Plongée dans l'évent des Ressecs

 

Extrait d’un article paru dans le bulletin du Spéléo-Club Alpin Français " Calaven n°10 " p. 107-109, 1998.

 

Sur la commune de Puechabon, en rive gauche de la vallée de l'Hérault, se dresse l'imposante "muraille de Puéchabon", haute falaise surplombant le cours facétieux du fleuve.

A sa base, sous l'extrémité méridionale, bée le porche de l'évent des Ressecs (nom provenant de "ruisseau à sec", chaos accidenté qui monte à l'entrée).

La cavité fut découverte et explorée par l'équipe du Spéléo-Club de Montpellier, emmenée par Maurice LAURES, entre 1947 et 1949.

Ces sorties aventureuses débutaient souvent par un trajet en train (Montpellier-Aniane), matériel et vélo sous le bras, puis en bicycle jusque dans la vallée de l'Hérault, et se prolongeaient par une randonnée, (cordes et échelles au dos) dans les gorges avant d'entamer véritablement l'exploration souterraine.

Ces pionniers régionaux découvraient alors 500m de galeries accidentées, entrecoupées de puits verticaux, d'étroitures et de cheminées à remonter pour stopper irrémédiablement sur un siphon.

En 1982 le club de Montpeyroux, puis Frédéric POGGIA plongent ce siphon sur 240m et stoppent dans une branche ascendante après avoir passé un point bas à -54m sous la surface de l'eau.

L'exploration du siphon ne reprit que dernièrement (février 1997) lors d'une importante campagne menée conjointement par l'association CELADON et le Spéléo-Club Alpin Languedocien.

En effet, les difficultés du portage (1500m de marche d'approche en bord de rivière, puis 200m de galeries souterraines ponctuées de deux puits, d'une cheminée à remonter, d'étroitures et d'escalades) cumulées au profil complexe de la plongée alourdissaient la poursuite des investigations.

Une plongée de reconnaissance (nécessaire pour se familiariser avec la cavité, reconnaître les passages-clés, installer un fil d'Ariane correct afin de retrouver le chemin de la sortie dans une eau opacifiée par l'argile mise en suspension) fut consacrée au relevé topographique du siphon (afin de disposer d'informations fiables concernant le profil, la profondeur et la distance de la partie immergée).

Afin de pallier aux problèmes posés par le profil accidenté du siphon, l'utilisation de mélanges suroxygénés (l'air est enrichi en oxygène) s'avérait impératif.

Les mélanges suroxygénés ont comme intérêt de réduire le pourcentage d'azote dans le mélange respiré, donc de diminuer la saturation du corps en azote durant la plongée, afin de diminuer et sécuriser les longs paliers de décompression.

Une fois l'équipement mis au point, il fallait trouver les bonnes volontés nécessaires à son acheminement jusqu'au siphon. Au total, 20 personnes, que je remercie vivement, se sont relayées au cours des laborieux portages.

le 16 février, je m'immergeais seul (c'est une sécurité en plongée souterraine, car dans l'eau troublée l'assistance à autrui est illusoire) dans la vasque précédant la galerie noyée, avec 5 bouteilles contenant de l'oxygène pur pour les paliers de décompression, deux mélanges suroxygénés différents pour la progression, et deux bouteilles dorsales d'air pour l'exploration en pointe.

En effet, le conduit plonge graduellement pendant les 150 premiers mètres. Je respire alors les "nitrox" (mélanges suroxygénés) jusqu'à -40m, puis passage à l'air (car l'oxygène devient toxique à partir d'une certaine pression) pour le point bas de -54 et jusqu'à -40 dans la galerie remontante. Là, je reprend le "nitrox", toujours pour la même raison: diminuer la saturation du corps en azote, jusqu à une vaste salle immergée qui marque la fin de la remontée à 26m de profondeur sous l'eau.

Le terminus des derniers explorateurs se trouve peu après, à -36 alors que la galerie recommence à descendre.

60m sont explorés dans une vaste galerie fortement déclive, portant la distance explorée dans le siphon à 300m. Au terminus, après un passage d'étroiture à désobstruer dans des galets à -51 et une galerie horizontale à -56, je stoppe sur un nouveau cran vertical. Le faisceau de mon phare se perd dans les abysses inconnues, au-delà de -59m.

Poursuivre à une telle profondeur après être passé à -54, puis remonté à -26 pour plonger à nouveau à -56 (avec un parcours similaire lors du retour) demeure très osé, et je préfère sagement m'en tenir là, car l'organisme humain pourrait mal réagir à ces variations de profondeur impliquant des phases de saturation (à la descente lorsque la profondeur augmente) et de désaturation (à la remontée lorsque la pression de la profondeur diminue).

Lors du retour, après avoir levé la topographie de la partie explorée aujourd'hui dans une eau troublée par mon passage, j'entame la longue procédure de décompression qui durera deux heures.

Certains, pour faire passer le temps, lisent alors des romans. Pour ma part, je profite de ces stations prolongées pour observer les Niphargus, petites crevettes cavernicoles évoluant en trajectoires spiralées dans le halo de mes phares, parfaires mes notes de relevé topographique et apprécier la délicieuse sensation d'apesanteur.

J'émerge après 2h40min de plongée dans une eau à 14°, heureux d'annoncer les résultats aux collègues qui m'aideront ensuite à ressortir tout le matériel de la cavité, puis à l'acheminer jusqu'aux véhicules.

La poursuite de l'exploration nous paraît à présent trop risquée, du fait du profil accidenté du siphon qui pourrait entraîner un grave accident de décompression. Aussi, fidèles à une règle d'or qui fait primer la sécurité et à l'adage "un bon spéléologue est un spéléologue qui devient vieux", nous abandonnons cette cavité, pourtant prometteuse et fort agréable.

Mais d'ores et déjà, nos investigations se portent vers d'autres sources de la vallée, dont l'orientation du parcours souterrain reste à déterminer grâce à la topographie, et qui révèleront peut-être des galeries vierges...

Frank Vasseur