L’enigmatique Poudak :

un Cénote Pyrénéen

 

Au premier siècle de notre ère, les romains construisirent un aqueduc à partir de la source de Tibiran. Son débit d’étiage (3 000 m3 / jour) suffisait à alimenter Lugdunum Convenarum, rebaptisée aujourd’hui Saint-Bertrand en Comminges, qui devait compter 5 000 à 10 000 habitants.

Cette résurgence constitue la réapparition définitive des eaux capricieuses de l’Arize, perdues deux vallées plus haut pour flirter à deux reprises avec la surface avant une ultime plongée dans les arcanes.

Le Poudak constitue le premier regard sur le cours retrouvé de l’Arize souterrain.
Seul un égaré discernerait le Poudak par hasard, au terminus de la route, dans une vallée en cul de sac, en contrebas d’un hameau.

Un chaos de rocs moussus laisse échapper quelques filets épars qui convergent et caracolent ensuite vers Generest, en un torrent pyrénéen digne de ce nom.
En amont, le Plan du Poutz, vaste étendue cultivée ovoïde, cintrée en son tiers supérieur, est une idyllique trouée de verdure dans les contreforts boisés du Nistos.

Au débouché de la clairière, la vue embrasse le Mont Caup. Sous ses faux airs de terril minier, ce curieux modelé recèle un gouffre vertical exploré jusqu’à une laisse d’eau, à - 306.

En bordure du champ, un talus boisé grimpe rapidement.
C’est là, vers le nord, que la futaie dissimule un vaste entonnoir, une gueule obscure, un avaloir réputé de tout temps pour son lac souterrain à ciel ouvert.


par EA. martel

A l’aube du XX ème siècle déjà, Edouard-Alfred Martel descendit de Paris pour constater de visu les curieuses intermittences.

" la profondeur jusqu’au bassin est de 19,5 m ; celle de l’eau est de 14,5 m à l’extrémité est et de trois mètres à l’endroit où nous jetons l’échelle (30 août 1908). Il était fermé et siphonnant, à ses deux extrémités, mais nous y découvrîmes, à notre vive surprise, un remarquable phénomène d’intermittence ; la hauteur de l’oscillation constatée a été de 4 met. : montée en quinze minutes, étale de 3 m., descente en quarante minutes (soit 29 minutes pour chaque pulsation).


par EA; martel


Norbert Casteret - 1927

Un peu plus loin, après un conduit souterrain impénétrable, ces eaux débouchent dans un creux moins profond, se remplissant et s’assèchant en une période de 29 minutes (soit moitié moindre), à 125 ou 150m. au nord-est de premier.
L’eau, colorée par 500g de fluoresceine, a mis 45 minutes pour passer d’un trou à l’autre. Nous avons relevé aussi qu’avec une grande complexité, d’autres pertes et passages souterrains existent encore à l’aval. Le tout ne fonctionne qu’après les pluies, mais aboutit à une résurgence pérenne à Plan-de-Pouts (l’Arize, 510m).

 


Dans le bassin du premier creux, le courant se renverse pendant l’opération : il va d’ouest en est à la descente, et en sens contraire à la montée. Il faut dire que nous devons les étranges constatations ci-dessus au hasard et au concours d’une forte pluie (du 29 au 30 août) qui avait troublé et sali toute l’eau de l’ensemble.

Les paysans interrogés sur place affirment que le phénomène n’est pas fréquent, nous n’en avons trouvé mention nulle part. Il serait curieux de tenter le déblaiement du deuxième creux (à l’amont surtout) ; peut-être accèderait-on ainsi à quelque cavité de nature à révéler le mécanisme de l’intermittence constatée. En l’état, cette intermittence n’est pas moins remarquable que celle de Fontestorbes. " extrait de " La France Ignorée, t. II, p. 219-220.

Un tel phénomène ne pouvait demeurer longtemps sans recevoir la visite du local Norbert Casteret.

Celui-ci prit sa route le 29/07/1927 : " Un chemin très mauvais et interminable nous conduit à Generest qu’il faut dépasser pour atteindre le " plan dit pouts ". arrivés à une petite chapelle, on devine le ruisseau et un chaos de rochers moussus. Nous cherchons le " gouffre de Generest " sans succès. Finalement, je vais au hameau où je suis accueilli par une meute de chiens aussi féroces que des loups. Un montagnard barbu nous guidera jusqu’au gouffre qui est impressionnant. A cheval sur un frêne qui surplombe l’abîme, nous contemplons l’eau vert sombre qui atteint 19m de profondeur (sondage Martel).


résurgence du Poudak
par JF. Coronado

L’eau de ce gouffre (qui est un dôme effondré) rejaillit plus bas dans une dépression dont les cassures et le trajet souterrain du torrent indique très nettement une caverne effondrée.

Par deux regards on peut voir l’eau qui gronde sourdement. Après de fortes pluies cette dépression se remplit d’eau qui disparaît assez vite. Plus en aval, autre doline rocailleuse qui est submergée par les orages. Enfin 4ème et 5ème réapparition du torrent qui devient libre en face la chapelle. "

 

Le célèbre spéléologue pyrénéen revint dans le secteur les 29 et 30 juin 1931 : " Seul en auto j’arrive à Bas Nistos et je remonte la petite vallée de l’Arize (parcourue en partie le 29 juillet 1929) peu de temps après l’inondation qui la ravagea le 25 juin.

Les travaux de déblaiement et les dérivations effectuées à cet effet ont montré que les pertes de l’Arize alimentent le gouffre de Generest. Car comme ce gouffre de Generest alimente lui-même la résurgence de Tibiran, il y a donc là un cours souterrain de près de 7 km qui passe transversalement sous deux vallées.

Je remonte la vallée jusqu’à la perte ouverte du Bouridet (3 km en amont de Bas Nistos) en notant les endroits où le lit est desséché ou non.

Au Bouridet, après avoir tué un serpent avec un faucheur, je pénètre dans la perte où coule une partie de l’arize. Je me trouve engagé dans une étroite diaclase plongeante où je ne peux faire qu’une vingtaine de mètres, le conduit devenant trop bas.

(…) Le lendemain, à 7 ou 8 heures, je suis au puits de Generest dans lequel je descends à la corde lisse. Il me paraît que l’eau est à 2m plus bas que lors de ma première descente du 28 août 1929. Je séjourne là 40 minutes sans observer la moindre fluctuation. J’en profite pour lâcher un bout de bougie sur un flotteur improvisé dans la diaclase aval. Le flotteur s’arrête à 15m, probablement sur un siphon.

Je sors du gouffre (20m de corde lisse) et je vais examiner le lit intermittent d’aval où je pénètre un peu dans le cours souterrain. Puis dans un fouillis de végétation. Puis ??? et sous un chaos de rochers j’arrive à la résurgence pérenne qui a tari dernièrement pendant 8 jours à la suite de travaux sus-mentionnés.

Au moulin de Generest, je m’entretiens avec le meunier qui me signale des pertes et m’envoie à la Hount dé pé dé la Caste, résurgence tarie actuellement et d’ailleurs impénétrable.

Je n’ai encore que des données confuses sur cette circulation souterraine qui cependant est nettement jalonnée et reconnue, de l’arise de Nistos à Tibiran. "

Archives Casteret Notes personnelles (carnets de sortie).

Faute de potentiel exondé, les spéléologues s’en détournent jusqu’en août 1968, où un binôme du G.E.P.S. de Marseille (Bernard Sapin et Claude Touloumdjian) plonge pour la première fois le Poudak.

Récit par Claude Touloumdjian

" Les couches semblant verticales, nous avons préféré prendre des bouées "fenzy" car le siphon peut être profond.

Nous commençons par explorer le grand lac (15 mètres sur 8 mètres) - c'est-à-dire, l'amont .Le cône d'éboulis se prolonge sous la surface. A droite, il bute partout contre la paroi ne laissant aucun espoir à gauche, par contre, la pente s'accentue.

Il nous faut passer dans un spectacle surnaturel entre les branches d'énormes arbres immergés. A -30 mètres, l'éboulis empêche tout passage. Nous revenons sur nos pas et découvrons, vers -20 mètres, une fissure peu engageante. Bernard s'y introduit, passe une chatière et disparaît avec le fil d'ariane. Il revient au bout de quelques minutes et nous remontons en surface.

Je plonge ensuite seul en aval, mais l'eau est trop trouble. J'avance â tacons sur une dizaine de mètres, la profondeur est alors de -5 mètres. Je ressors car vraiment je ne vois rien.

Consommation d'air

Bernard SAPIN 220 - 110 Claude TOULOUMDJIAN 220 - 135

Profondeur maximum : -30 mètres Durée : 18 +6 = 24 minutes

Il reste encore du travail en amont et en aval, le gouffre de Generest peut continuer ".

Durant le mois de mars 2001, Marc Pernet et Frédéric Verlaguet inspectent la vasque amont puis descendent à -20m dans l’aval.

En juin 2002, nous découvrons le site en crue. Le gouffre charrie des eaux boueuses et absorbe des rideaux de cascatelles dévalées de la montagne. Aucun doute : il passe de l’eau par ici. Alléchant, mais nous attendrons un peu encore avant d’y plonger : nous avons d’autres objectifs prioritaires et le Pitbull fédéral (caverneux) local grogne et montre les crocs.


Jean-François Coronado

Yves André

José Ferris

Participants : Yves André, Jean-François Coronado, José Ferris, Frank Vasseur, Damien Vignoles.

En juillet 2003, nous organisons le camp " Baronnies 2003 " d’une semaine afin de reconnaître une série d’objectifs indiqués par Yves et d’être un peu plus opérationnels que sur un week-end.

Au Poudak, dans l’aval, après une première approche modérée (Nadir progresse sous la trémie jusqu’à une amorce de remontée dans les blocs), c’est l’apothéose :

" Nos bleus-bites semblaient un peu refroidis par l’ambiance du Poudak. C’est sombre, y’a des blocs partout en équilibre avec de l’argile dessus, ça manque de parois, c’est austère !. Motivé par les potentialités du secteur et la vision de " la bête " en crue, je pousse un peu la jeunesse à remettre le couvert et, en digne chef de guerre, montre l’exemple en ouvrant la voie. La visibilité est supérieure à 15m, le rêve !

Au terminus de Nadir (70m), seule la paroi rive gauche est apparente. Rive droite, au sol, au plafond, des blocs encastrés en un formidable chaos qu’il faut tenter de franchir par le bas. Quelques tentatives infructueuses, puis, en suivant la seule paroi apparente, je bute sur un bloc obstruant intégralement le conduit. Le rideau de touille tombe rapidement du plafond. En cherchant du regard, j’accroche une lucarne à l’opposé de la galerie, en hauteur. Juste à temps, car la visibilité dégringole en flèche.

La configuration latérale (bouteilles au côté) permet un franchissement aisé de ce rétrécissement, et à -14, je retrouve un vaste volume et la visibilité. Banco ! A main droite, le chaos de blocs, de l’autre côté, un talus de sable, encombré de branchages et de détritus (sac d’engrais en plastique) remonte rapidement jusqu’à -3, sur un replat. A la verticale, un miroir. En rive gauche, une amorce de galerie de 2 x 3m.

Emersion : une galerie aquatique semble s’engager dans la même direction, on va laisser ça à la jeunesse. Retour dans le monde du silence. C’est bien un superbe conduit qui poursuit à -3, en s’infléchissant à deux reprises vers le nord, puis le nord-est. Les dimensions augmentent, le sable se fait rare, la roche grise et granuleuse dévoile des cupules dont la direction indique que je progresse dans le sens du courant, vers un aval. Un départ plus modeste en rive gauche, allez, c’est mon jour de bonté (ou le début de l’altération des moyens physique avec l’âge) cadeau supplémentaire pour la génération montante. A 190m, dans un bel élargissement, la galerie oblique brusquement plein ouest. Dernier caouèches. Amarrage final avec arrêt sur rien, ça valait bien la peine de revenir. " Frank.

Quelques jours plus tard, Damien remet le couvert et parvient à 300m de l’entrée, dans une grande fracture. Arrêt à -18 en tête de puits.

Participants : Yves André, Nadir Lasson, Frank Vasseur, Damien Vignoles.


départ siphon aval 2
par JF. Coronado

La tentation se faisant trop forte pour attendre le camp de l’été 2004, nous organisons une nouvelle plongée les 11-12/ octobre.

Cette fois, la visibilité est de l’ordre de 3 à 4m, due aux orages du début de la semaine.

" Nous partons avec Guillaume et atteignons rapidement la cote 123m. Le rétrécissement de -14 ne pose aucun problème. Dépose de relais, Guillaume me donne le suivant. Nous palmons jusqu’au début de la fracture, à 250m. Nous devions inspecter en détail les plafonds et les coudes de la galerie, mais la visibilité ne le permettant pas chacun part vers son objectif.

Guillaume s’offre 20m de première dans un shunt entre 160 et 190m (les départs repérés l'été dernier) et retourne à l’air libre.

En poursuivant jusqu’au terminus de Damien, j’ai le loisir d’apprécier cette fracture, dont les dimensions ont a peine été exagérées par notre juvénile. Confirmation également de la direction : nous revenons bien vers la surface et vers la résurgence. Raccord des fils, largage d’un relais, et plongeon régulier le long d’un talus de graviers. A -46, un court tronçon horizontal puis le conduit amorce une nette remontée.

L’ordinateur affiche déjà des paliers, je le surveille du coin de l’oeil Vers -20, sur le sable, j’observe quelques coquillages. A -15, un poisson gris, puis une salamandre et une myriade de mollusques. A -10, un fil d'Ariane détendu flotte. Son extrémité a sauté et une partie a été rapportée par le courant. Il a l’air ancien et porte des étiquettes bleues.

Etonnant non ?

Suis-je de retour dans la vasque d’entrée, ou existe-t-il une autre entrée au système du Poudak ?

Durant la remontée, l’ordinateur est devenu moins gourmand et je peux grimper ainsi jusqu’à -3. Là, un rétrécissement dans lequel s’engage le fil. Au sol, une planchette topo. De mieux en mieux !

Qu’est-ce qui m’attend au prochain détour de la galerie ?

L’ordinateur impose 17 minutes de paliers, la suite est moins large, la touille tombe du plafond, et je commence à jouxter la limite d’autonomie en gaz. Allez, on rentre, c’est déjà pas si mal, arrêt à 428m de la vasque du Poudak après 125m de première.

Retour en topographiant la partie découverte aujourd’hui.

Titillés par ce fil, nous fouinons à l'extérieur et découvrons, au bas du champ et en tête du ravin dans lequel on retrouve l'actif du Poudak, un regard qui donne sur un siphon équipé d'un fil d'ariane. La boucle est bouclée, il reste à chercher encore l'amont dans ce Poudak énigmatique.

D'après l'ancien maire de Generest, une plongée dans ce regard aurait eu lieu il y a une quinzaine d'années. Mystère sur les plongeurs et la date. On aurait connu ce regard cet été , on aurait certainement jonctionné à ce moment. " Frank

Participants : Yves André, Jean-François Coronado, Jean Esquerre, José Ferris, Guillaume Tixier, Frank Vasseur.

Remerciements

M. VERDIER Gilbert (maire de Generest), M. PEREZ Eugène (ancien maire de Generest et maire-adjoint), M. CROUZET Francois (propriétaire du terrain), Mmes Gilberte et Marie Casteret, Stéphane DUPUY, (géologue) et HASSINE Nadia (Géologue du RTM), M. Jacques JOLFRE et M.PICARD pour les renseignements hydrologiques et historiques, Yves André pour toute la documentation, les sacs et les boulons.

Karstologie

La rivière Arize, qui coule dans la vallée du Nistos, se perd en deux points : le bourridé (670m) et un peu plus bas (635m). Les colorations effectues en 1983 ont démontré que les eaux passaient sous le Mont caup (1246m) jusqu’au Plan de Pouts d’une part et la résurgence de Seich d’autre part.

Le peu de dénivelée entre ces deux points (pertes et Poudak) ne permet pas d'espérer de vastes galeries sèches... Mais on ne sait jamais, l'hydrogéologie souterraine réserve souvent des surprises.

Le Poudak (574m), regard sur cet écoulement, fonctionne également en cheminée d’équilibre durant les crues. Les habitants témoignent d’un ennoiement complet du puits d’entrée et du déversement dans les champs alentours.

Lors de ces spectaculaires manifestations, le débit de la source de Tibiran augmente considérablement.

Car l’Arize, après son premier parcours souterrain de la vallée de Nistos au Poudak, après son second bref tronçon souterrain, du Poudak à la résurgence du Poudak, coule jusqu’à Generest. En chemin, près du moulin, une partie de l’eau retourne dans les arcanes, et à partir du village, deux autres pertes assèchent le cours d’eau.

Depuis fort longtemps, les habitants de Tibiran négocient avec ceux de Generest pour conserver, ou rétablir, le débit d’eau dont ils bénéficient à Tibiran.

Malacologie

Un prélèvement de sable (camp " Baronnies 2003 ") a révélé la présence d’Islamina Globulina (détermination Henri Girardi), jusqu’alors jamais localisé dans les Pyrénées.