UNE PLONGÉE DANS UN LAVOIR

 

par Denis Lorain - 1970 -

Sur cette photo, je suis à l'arrière d'Henri P.

 

 

Nous avons exploré plusieurs sites. On engageait de gros moyens en matériel, pour des approches souvent peu faciles des siphons, à l'intérieur des grottes.

Et nous avons essuyés bien des échecs !

Peu importe, c'était notre passion de chercher à découvrir les continuités possibles de ces réseaux hydrauliques souterrains. Souvent, c'était sur les indications et les demandes de municipalités et d'équipes de spéléologues. Tous étaient intéressés pour savoir ce qu'il y avait après le départ d'un siphon, la suite des galeries noyées d'une grotte. C'était à nous de continuer !

UNE PLONGÉE DANS UN LAVOIR

Ce récit est très court ! Je n'ai pas le souvenir du lieu exact. Probablement dans le Vaucluse, dans une petite commune. Ce lavoir était de dimensions respectables, un rectangle de 10 mètres de long sur 5 mètres de larges, 50 m² ! Entouré d'une murette de 80 centimètres de haut en ciment, avec un petit plan incliné, sur le sommet de la murette, pour que les lavandières puissent faire facilement leur lessive !

Une eau claire et limpide remplissait ce bassin à ras bord, jusqu'aux plans inclinés en ciment. Les lavandières n'avaient aucun mal, pas besoin de se pencher trop fort pour tremper et laver le linge !

Au moment où nous étions arrivés pour nous équiper, bien sûr, pas de lessive, mais plein de gens de cette petite commune pour venir nous voir avec curiosité ! C'était sympa ! On nous surnommait « les hommes grenouilles ». Même le maire était là :

« Vous voyez comment faire ? nous demandait-il

•  Vous êtes drôlement équipés ! disait une autre personne »

Enfin, tout le monde nous regardait et discutait autour de nous, tout en nous posant toutes sortes de questions, comme si nous étions des êtres exceptionnels ! Normal, nous sommes tous pareils. C'est comme lorsqu'on s'approche des avions, des bateaux ou autres, on regarde, tout curieux, des choses que l'on ne voit pas tous les jours de près et surtout, que l'on ne connaît pas du tout !

Ce bassin, ce lavoir, était alimenté en permanence par une source souterraine. Le trop plein du bassin s'écoulait à l'opposé, 10 mètres plus loin, par un étroit rabaissement créé sur le haut du lavoir. L'eau s'écoulait et formait un ru, un petit ruisseau, disparaissant dans la campagne environnante. Notre dérouleur et notre signalisation étaient difficiles à installer sur la murette du lavoir. Nous avons utilisé notre bobine de fil de nylon, c'était bien plus simple !

« La source arrive par la droite, au fond du lavoir ! nous disait quelqu'un ;

•  On ne la voit pas, mais on sait que c'est par là !

•  Oui, on devine bien, car à certaines périodes, de l'eau arrive très fort de ce coté-là ! disait encore une autre personne ;

•  Nous allons aller voir ! disait Bob :

•  Henri, Denis, vous êtes prêts ?

•  Ok pour nous Pépé, on va y aller ! Avons-nous répondu dans un ensemble parfait Henri P. et moi ! »

On était les volontaires pris au hasard ! Partir découvrir d'où venait l'eau qui approvisionnait ce lavoir, découvrir la configuration de cette source. Notre fil d'Ariane à nos poignets, à 4 mètres de distance à l'un de l'autre, nous avons enjambé la murette pour nous mettre à l'eau. Près de la murette, nous avions pieds, un mètre cinquante d'eau. Cette eau était très fraîche, moins de 10°. Je regardais mon thermomètre. Il affichait entre 6 à 7 degrés. On avait l'habitude de ces eaux froides, justement par rapport à nos entraînements en lacs !

« Ca va les potes ? demandait Marcel

•  C'est un peu froid, mais ça marche, on part ! »

Ajustage de nos masques, prise de nos détendeurs, allumage de nos phares de plongée et nous sommes partis, un peu en surface. Tout le monde nous regardais. Il y avait plein de gens autour du lavoir, penchés sur la murette pour nous regarder. Un gentil signe « tout va bien » à tous les présents, un « canard » et on est allé voir. J'étais surpris, par la profondeur. Plus de 5 mètres. Je ne m'en serais jamais douté si je n'avais pas plongé, car je pensais à une profondeur de 2 mètres, tout au plus !

L'eau était glaciale et c'est dans ces cas là qu'il faut faire attention au risque de givrage d'un détendeur.

Je vous le dit tout de suite, notre plongée n'a pas durée bien longtemps. Etant devant Henri, je découvrais l'arrivée de cette source et m'engageais dans la galerie. Pas grand tout cela. Je commençais à me cogner aux roches et j'avançais prudemment. Ce qu'il y avait de bien ici, c'est que c'était très propre, pas de glaise. Une eau d'une limpidité de toute beauté. Je me croyais à l'intérieur d'un vase de cristal !

Dix mètres de profondeur, température de l'eau tout juste 6°. On a avancé dans ce conduit, sur une trentaine de mètres. Ma montre m'indiquait 15 minutes de temps. J'avançais doucement en déplaçant des blocs de rochers, pour les dégager de mon passage. Parfois je sentais Henri dans mes palmes et j'entendais des bruits sourds derrière moi. C'était Henri qui dégageait des blocs de roches lui aussi. Je me disais « Denis, te fatigue pas trop, tu vas respirer trop souvent et ton détendeur va givrer ». J'avais le 2ème détendeur de mon scaphandre et un 3ème détendeur, sur mon ventral de secours. Je ne risquais donc rien il m'aurait suffi de changer de détendeur et de faire « retour » immédiatement.

Mais c'est drôles les pensées qui nous viennent à l'esprit dans ces moments là !

Profondeur de près de 20 mètres, 25 minutes à ma montre et toujours cette eau glaciale. Je continuais à dégager mon passage et j'entendais le bruit sourd des roches, qu'Henri écartait lui aussi. Mon scaphandre et mon ventral cognaient la roche au-dessus et en-dessous de moi. Mes épaules raclaient les rochers sur les cotés. Cela devenait de plus en plus étroit et je commençais à ressentir le froid. Pourtant, j'avais un néoprène de 7m/m et mes mains étaient gantées de mes moufles de plongée.

Rien n'allait plus. Profondeur entre 20 et 25 mètres et cela faisait 30 minutes que nous étions partis Henri et moi. Quelle distance avions nous parcouru ? On le saurait au retour, les copains ayant pu évaluer la longueur du fil déroulé de la bobine. Je pensais à ce moment que nous avions du parcourir à peu près 40 mètres en distance. Pas beaucoup, ce parcours, après tout ces efforts ! Le courant, dans cette source, était faible et je le percevais à peine. Je me disais aussi que toute cette eau venait des montagnes environnantes. Bon, cette fois j'avais vraiment très froid. La galerie était trop étroite pour continuer et cela descendait encore en profondeur. Il fallait que j'arrête et je me disais « si tu continues, on se met en danger, Henri et toi ! ». Péniblement, en me cognant de tous les cotés, je me retournais et faisais face à Henri.

On se voyait très bien dans cette eau magnifique. En le regardant, je voyais dans ses yeux malicieux qu'il me souriaient ! Je lui ai fait comprendre que nous devions faire « retour » et lui aussi, s'est retourné difficilement. Henri est plus corpulent que moi, il avait plus de difficulté à se remettre face au retour!

Excusez mon vilain langage, mais c'était un vrai « bordel » ici. Notre retour était aussi merdique que notre progression à l'aller ! Toujours des roches à dégager ! On a mis plus de 15 minutes pour revenir au lavoir. Un palier de décompression de 3 minutes à 3 mètres de profondeur, par sécurité.

Pendant ce court moment, on voyait plein de têtes qui nous observaient depuis la murette du lavoir. On voit très bien vers la surface à cette faible profondeur ! Cela faisait du bien de revoir du monde ! Nous avons refait surface au terme de notre palier et nous sommes revenus près des copains. On était glacés Henri et moi. On tremblait presque de froid, alors qu'il faisait un beau soleil ! Nous avons décapelé et enlevé nos ceintures de plomb. Les copains ont récupéré nos équipements et nous ont aidés à franchir la murette pour revenir sur la terre ferme ! Nous avons rapidement ôté nos combinaisons de plongée pour se retrouver en maillot de bain au milieu de tout le petit monde qui nous entourait. On avait froid et nous sommes venus près de l'une de nos voitures. Là, on ôtait notre maillot de bain. On était complètement à poil Henri et moi ! Tout le monde nous regardait en souriant. On se séchait rapidement avec nos serviettes et nous nous sommes habillés de nos vêtements de tous les jours, bien secs !

Ouf ! Ca allait mieux, le soleil aidant, on ne ressentait plus le froid de cette eau glaciale !!

« Alors, Henri, Denis ? Pépé nous posait cette question

•  Ca a été… Avons-nous répondu. »

Nous étions entourés de monde et on était bien. Le soleil et cette chaleur humaine autour de nous !

« A combien de distance on se trouvait de vous ? demandait Henri

•  Plus de 50 mètres, répondait Marcel

•  Je n'aurais pas cru ! disais Henri, étonné, comme moi aussi ! »

Les questions fusaient de toute part et on répondait du mieux que l'on pouvait. Nous étions déçu, Henri et moi, de ne pas avoir pu trouver de solution et de ne pas pouvoir donner de réponses à ce qu'ils espéraient :

« On c'est débrouillés, mais cela n'était pas facile !

•  Il nous a été impossible de continuer, trop étroit !

•  Oui, mais quel plaisir d'avoir pu faire cette plongée, pour découvrir à quoi ressemble la source qui alimente votre lavoir ! »

Nous leur avons expliqué, Henri et moi ce que l'on avait vu. On répondait de notre mieux à toutes les questions ! Le maire de cette commune nous a tout simplement dit :

« Merci les garçons, cela fait des années que l'on voulait que quelqu'un aille voir et nous donne une idée de cette source souterraine !

•  On est un peu désolés, pour presque 50 minutes de plongée et une progression de seulement 50 mètres en distance…

•  Oui, on ne ramène pas beaucoup de renseignements !

•  Vous avez le mérite d'y être allé, nous expliquait le maire, on sait maintenant à quoi ressemble cette source qui arrive ici !

•  Elle vient des hauteurs environnantes, dommage que nous n'ayons pas pu aller plus loin ! »

Les copains rangeaient notre matériel dans nos voitures. Tous les gens présents nous posaient, non seulement des questions à propos de la source de leur lavoir, mais aussi pour comprendre ce qu'étaient la plongée sous-marine et, surtout, la plongée spéléologique.

C'était super sympathique !

Toute l'équipe que nous étions a répondu à leurs curiosité. Un vrai plaisir ! Notre matériel et équipements se trouvaient rangés dans nos voitures. Nous allions repartir :

« Encore, merci les garçons ! Nous répétait Monsieur le maire

•  Cela a été un plaisir pour nous !

•  Au revoir ! »

Et nous sommes partis sous les regards bienveillants des gens de cette commune.