Poya

Quelques plongées dans le réseau de la Tête des Verds

Par Philippe Marti

 

La saison hivernale 2003-2004 aura été l'occasion, au gouffre de la Poya, de planifier à la fois des remontées et des plongées. Sur 10 siphons recensés dans ce gouffre, seuls quelques-uns sont vraiment intéressants à plonger. Il y a incontestablement le siphon du fond, le S1. C'est la porte au fond du réseau. Cependant, nous sommes clairement sur une région noyée: le S1, le S3 et le S5 sont à la même profondeur.

Un autre siphon intéressant est bien sûr le S7: c'est le terminus de la partie amont de la principale arrivée d'eau dans les « trivières ». Après plusieurs tentatives de vidange de ce siphon durant la saison précédente, il est devenu évident que la suite appartiendrait aux plongeurs. Le second intérêt de ce siphon est qu'il n'est qu'à deux heures de l'entrée pour une bonne équipe, à 240 m sous la surface.

Première plongée

La première sortie de la saison est donc prévue du vendredi 26 au samedi 27 décembre 2003, le thème principal en est la plongée du S7. Les participants sont: Patrick Deriaz, Alain Quiquerez, Vincent Berclaz, Philippe Moret (Phil), Rémi Heijn, Johnny Martinez (Jo), Denis Favre et moi-même. Nous partons de bonne heure, après avoir réveillé Jo qui venait de se coucher. Nous arrivons au parking de Flaine vers 10 heures du matin et entrons dans le trou vers midi, après maints coups de pelle.

Rapidement, les puits s'enchaînent. Une équipe de quatre, Denis, Jo, Phil et moi-même, partons avec le matériel de plongée. Nous arrivons assez rapidement au bivouac puis au S7. Denis et Jo se relayent pour le bi-4 litres 300 bars qui est quand même lourd. Nous arrivons au siphon vers 15h00. Tous me donnent un coup de main pour préparer l'équipement pour la plongée. Vers les 16h30, je peux y aller. La galerie qui fait au départ dans les 2 mètres de haut et 2 mètres de large s'élargit assez rapidement pour atteindre dans les 4 mètres de large. Le sol est composé de cailloux alors que les parois et le plafond sont de la roche.

L'eau est vraiment très claire, mais elle touille vite. Je repère assez vite un passage à gauche, dont je vois même une partie de la pente de sable qui arrive jusqu'au milieu de la galerie. Je continue la descente au milieu de la galerie, tenant le dévidoir à bout de bras dans la main droite. Les indicateurs posés sur le fil bloquent un peu au passage du guide fil, mais c'est supportable. Je fixe mon fil à l'aide d'un élastique au milieu de la galerie sur un gros caillou et continue la progression. Après quelques mètres, mon fil s'emmêle dans le dévidoir. Heureusement, ce n'est pas grave et ça se répare très vite. J'accroche encore le fil à un autre caillou, la profondeur augmente, je suis déjà à 8 mètres de profondeur et la galerie semble toujours descendre.

Je continue, la galerie s'élargit sur la droite, une arrivée semble remonter en surface. La galerie principale continue, elle, sa descente. J'effectue donc un nouvel amarrage, à un point bas de 15 mètres, au milieu de la galerie sur un morceau de roche et pars dans la galerie de droite. A quelques mètres de l'amarrage, je croise un autre être insolite dans cette galerie, une planaire. Elle est posée sur le fond, elle se déplace sur de la roche à nu. Elle doit bien mesurer le centimètre et demi. Je commence la remontée au travers d'une langue de sable, je sens que cela touille très vite, je me dépêche en me demandant si je vais trouver de quoi fixer mon fil. Un petit becquet dans la paroi m'apparaît. Il semble avoir été taillé là pour que j'y pose mon fil. J'en profite donc! Là aussi, deux choix s'offrent à moi, continuer la remontée où prendre à gauche dans une galerie qui semble être parallèle à la galerie du bas.

Je commence par la remontée, qui s'arrêtera assez vite, la pente de sable rejoignant le plafond. J'enroule mon fil jusqu'au dernier amarrage dans une touille complète, me demandant déjà si je vais pouvoir retrouver l'autre galerie. Arrivé au dernier point, je palme dans la direction ou je me souvenais avoir aperçu la galerie et rapidement je sors de la touille. Ouf, je suis dans la bonne direction. Je continue donc dans cette galerie, qui est de dimensions plus modestes que la galerie du dessous et plus haute que large. Je profite d'un nouveau becquet pour un autre amarrage et je reprends la route. Je passe un virage à droite et la galerie continue. Tout à coup, j'arrive en bout de fil. Ça tombe bien, j'arrive aussi au terme de mes tiers. La galerie, elle, continue et je regrette amèrement de ne pas avoir eu 10 mètres de fil de plus. Je coupe donc le fil et fais un nœud sur un becquet dans la paroi.

Je sens les premiers frissons de froid qui me saisissent, l'eau est à 4 degrés. L'euphorie de la pointe terminée, les sensations de base telles que le froid reviennent. Je sais alors que je ne suis plus immortel (car comme tout le monde le sait, en pointe on est immortel). Je sors donc mon crayon et commence la topographie. Je peux inscrire les largeurs pour les deux premiers points topo, mais après je dois procéder de mémoire. En effet, les particules en suspension m'empêchent de distinguer les parois. Au cinquième point topo, le crayon fatigué décide de me lâcher. Je ne vais pas me laisser faire par un morceau de bois. Je le taille donc à l'aide de mon sécateur. Ce n'est pas vraiment l'usage de cet outil, mais cela me permet de terminer les points qui me restent. Je fais surface au bout de 28 minutes de plongée, déçu de ne pas avoir traversé. Le point bas du siphon est à 15 mètres, mais une branche continue à descendre. L'arrêt topo s'est fait à 83 mètres de l'entrée du siphon, à 4 mètres de profondeur sur une galerie qui continue à monter.

Nous commençons à ranger le matériel lorsque la seconde équipe arrive. Cela tombe plutôt bien, car compte tenu de la plongée, tout le matériel peut ressortir. Vincent est d'accord pour prendre les bouteilles de plongée et les remonter jusqu'où il pourra. Il les remontera presque jusqu'en haut, d'ailleurs.

Pendant qu'une équipe remonte, nous transportons le tuyau jusqu'à l'affluent de Jade. Arrivé entre le P25 et le P40, je laisse Jo et Denis continuer et choisis de rejoindre le bivouac, fatigué par la plongée. Le lendemain, Denis nous réveille à 7h30, nous prenons un thé en nous équipant, en préparant les kits à remonter et en conditionnant les sacs de couchage pour la prochaine sortie. Au moment de partir, nous consultons la montre... 7h30! Nous entamons la remontée avec la légère impression de nous être fait rouler par Denis, pressé de rejoindre sa famille. A 10h30, nous attaquons un vin chaud et une salade dans un bistrot des pistes de Flaine. C'est ainsi que se termine la première plongée au fond de la Poya.

La réflexion

A ce moment là, nous ne pensions pas replonger ce siphon. En effet, la plongée y est telle que ce n'est plus une configuration de fond de trou. D'un autre côté, le fil est posé et l'objectif reste intéressant. La réflexion nous poussera à nous dire qu'avant de plonger dans le S1, ce ne serait pas si mal de faire une seconde tentative. Une partie du fil est déjà posée et les crues printanières risquent bien de nous l'enlever, ce qui conduirait une nouvelle équipe à refaire tout le travail. De plus, nous ne sommes pas si loin de l'entrée. La décision est donc prise : le S7 !

Seconde plongée

Le week-end du 7 et 8 janvier, nous repartons pour la Poya. Trois équipes y travailleront en parallèle. Une composée de Jo et Denis part pour les remontées du fond et la topographie. Une autre équipe composée de Yuri Schwartz et Phil part tenter la vidange du S8 avec les anciens tuyaux du S7. La dernière équipe composée de Arnaud, David Christen, Véronique Mailly (Véro) et moi-même partons pour le S7. Après 3 désistements dans cette dernière équipe, nous constituons quand même une équipe de choc. J'appelle cependant Phil pour lui refiler une bouteille à m'amener devant le siphon, il ne se dégonfle pas. Ouf ! Nous pouvons réduire deux kits en un et voilà le tour est joué. D'une équipe de six avec de bons kits, nous nous retrouvons à une équipe de 4 avec de très bons kits. Pour ceux qui me connaissent et qui savent que j'oublie toujours quelque chose, et bien pour cette sortie, j'ai réussi à oublier mon réflecteur à acétylène. J'ai bien pris le casque et la calebonde, mais pas le réflecteur, misère!

Nous entrons dans la cavité derrière l'équipe Yuri et Phil, il est midi. En deux heures, nous atteignons le S7 et maintenant c'est à moi de jouer. Véro et David m'aident à capeler les bouteilles. Je prends un bi-6 litres en dorsal dans un kit et les deux 4 litres en ventral (cela fait quand même un total de 20 litres à 300 bars, pour du fond de trou !). J'ai 225 mètres de fil, mon éclairage Donzé et la pointe devant moi… Au bout de quelques mètres, je me rends compte que je n'arriverais pas à m'équilibrer avec tout ce poids et qu'à continuer comme cela je vais m'essouffler, je largue donc une première 4 litres. De toute façon, elles ont les deux des fuites, je ne peux donc pas vraiment compter dessus.

Je rejoins, toujours trop lourd mon ancien terminus et commence à dérouler mon fil. Je remonte à 3,4 mètres de profondeur et mince, la galerie redescend. A ce moment je me dis que cela va être plus dur que prévu, j'entame donc les 6 litres et laisse ma seconde 4 litres au point haut. La galerie redescend toute droite à 12 mètres de profondeur sur 28 mètres de long, et hop, on remonte ! Par contre maintenant, je souffre du gag classique en plongée siphon: mes bulles décrochent l'argile du plafond. Je dois donc me dépêcher pour avoir l'opportunité de voir la suite. La galerie se divise en deux, je choisis la partie de droite, elle semble plus petite, mais je vois qu'elle s'élargit après une étroiture. La galerie de gauche avait l'air plus grande, mais au travers d'une étroiture sévère. Une fois la partie étroite franchie, le tout est plus clair. J'en profite pour contrôler mes manomètres. Je suis encore à 7 mètres et l'air diminue, je commence à trouver la sortie lointaine. Quelques mètres plus loin, un grand virage et ça remonte très fort… mieux je vois la surface ! Profil de la plongée: 18' 14.7m.

Je sors dans une petite salle avec de magnifiques concrétions. Je me déséquipe, place mon chronomètre à zéro: je dispose d'une heure. J'amarre le fil d'Ariane à une magnifique concrétion de 5cm de diamètre et je me lance dans l'exploration post-siphon.

Première constatation: la rivière est bien là, je n'arrive cependant pas à savoir si c'est tout le débit, je n'en suis pas sûr. Je suis d'abord un petit méandre qui pars à 240° sur environ 20 mètres, puis il tourne à 201°, ce qui restera l'orientation majeure. J'arrive dans une sorte de laminoir en pente avec la rivière en bas. Il fait environ 10 mètres de large, je le parcours à mi-hauteur à l'aller et en bas au retour. Je le parcours sur bien 50 mètres pour arriver bloqué sur la rivière qui sort d'un conglomérat. J'écris « SSG 2004 », puis je monte dans le laminoir. Je trouve alors un shunt et retrouve la rivière quelques mètres plus loin. La forme change, je suis maintenant dans du méandre avec quelques passages qui semblent étroits à ma combi néoprène. Je passe aussi deux lacs dont un où je n'ai pas pieds. J'arrive aussi à la base d'un puits avec une cascade. Je continue jusqu'à arriver devant un nouveau siphon dont le toit est constitué de glaise. J'estime avoir parcouru entre 150 et 200 mètres en tout. Il c'est déjà écoulé une demi-heure depuis que j'ai fait surface, je dois donc faire demi-tour sans tarder. Je n'aimerais pas que mes amis s'inquiètent. Au retour, je profite de mon éclairage pour chercher toutes les suites possibles. A quelques endroits, le méandre est trop haut pour que je vois quelque chose, mais c'est quand même le large laminoir qui offre le plus d'espoir, car je ne note pas de courant d'air et le sommet du puits semble lui bien bouché.

J'arrive après 50 minutes au siphon, je commence à me rééquiper. Je prépare ma plaquette pour la topographie et note les premières indications. Et c'est reparti dans le siphon. Une première difficulté se présente, le bouton d'inflateur de mon étanche ne cesse de gonfler. En fait, il s'est remplit de boue. Je dois donc jouer avec le tuyau et le brancher/débrancher à chaque fois que je dois un peu m'équilibrer. Puis, quelques mètres plus loin, une crampe me surprend… pas moyen de la faire passer par les techniques habituelles. Je me tire donc sur les bras au lieu de palmer jusqu'à ce qu'elle se décide enfin à passer, tout cela en continuant la topographie. Je retrouve ma première bouteille 4 litres sur laquelle je passe tout de suite. Arrivé au « Carrefour de la planaire », je déroule quelques mètres de fil dans la galerie du bas. J'ai vraiment trop envie de savoir ce que cette galerie profonde nous réserve. J'arrive à 18 mètres de profondeur et je vois la galerie qui remonte. Je fais demi-tour et topographie cette petite partie. A ce moment, je suis assez convaincu que la galerie inférieure rejoint la galerie supérieure avant la sortie

Je ressors de plongée, l'équipe est très contente de me voir, cela fait presque deux heures que je suis parti. Aidé par tous, je me déséquipe, nous remplissons les kit s. Il est 18h et nous quittons le S7 pour le bivouac. Arnaud et David commencent chacun avec deux kits. Nous sommes en effet très chargés. Véro prendra à son tour deux kits sur une partie du trajet. Arrivé au bivouac, nous refaisons le plein de carbure, enfin pour ceux qui en ont besoin , et nous repartons vers 19h30. Nous ressortirons de la cavité entre 22h et 22h45. Une b onne journée vient de s'écouler avec un bel objectif vaincu: le S7!

La réflexion bis

Le siphon a été franchi, il fait 173 mètres de long avec un premier point bas à 15 mètres et un second point bas à 12 mètres. La première idée qui me vient à l'esprit est bien sûr d'aller réaliser la topographie post-siphon. Cependant, au vu de la configuration et de ce qu'il y a derrière, ce serait bien d'être deux et avec de grosses bouteilles. Ce n'est vraiment pas évident de monter une équipe pour ce travail. Il reste cependant devant le siphon le bi-6 litres avec un peu plus de 200 bars dans chaque bouteille. Il faut donc en profiter et réaliser une troisième plongée. Ma première idée est de parcourir le siphon et d'aller faire cette topographie. Cependant, quelques gars me disent que s'il n'y a pas de suite évidente, il vaudrait mieux voir ce que l'autre partie du siphon nous réserve. Ce n'est pas si faux. L'idée retenue est donc la suivante. Il faut partir dans la galerie qui descend à 18 mètres avec un équipement topographie de surface et si je rejoins l'autre galerie, je n'aurais plus qu'à en faire la topographie. Une première tentative est organisée, mais les désistements nous convaincront que ce n'est pas sage de plonger et nous réorienterons la sortie à une autre fin. Nous participerons au déséquipement des cordes du P80 (voir saison 2002-2003).

Troisième plongée

Le week-end du 20 au 21 mars 2004, nous repartons pour la Poya, c'est le dernier de la saison. Pas moins de trois équipes sont constituées, la première est composée de Denis et Jo. Ils vont au fond continuer une remontée entamée par Ludo et moi-même. Après une remontée de 17 mètres, l'accu de la perforatrice rend l'âme prématurément mettant un terme à leur remontée. La topographie est effectuée et les tuyaux du S8 sont mis à l'abri.

La seconde équipe est composée de Claude Rossi, Yuri et moi-même. Elle a deux objectifs, une nouvelle plongée dans le S7 et une remontée ou plutôt une main-courante en face du puits descendant vers le P80. Nous arrivons au siphon vers 14h. Le siphon est plongeable, certes il y a plus d'eau que les dernières fois, au moins 4 cm de plus au niveau du départ du petit ruisseau. Yuri et Claude m'aident à m'équiper et la plongée peut commencer. Nous nous sommes mis d'accord sur une heure post-siphon comme la dernière fois. Je suis le fil qui tient toujours aussi bien, j'arrive au carrefour, puis je continue la descente vers la suite.

Contrairement à ce que j'avais vu ou cru voir la dernière fois, la galerie ne remonte pas et part même dans le sens opposé. Plus étonnant encore, elle revient en arrière. Le peu d'air disponible, la profondeur et l'argile en suspension feront que je ne déroulerais que 30 mètres de plus dans cette partie. Je traverse un autre carrefour, me lance dans la galerie qui remonte, mais vers les 15 mètres, je m'arrête sur les tiers juste devant une étroiture. L'étroiture passe, mais je ne veux pas prendre de risque. De plus je prends l'eau au bras droit, ce qui est fortement désagréable. J'attache le fil, fais demi-tour et commence la topographie. J'aperçois un Niphargus, à nouveau je suis déçu de ne pas avoir de quoi collecter…

La topographie se passe bien et sur la remontée je vais voir à 4 mètres du départ une galerie à gauche qui en fait jonctionne avec le petit lac connu, aucune continuation de ce côté n'est possible, de plus ce n'est pas haut. Je ressors après 29 minutes de plongée, j'ai atteint la profondeur de 19m. Je pense que la galerie descendante mène vers 22-23m de profondeur. Nous paquetons le matériel avec Yuri pendant que Claude va planter le premier spit de la traversée qu'il veut faire. Yuri et Claude se lancent dans la traversée alors que je pars déjà pour le bivouac avec le kit détendeur et une bouteille. Arrivé au bivouac, je croise Déborah Grosjean et Alain Quiquerez, la troisième équipe, visite et logistique, qui s'apprêtait à remonter. Nous discutons 5 minutes, puis ils commencent la remontée. Déborah me soulage d'un bidon 6 litres et Alain prend le reste du kit détendeur.

En rangeant un peu le bivouac, j'attends Yuri et Claude qui finissent par arriver. Nous mangeons quelques nouilles chinoises et entamons, à notre tour, la remontée. Je suis rapidement rattrapé… par Jo… Nous rattrapons Alain et Déborah au puits Monica, je laisse passer Jo devant, il a deux kits lourds et le feu au cul. La montée sera longue, nous ressortirons tous du trou aux environs de minuit. Nous ne trouverons plus un bistrot ouvert pour une petite bière alors nous rentrerons tranquillement, mais sûrement, rejoindre les bras de Morphée.