Le Goul de la Tannerie

RETOUR AUX SOURCES

par Olivier Isler

 


 

Bourg-St-Andeol, petite agglomération jouxtant le Rhône aux portes de l’Ardèche est connue des plongeurs en siphon pour la beauté de ses sources. Tout particulièrement le Petit Goul ou Goul de la Tannerie, considéré comme une classique où depuis près de vingt
ans, les explorations se sont succédées.

En 1976, le G.E.P.S. de Marseille découvre la galerie sur près de 750 mètres, s’arrêtant à 45 mètres de profondeur.
En 1978, soutenu par le Groupe lémanique de plongée souterraine (G.L.P.S.), je poursuis sur environ 70 m., atteignant le haut d’un ressaut à 72 mètres de profondeur.
Deux ans plus tard, Francis LEGUEN descend celui-ci jusqu’à 84 mètres.

Continuer à l’air devenait aléatoire et dangereux. Profitant d’un travail de topographie destiné à installer une prise d’eau, Bertrand LEGER repris l’exploration au TRIMIX (mélange ternaire d’Hélium, Azote et Oxygène). En 2 plongées de six heures trente et sept heures, il atteignit successivement 945 puis 1020 mètres de distance, ce dernier point à 113 mètres de profondeur, dans un grand puits. Bertrand avait placé la barre très haut, car son terminus suivait une longue progression en profondeur.

Ce défi, j’avais décidé de le relever, car j’ai toujours aimé cette source qui, si elle ne représente peut-être pas la quintessence des difficultés que l’on peut rencontrer en plongée souterraine, reste un sacré challenge. Qu’on en juge: on doit négocier plusieurs
passages étroits lors de la longue progression jusqu’au premier puits situé à 700 m de l’entrée. En profondeur, la galerie toujours tortueuse comporte de nombreux ressauts empêchant une avance rapide. Enfin, difficulté majeure, l’obligation d’effectuer la presque
totalité des paliers à distance respectable, ce qui n’est moralement pas une sinécure.

En 1987, une reconnaissance poussée confirmait nos craintes: un fil standard en nylon ne pouvait résister longtemps aux crues. Seule alternative valable: la pose d’un câble résistant jusqu’au haut du puits terminal. Ceci fut fait en 5 plongées de rééquipement-nettoyage de 4 heures 30 à 6 heures 45’ de durée. La suite pouvait enfin être abordée avec plus de sérénité.

En Juillet 1992, mon ami Jacques BRASEY pouvait enfin rajouter une trentaine de mètres au terminus de Bertrand, atteignant -137 m, en une plongée de 9 heures trente. Le manque de temps m’empêcha de tenter à mon tour une incursion. Trois mois plus tard, le drame: Jacques meurt à la sortie d’une source sarde, bloqué sous des rochers dans moins d’un mètre d’eau. Nous sommes effondrés: notre groupe est décapité par la perte de l’un de ses meilleurs éléments. Suit une longue période de remise en
question et d’inactivité en exploration.
Le temps passe et l’envie de remettre ça devient de plus en plus lancinante.

En Avril, je replonge sur les traces de Michael dans la zone profonde. Bonne surprise: le câble n’a pas bougé et nous apparaît dans un état de fraîcheur inhabituel.Pour la grande plongée prévue pour l’ascension (quel paradoxe !!), je décide de m’entourer de toutes les
mesures de sécurité. Pour le calcul d’une table adaptée au profil du siphon, Je fais appel à mon ami Jean-Pierre IMBERT en qui j’ai entière confiance. La décompression sous oxygène est prévue au sec, dans une cloche. Là malheureusement il y a un couac. Si la
cloche démontable semble efficace, son moyen de transport s’avère catastrophique.
Malgré un report à la Pentecôte, décision est prise d’utiliser une cloche souple déjà testée avec succès par notre collègue Hubert FOUCARD.

Vendredi 24 Mai, 17 h 30.
Nous retrouvons nos amis français Jean-Pierre IMBERT, Patrick JOLIVET et Frédéric MARTIN au bord de la vasque. Jean-Pierre m’amène 2 détendeurs TEKSTAR de COMEX PRO, désirant me persuader de les utiliser en pointe, car ils sont très souples et robustes. Je décide de les tester immédiatement en allant déposer le premier convoi de 4 bouteilles de décompression (Voir photo) à -46 m. Patrick et Michael vont installer la cloche souple à -9 m en l’encrant avec des spits.
Plongée sans problème autre que seulement 2 spits sont plantés. Le TEKSTAR semble effectivement très confortable.

Samedi 25.
Je suis le seul à ne pas plonger afin d’être saignant pour le lendemain.
Tous le groupe de Vaucluse est là, ainsi que Sylvain REDOUTAY. En plusieurs plongées, ils vont déposer les 8 bouteilles ainsi qu’un petit scooter aux points stratégiques. La cloche est enfin installée, mais une fuite à la soupape empêche de la gonfler.

Dimanche 26.
Mon dorsal 4 x 20 l additionné d’un petit flacon 4 l (destiné à équilibrer ma combinaison) est sur le mur de la vasque.
La pénible séance d’habillage qui commence invariablement par le rituel de l’installation du PISLEAU (système permettant d’uriner hors de sa combinaison en plongée) peut commencer. En étant conscient du risque accru de transpirer en début d’immersion, j’enfile
un nombre impressionnant de sous-vêtements destinés à limiter l’hémorragie calorique due à l’inhalation d’un mélange riche en Hélium. Puis tout s’accélère, car il s’agit de ne pas mariner trop longtemps dans cet état. Enfin à l’eau. Une dernière vérification
d’équilibrage-lestage, et, accompagné de Patrick et Michael, je disparais (j’espère temporairement !) sous les eaux. Il est 13 heures 8 .

Je respire un NITROX 60% sur mon ventral 15 l. Je progresse très lentement pour éviter de m’échauffer et transpirer, car,
comme dirait mon ami chimiste la bonne solution, c’est de ne pas se précipiter !
Parcours interminable de 48 minutes. Le puits enfin. A - 12 m, je troque mon ventral contre un 2 x 12 l de TRIMIX.
En descendant le puits, je jauge du regard le nombre impressionnant de flacons destinés à ma décompression. Me remémorant mes explorations d’autrefois en bi 2 x 10 l et ventral pour tout équipement, je ne puis m’empêcher de constater combien véridique est
l’expression "avec l’âge on prend de la bouteille !". - 45, le scooter. Il me tracte à petite vitesse dans cette galerie tortueuse qui descend en ressauts successifs et changements brusques de direction. La visibilité, inférieure à 10 mètres est décevante pour cette
source habituellement limpide (les nombreux orages des semaines précédentes n’ y sont peut-être pas étrangers ?). 14 min. depuis le départ "en profonde" et je dépose mon ventral à -72 m.

Passage sur le dorsal et nouveau puits en spirale aboutissant à - 88. En passant à -101 m, j’accroche un vieux fil qui pend en travers de la galerie. 2 à 3 minutes de perdues à se dégager et à le couper. Le grand puits enfin ! Dépôt du scooter dont l’utilité dans ce type
de profil accidenté ne me semble pas démontrée. Je croche mon fil sur l’extrémité du câble et avanti ! La descente n’est pas très rapide. Suivant le fil laissé par Jacques, j’atteins enfin son terminus (- 137). Changement de détendeur Le TEKSTAR est très sensiblement plus souple. Le puits se poursuit toujours grand, incliné à 60 degrés. Ma limite de temps est presque atteinte. A - 165, je stoppe. cela continue, certainement au delà de 180 m. de profondeur. Pas d’amarrage possible sur un quelconque becquet de ce puits grandiose. 2 tours de fil autour de la manivelle et j’abandonne le dévidoir, car mon temps limite est dépassé de plus d’une minute.

La remontée se fait en force, après avoir vidé mon flacon destiné à mon équilibrage. Je gonfle mon sac dorsal, car la collerette de ma
nouvelle combinaison me joue visiblement des tours en fuyant. A - 120, je quitte à regrets le TEKSTAR dont j’ai pu vérifier les excellentes qualités pour repasser sur mon autre bouteille. A - 92, je récupère le scooter. J’ai du retard sur mon timing.
Repassage à -101, puis arrivée à - 90 où commence véritablement mon premier palier. J’ai un peu "les boules" en pensant à Claude qui doit venir aux nouvelles vers - 65. La longue ascension continue. Arrivé à - 60, j’ai confirmation de mes inquiétudes: Claude n’est
pas là. Je ne saurai qu’en sortant qu’il m’a manqué de justesse,ayant entendu le bruit moteur de mon scooter. -57: récupération de ma première bouteille palier que j’utilise dès mon arrivée à 51 mètres, mon ventral étant épuisé. 2 heures 15 depuis le départ et à - 46 je
récupère le bidon entouré de ses 4 bouteilles. A - 42, des phares annoncent l’instant ô combien désiré (même si Redoutay !) de la visite de Sylvain qui vient aux nouvelles. Il me clipe un "biberon" de 4 l d’Argon. Je l’injecte avec délice dans ma combi, sentant la
bouffée de chaleur qui m’envahit. Paliers obligent, ma remontée est de plus en plus lente.

- 36: passage au Nitrox 40%, -24 au 50%, - 12 au 60%. Arrivée de Patrick, mon fidèle compagnon de longue date, assisté de Michael. But: enlèvement des "boosters" (bouteilles latérales) de mon quadri. Opération plus difficile que prévu. Au vu du manque de visibilité,
je décide de garder mon 2 x 20 l dorsal que je prévoyais initialement de troquer contre un 2 x 12 l, afin d’entrer dans la cloche. Le palier de 9 mètres sous oxygène se fait donc en pleine eau, sous surveillance constante de mes amis de Spéléo 84 qui se relaient à mon chevet.
30 minutes avant la fin de mon palier de 6 m, j’entame mon long voyage de retour. La visibilité étant réduite par les incessants va et vient, le ventral 2 x 12 me pose quelques problèmes pour négocier les passages clés: comme prévu, la source se défend jusqu’au bout.
Enfin la surface, crevée à 23 h 19, soit 10 heures 11 après mon départ.
Déshabillage en douceur, puis repas vers 2 heures du matin. Mon plus vif souhait est de continuer, je l’espère en 1997 à progresser un peu dans le puits de cette belle source attachante (sans pour autant se prendre dans le fil d’ariane!).
Ceci dans de meilleures conditions, notamment concernant la cloche de décompression, et soutenu, je l’espère, par la même brillante équipe.

Olivier Isler

   

 

 

Participants

France: Fred MARTIN, Claude HUREY, Daniel DUMAS, Patrick SERTEL ( SPELEO 84)
Patrick JOLIVET (Vendôme), Sylvain REDOUTAY (Vesoul)
Michel LEONARD (Angoulême)
Suisse: Michael WALZ, Olivier ISLER

Remerciements.

France
Jean- Pierre IMBERT qui m’a conçu des tables remarquables d’efficacité.
Michel PLUTARQUE, Directeur commercial de COMEX PRO Pour la mise à disposition
de 2 détendeurs TEKSTAR.
Thierry LEBORGNE (PLONGESPACE)

Suisse
Heinz RUCHTI (UWATEC)
Gaston WILLOMMET (LECLANCHE)
Maurice RAY (OXYBLUE)
Corinne RAPIN DEFRANCESCO (BLOW WAVE)
Manuel LOBOS (GRAND BLEU)
Gérard GRIN (CORTE S. A.)
Jean-Daniel LIN (MIAUTON)
Michel SCHAFFERT (CONSTRUCTION THERMOPLASTIQUE)