Le fond de la Foux du Mas de Banal ?

Par Pascal Bernabé

Article publié dans la revue Spéléo n°33 – Décembre 1999.


par P. Poulet

 

Photos de Philippe Poulet
Email : ppoulet@free.fr
Website : http://ppoulet.free.fr
Website : www.calanques.info

29 mai 1999, dans la garrigue, quelques garçons et une fille crapahutent, de gros blocs de plongée sur l’épaule, souvent avec un ou plusieurs kits de matériel sur l’autre. La procession longe un ruisseau, le traverse, remonte à flanc de colline jusqu’à un gros trou noir où s’engouffrent nos joyeux lutins.
Une autre partie du matériel est descendue par un orifice, plus petit et un peu plus en hauteur, à l’aide d’un palan installé par notre photographe Philippe Poulet.

La veille, son gros tout terrain nous a permis d’acheminer le plus gros du matériel avec Alban, photographe également, Arnaud et Cédric.
Aujourd’hui, nous sommes plus nombreux et nous en profitons pour installer tout l’équipement, cloche comprise, jusqu’à –60 mètres.

30 mai, Cédric va déposer quatre blocs de décompression et deux bouteilles de 10 litres à –100 mètres, qui viendront compléter mon scaphandre dorsal : 2 fois 18 litres et mes deux bouteilles relais latérales de 20 litres.

Ces deux dernières me serviront lors de la pointe. Il jette un coup d’œil sur l’équipement jusqu’à –103 mètres et remonte tranquillement après deux heures de plongée.

Tout est donc prêt pour une longue plongée dans la zone des 200 mètres, prévue pour le week-end suivant. Mais le 4 juin, la veille de la pointe, nous découvrons avec horreur un gros accroc dans ma toute nouvelle combinaison étanche.
Réparation. Cette fin de semaine est passée à peaufiner et à retester la combinaison à présent étanche.

Samedi 12 juin, j’arrive à –162 mètres, bien seul, si profond, loin de la surface. Je l’ai quittée il y a 20 minutes déjà. A u départ, Arnaud m’a suivi, filmant ma lente progression, retransmise en direct sur un écran posé au bord de la vasque. Une " première " qui permet enfin de faire un peu plus participer toute l’équipe restée en surface. Même les non plongeurs peuvent vivre l’exploration en restant bien au sec.
Des scientifiques peuvent observer précisément et ne plus se contenter de descriptions, malgré tout succinctes, des hommes-grenouilles.

-50 mètres : Arnaud stoppe là sa progression et je continue seul la mienne, enchaînant tranquillement les changements de relais, les étroitures et descentes de puits, vite ralentie par de courtes portions où il faut palmer.

-100 mètres : la salle de la petite Léa, je dépasse mon dernier dépôt de bouteilles de sécurité, déposées la semaine auparavant par Cédric Darolles. Je mousquetonne au fil la bouteille de 10 litres et commence à négocier un resserrement triangulaire.

Ici s’arrêtent la corde et la zone soigneusement topographiée par Frank Vasseur, qui m’avait fait découvrir cette caverne en 1993.
Enfin, je flotte dans le grand aquifère, puits géant exploré en 1995 à –116 et –127 mètres, puis en 1996 à –150 mètres.Le puits vertical et gigantesque de –110 à –140 mètres, se rétrécit au-delà.

La galerie, très argileuse, descend alors par une succession de ressauts jusqu’à –162 mètres, terminus 1998.
Mon dévidoir, resté là, planté l’année dernière dans l’argile, pour éviter les manœuvres trop longues et trop délicates à cette profondeur.

J’ai donc juste à m’en saisir, enlever le frein et dérouler le fil d’Ariane vers l’inconnu. A ce moment, ma tension nerveuse, lentement accumulée pendant les semaines de préparation, la longue séance d’habillage laborieuse où, en plein mois de juin on sue à grosses gouttes, engoncé dans trois épaisseurs de fourrure polaire et les 8 millimètres de la néoprène avec cagoule et gants, a complètement disparu.

Déjà, lors des séances de relaxation jusqu’au jour J (ou plutôt P comme plongée), cette tension est calmée, canalisée. Puis, au moment de l’immersion, cet instant précis où l’on s’enfonce après une ultime check-list dans un autre univers, minéral et obscur, pour y planer en apesanteur, les 200 kilos de matériel ne semblant rien peser, glissant à mi-chemin entre le sol et le plafond.

Je suis à présent entièrement concentré sur le fil à dérouler, à arrimer. " Photographier " la galerie nouvellement explorée, en retenir les pièges, afin d’être sûr de retrouver le bon cheminement, tout à l’heure, lorsque l’argile détachée du plafond et des parois par le palmage, malgré toutes les précautions, aura réduit la visibilité à quelques centimètres… dans le meilleur des cas. Après une soixantaine de mètres parcourus à –163 mètres dans une fracture plutôt horizontale, de deux mètres par trois, encombrée de blocs et de larges banquettes, je débouche enfin, un peu plus haut, dans une salle dont je finis par apercevoir les parois à cinq mètres de part et d’autre. Je suis donc dans une vaste salle d’une dizaine de mètres de diamètre où je ne décèle aucune continuation, pas même au plafond, où je remonte de quelques mètres.

Mes recherches dégradent considérablement la visibilité. Je rembobine à l’aveuglette, très déçu de ce cul de sac argileux. Du gaz, il m’en reste, j’avais prévu une plongée pour –200 mètres !

D’après les données géomorphologiques locales et sans doute un peu à cause de mes fantasmes… bref, près d’une demi-heure s’est écoulée depuis la surface lorsque je décide, la mort dans l’âme, de stopper là mon exploration et de rentrer " à la maison ". La Foux s’arrêtera là. C’est comme cela pour l’instant. Je tâtonne dans la zone horizontale profonde. Une main sur le fil, l’autre sur les robinets de mes quatre bouteilles relais (2 x 20 litres et 2 x 10 litres) pour éviter un éventuel emberlificotage avec ce fil d’Ariane.

-150 mètres, j’ai entamé la remontée, une fois de plus, résigné à présent à ce qu’elle soit la dernière en ces lieux.
-100m. La corde, la première grappe de bouteilles et c’est avec 10 blocs que je commence mes paliers de décompression. Déjà plus d’une heure sous l’eau. Dans moins de dix heures, je serai dehors.
En attendant, 2 minutes par ici, 3 minutes par là et c’est déjà l’étroiture de –70 mètres. On y rigole bien avec ces jolies bouteilles, dans le dos, sur les côtés, dans les mains, à pousser, à tirer, je craque ! Trop d’efforts, trop chaud ! Je garde le strict minimum et je vais instantanément mieux.

-50 mètres, dans le puits, je retrouve Patrick, toujours ponctuel, une ardoise à la main, la " paluche " dans l’autre. La paluche est le nom donné dans le milieu industriel de la plongée à cette petite caméra aimablement prêtée par la société Hytec, avec laquelle Arnaud a filmé mon départ. Je me trouve un peu nunuche de faire coucou et le signe OK à ce minuscule cylindre métallique, à ce petit œil de cyclope que Patrick tient dans sa grosse main gantée.

Est-ce que la grande profondeur m’a intellectuellement diminué à ce point ?

Nouvelle " révolution " dans la gestion de ce type de plongée dite " complexe " : l’équipe de surface connaît les résultats de l’exploration en direct avec le premier plongeur de soutien, sans avoir à attendre que ce dernier ne remonte, ne finisse ses paliers. Ce qui peut représenter une économie d’au moins une ou deux heures et autant de temps gagné en cas de problème. C’est donc comme à la télévision, bien au chaud et au sec, que mes petits camarades peuvent me voir m’entretenir avec Patrick, apprendre que tout va bien, que la pointe, même si la caverne ne poursuit pas jusque vers les –200 m, a permis de découvrir 80 mètres de galeries vierges et de boucler l’exploration commencée il y a 6 ans.

Sa mission remplie, Patrick remonte sans oublier de me délester de quelques blocs de décompression vides. Je ne suis pourtant pas tout seul. La paluche, et donc l’assistance de surface, garde un contact visuel permanent et peut donc envoyer un plongeur de secours, toujours prêt, dans un délai très court, de l’ordre de quelques minutes. A –30 mètres, je rejoins François, avec qui je discute un brin et qui repart lui aussi avec quelques blocs. Depuis –60 mètres, j’ai commencé une réhydratation méthodique (boisson énergétique, boissons électrolytiques, eau) et une alimentation froide de même type. De même, mon dernier san Antonio est bien avancé lorsque je reçois la visite de Christian, " vieux " compagnon d’exploration, depuis des années.

Cela fait plus de quatre heures que je suis dans l’eau, lorsque je commence à utiliser mon gilet chauffant et à ingurgiter des boissons (bouillons, thé) et aliments chauds au moyen de grosses seringues. Quel réconfort ! Pour couronner le tout, à –12 mètres, je dispose d’un masque facial et d’un système de communication. Un peu plus haut, à –6 mètres, une grande cloche de décompression. Vous ajoutez quelques bouteilles d’Oxygène, des mélanges nitrox 60, 70 et 80% d’oxygène, d’air, des narguilés à longs tuyaux, quelques seringues d’aliments et boissons chaudes, de bons bouquins baignant dans les mélodies des Pink Floyd, le tout ponctué par les allées et venues d’Arnaud.

L’ensemble prend des allures de mission spatiale de routine autour d’une station orbitale, digne d’un film de science-fiction. D’ailleurs, j’écoute " Dark side of the moon " des Pink Floyd des Pink Floyd et j’ai l’impression d’en revenir, de cette face cachée de la Lune ou pour être plus exact, de la face cachée de la Terre. Arnaud me fait le coup de " Radio Foux du Mas de Banal " sur les douze coups de minuit.

C’est vers deux heures du matin que je sors enfin après onze heures de plongée, avec l’impression bizarre qu’une page vient d’être tournée : celle de l’aventure de la Foux du Mas de Banal, commencée en 1993.

L'exploration de cette caverne a pris pour moi une valeur très symbolique. Elle a vu mes débuts en plongée profonde aux mélanges, à l'époque où j'ai aussi commencé à plonger dans la Grotte du Thaïs.

J'y ai franchi pour la première fois la barre des –100 mètres, ainsi que Fred Badier, qui la veille avait poussé l'exploration à –99 mètres.

Plus tard, Ludovic Giordano, Benoit Poinard, Frank Vasseur (qui a réalisé une vraie topographie jusqu'à –101 mètres) et enfin Cédric Darolles y ont fait eux aussi leur première plongée souterraine à –100 mètres, jusqu'à la salle de la petite Léa, qui a grandi depuis.

En six ans, j’ai aussi eu la chance et la joie d’explorer 200 mètres de belles galeries vierges entre –100 et –163 mètres, d’apprendre beaucoup, de faire évoluer le matériel, les techniques, les procédures de sécurité et de décompression dans le seul but d’aller plus loin, plus profond, d’explorer de nouveaux horizons.

Pour cela j’ai profité de l’expérience des pionniers comme Hasenmayer, Léger, Brandt, Isler en Europe, Exley et plus récemment Bowden aux USA. Je m’intéresse aussi de très près aux expériences de durée en immersion (en mer). Trente heures sous l’eau pour mon ami Pascal Desbordes, qui dut travailler sur l’alimentation, l’isolation thermique, le mental. Nous nous préparons actuellement en vue de périodes plus longues.

Arnaud Legros, mon compagnon de plongée depuis plus d’un an, s’entraînait pour ce type de record et m’avait préparé tout le matériel de communication, de chauffage, le masque facial et tant d’autres choses. Il était un ami cher avec qui je passais beaucoup de temps, avec le plus grand plaisir. Il avait 23 ans mais pratiquait la plongée souterraine depuis l’âge de 18 ans. Il est mort quelques jours plus tard, dans ce même siphon qu’il connaissait pourtant bien, à –69 mètres, peut-être victime d’un malaise.

En sa mémoire, la salle terminale sera baptisée " Salle d "Arno ". Cette salle est belle, grande, située entre –150 et –160 quoique un peu boueuse… Peu importe !

Sa découverte est le fruit d’un siècle d’exploration spéléologique entre Edouard-Alfred Martel qui note son existence en 1899 et cette ultime plongée en 1999.

 


avec JP. Imbert par P. Poulet

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

par P. Poulet

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


par P. Poulet

 

 


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