cette manoeuvre, mais deux plongeurs dont ce n’était pas le rôle. Je sors tout de même et, dans une position des plus inconfortable tente de leur faire comprendre comment me déconnecter de mes bouteilles paliers. Finalement, après cette grosse chaleur, tout finit par s’arranger et dans une eau dont la visibilité avoisine le mètre, je regagne la sortie. J’émmerge à 5 heures 37, 15 heures 22 minutes après mon départ, fatigué mais heureux d’avoir réussi ce qui paraissait oh combien aléatoire quelques jours plus tôt.

Je renonce à envisager une nouvelle pointe qui au vu des retards accumulés devrait impérativement avoir lieu dans les trois jours, car les conditions minimales de sécurité ne seraient même pas remplies.

La Doux de Coly devient donc un beau challenge à relever, car la continuation est évidente, la zone délicate du terminus de 91 étant franchie. Pour moi, la page est tournée, cette source ayant perdu à mes yeux beaucoup d’attraits à cause de l’insidieuse pollution qui,
espérons le, sera enrayée par des mesures appropriées. Il paraît clair que pour mener à bien toute exploration future, la première
condition sera d’avoir un accès libre à la source et non à d’épisodiques et brèves périodes, où une perpétuelle course contre la montre ne peut que nuire à la sécurité et à l’efficacité. La Doux de Coly restera une grande aventure qui m’aura permis de développer un
concept qui m’est cher, beaucoup plus que l’exploration: montrer la voie de la véritable autonomie du spéléonaute. Curieusement, après 9 ans d’existence, le RI 2000 avec sa triple sécurité reste le seul recycleur adapté à la plongée souterraine et les chiffres de ma
dernière plongée parlent d’eux-même: 202’ de progression, 5 H 42 au fond, 4,1 m3 consommés sur 16, 7 emportés ! Cela bien sûr sans bouteilles relais, sans secours aucun au delà du puits.
C’est unique et c’est ma plus belle victoire.

 

Données techniques

Siphon. Longueur: 4300 m.
Profondeur moyenne: env. 45 -46 m. (Max. 60 m.)

Scooters. Version longue: 2x 33 Ah en 24 V
Version normale: 1X 33 Ah 24 V

RI 2000. 2x 20 l 250 bars
2x 12 l 280 bars

Mélanges.
Fond Héliox 25 (25% O2 75% He)

Déco Héliox 40 (-35)
Héliox 50 (-20)
Héliox 60 (-16)
Héliox 70 (-12)
O2 pur (-8 )

Cloche Armature inox, avec siège pivotant de sécurité (Permet de sortir en quelques scondes si nécessaire).
Poche souple en Cordura et Dacron (triple couche) pour l’extérieur, l’intérieur étant en néoprène (étanchéité).

Tables Saturation, calculées par Jean-Pierre Imbert

Remerciements

A SECTOR sans l’aide de qui cette expé. n’aurait pas pu avoir lieu
A Guy Kessada de AGA qui a offert le gaz nécessaire aux plongées.
A Jean-Pierre Imbert pour ses tables haute sécurité.
A Karl von Basel pour sa mise à disposition du robot (ROV) et du
téléphone.
Et bien sûr à toute l’équipe qui s’est tant investie durant 3 semaines.