expédition « Manavgat 1992 »

 

extraits du rapport « Manavgat 1992 » (S.C.S.P. et S.C.E.M.A. d'Alès, 1993.

les gorges de la manavgat

 

La vallée de la Manavgat, jalonnée de résurgences alimentées par d'immenses poljés (alt. 1000m) fut explorée par le spéléologues dès la fin des années soixante.
De superbes découvertes ont confirmé les hypothèses émises alors: Dudencik (-330) qui fut longtemps le record de profondeur du pays, et Altinbesik-Dudensuyu (1800m) unique de démesure.

Les Yedi Miyarla, groupe de puissantes résurgences dont les énigmatiques fluctuations de débit restent à expliquer, sont également repérées.

Durant la première partie de l'expédition, trois résurgences (YK 397, Karapinar, Handos magarasi) repérées en 1991 (expédition YORUK 91) ont été explorées en plongée, mais les cavités situées en aval de Sahap Kopru n'ont pu être poursuivies du fait de la hauteur des eaux qui en interdisait l'accès.

Présentation

Les monts du Taurus occidental, puissante et massive barrière rocheuse, s'étirent sur un axe NO/SE au sud des lacs de Pisidie, une centaine de kilomètres au nord de la mer méditerranée.
Une seule rivière incise transversalement le massif en de profondes gorges orientées NNE/SSO : la Manavgat.

Elle prend naissance aux sources d'Ali Hoca (Alt.1350m) à l'ouest du village de Cevizli, puis s'encaisse en un défilé grandiose jusqu'au débouché dans la plaine côtière, à hauteur du barrage d'Omyapinar.
Tout au long de son parcours (46 kms), le cours d'eau recoupe des alignements dépressionnaires (NO/SE) déterminant parfois des drains souterrains (poljés de Göynüm, Kembos, Sobuca) mais aucun écoulement aérien n'y vient confluer.

Géologie et circulation des eaux:

Les reliefs rencontrés sont généralement structuraux, et les effets de la tectonique chevauchante se devinent aisément.
Les gorges de la Manavgat s'encaissent dans les calcaires massifs du crétacé jusqu'à d'Uzumdere, où une faille inverse les superpose aux séries du crétacé supérieur surmontées immédiatement par la formation d'Uzumdere datée du Lias.
250m en aval, les sédiments gréso-marneux du Lias font place aux calcaires blancs, puis ceux du jurassique moyen s'infléchissent en tête d'anticlinal et plongent verticalement à Handos, où ils viennent directement buter sur le flysch d'Ibradi.

A Sahap Köprü la Manavgat recoupe perpendiculairement le corridor de flysch Akeski-Ibradi, puis s'enfonce progressivement dans les calcaires du crétacé supérieur. Au groupe d'émergences KÖprüklü Su, un ravin marque le passage d'une faille inverse NNO/SSE, puis les émergences de Yedi Miyarlar apparaissent sous les bancs massifs reposant sur le flysch, affleurant ici dans le lit de la Manavgat et en rive droite. En aval il disparaît à nouveau sous les hautes falaises du canyon (atteignant parfois plus de 700m) incisées plus bas par la reculée jurassienne de DUDENSUYU.

La plupart des alignements de dépressions recoupant le cours aérien de la Manavgat se calquent sur des accidents tectoniques, séparés d'étendues calcaires bourrelées de mamelons et promontoires lapiazés.

Le caractère particulier du bassin d'alimentation de la Manavgat réside en l'absence de circulations aériennes affluentes. Le cours d'eau est alimenté par de puissantes émergences pérennes certainement en rapport avec les grands poljés situés à l'altitude moyenne des 1000m. Toutefois certains exutoires secondaires ou de moindre importance semblent fonctionner en perte durant les étiages, expliquant les fluctuations de débit selon les secteurs, et ce malgré les débits conséquents et permanents des exsurgences principales.

Toutefois, les variations interannuelles de débit constatées depuis les premières campagnes spéléologiques restent inexpliquées.

En effet en août 1968, la Manavgat torrent furieux et déchaîné, subit une perte partielle en aval de Sahap Köprü, Köprüklü Su débite quelques litres/seconde, et les Yedi Miyarlar plus de 40m3/s. Six ans plus tard, juillet 1974, la rivière est à sec et les Yédi Miyarlar ne débitent plus que 2 à 3M3/S. En août 1991, le cours d'eau s'assèche progressivement en amont de Karapinar accompagné du tarissement de sourcettes, retrouve son impétuosité jusqu'au pont "Sahap Köprü" puis se perd à nouveau ne laissant que des gours d'eau trouble. L'inversac de Köprüklü Su Magarasi (Pinar Sarap) absorbe presque 1m3/s et les Yédi Miyarlar régénèrent la rivière avec quelques m3/s.

L'année suivante, en juillet 1992, la rivière dévale depuis l'amont des gorges asséchées en 1991, plusieurs cavités débitent et Karapinar a doublé de volume. En aval de Sahap Köprü, le lit n'est plus praticable contraignant à renoncer aux plongées prévues aux Yédi Miyarlar. Cependant une diminution régulière du niveau laisse présager des niveaux praticables pour le mois d'août.

Des terres et des hommes:

La végétation méditerranéenne est typique des paysages calcaires, clairsemée et rabougrie avec l'altitude, elle s'étoffe en Pins, Platanes, Figuiers et Lauriers roses dans les fonds de vallées baignés d'eaux claires.

Ici les hommes, sédentaires, se consacrent à l'agriculture et dans une moindre mesure à l'élevage qui reste plutôt le fait des transhumants installés en altitude sur les Yaylas (KUYU, ALIBEYLER...etc).

Les bourgades principales concentrent les activités administratives, policières et commerciales, ainsi AKSEKI fait office de relais sur l'axe routier qui remonte de la côte, IBRADI administre les activités forestières et les terres traversées par les nomades.

Ces centres sont également le lieu de marchés draînant les campagnes environnantes sur lesquels les agriculteurs écoulent leurs productions personnelles.

Spéléologie et cavités du secteur étudié

La zone couverte par les deux expéditions ( yoruk 91 et manavgat 92) est comprise entre la confluence de plusieurs ravins que longe la piste menant à Cevizli en amont, et le cirque d'altinbesik-dudensuyu en aval.

Un pont à rambardes métalliques enjambe la manavgat 4,8 Km en amont d'Uzumdere. Le magnifique canyon au fond duquel coule la rivière est remonté sur plus de 1500m, sans découverte notable, si ce n'est quelques baumes calquées sur fracturation et interstrates. Quelques griffons impénétrables ont également été observés dans le lit du cours d'eau, partiellement reconnu à sec l'an dernier.

Toujours en amont du pont, à 500m en rive gauche, s'ouvre le YK 397, exsurgence temporaire située au sommet d'un talweg chaotique encombré de blocs moussus. Nous avions pénétré l'an passé sur une cinquantaine de mètres cette cavité, qui cette année débite par l'entrée. Un système de griffons impénétrables déverse plusieurs centaines de litres/secondes à l'amont immédiat du petit ravin.

Il s'agit d'un conduit creusé à la faveur d'un miroir de faille, dans la strate le plus tendre et soluble des deux mises en confrontation par la fracturation.
Elle a été plongée jusqu'à 205m du porche d'entrée, arrêt à -36 sur étroiture à désobstruer dans une fracture étroite.

Température: 10°.

600m en aval du pont, en rive droite, l'éboulis titanesque désigné YK 398 (non pointé sur le terrain) augure un importante sortie d'eau temporaire. Le gué calibré aménagé à sa base atteste de circulations d'eau conséquentes, au point d'avoir emporté certaines pièces de l'édifice. Nos diverses tentatives de pénétration (1991 et 1992) se sont soldées par des échecs, mais une campagne de désobstruction sérieuse et ordonnée devrait permettre l'exploration d'une cavité majeure, affluent temporaire de la Manavgat, qui reste à révéler.

300m plus au Sud en rive gauche (alt.570m), la puissante résurgence de KARAPINAR ou KARAMIYAR MENBAI vient doubler le débit de la rivière.(Température=8,5°)

A l'étiage elle débite environ 3m3/s et décuple lors des crues.

Une première plongée en août 1968, alors que le débit est de 1m3/s (Mike CLARKE, Tim GILBERT et Ph.COLLETH) bute sur des blocs à 37m de l'entrée (-24). Il semblerait de cette profondeur ait été surestimée de 6m, comme le confirmeront les explorations suivantes.

En 1978, Jean-Louis FANTOLI progresse de 50m jusqu'à une fracture encombrée de blocs après un point bas à -18m.

Suite à une reconnaissance en apnée et en slip jusqu'à -4 (Août 1991), le mois de juillet 1992 nous mène au terminus à 80m de l'entrée, malgré un puissant courant et une visibilité réduite. Arrêt à -14 sur fractures impénétrables.
Une coloration effectuée en avril 1980 a mis 26 jours pour définir la relation des pertes de Su Gözü et Degirmenlik avec cette résurgence, qui est aussi présumée pour Dudençik (-330), laquelle fut longtemps le record national de profondeur.

Sous le village d'UZUMDERE, la rivière s'engouffre en d'étroites gorges durant 5 kilomètres, qu'il pourrait être opportun de descendre, si toutefois cela n'a déjà été fait.

500m en amont de Sahap Köprü en rive droite, un ravin grimpe par redans verticaux vers le vaste porche d'HANDOS MAGARASI (alt.500m) .

Le SCOrsay Facultés descend la galerie d'entrée sur 60m, jusqu'au siphon à -48 en 1966.
EN août 1968, Tim GILBERT le plonge sur 60m et s'arrête dans une galerie large et horizontale.
La cavité est ensuite visitée à plusieurs reprises : SCParis-1968, GSFaientino CAI-1973, puis topographiée en 1979 (Güldali, Nazik, Onal).

Nous levons une nouvelle fois la topographie en 1991, puis franchissons le siphon en 1992 et explorons 880m de conduits exondés ascendants au-delà. Arrêt sur siphon à 1050m de l'entrée. La dénivelée totalise 69m (+33;-36).

Les documents de Claude CHABERT mentionnent une émergence pérenne de 10l/s à l'étiage située dans la rivière. Nous ne l'avons pas retrouvée.
La cavité fonctionne cependant en exsurgence temporaire, et l'eau s'écoule par l'entrée après ennoiment des galeries. Un niveau apparait nettement à la hauteur du seuil dans le porche.

Apparemment découvert en 1991, à environ 3500m en aval de Sahap KÖprü, l'inversac de PINAR SARAP (YK 401) ou KOPRUKLU SU MAGARASI fonctionne en perte à l'étiage. Il absorbait en 1991 plusieurs centaines de l/s, et fut remonté sur 1150m jusqu'à une voûte mouillante exhalant un fort courant d'air.

KOPRUKLU SU (YK 402) ou BEYAZ SU (alt.450m), 400m en aval de la cavité précédente, une sourcette vue en 1968 (SCParis) annonce un petit porche reconnu sur 20m en 1984 (J.MAURIZOT, C.CHABERT), arrêt sur lac peut-être siphonnant. En 1991, 60m de galeries basses et corrodées sont parcourues jusqu'à un chevelu de diaclases occupées par l'eau.

YEDI MIYARLAR (alt.430m), 200m en aval de Köprüklü Su 12 sourcettes annoncent une série de résurgences pérennes surmontées d'orifices pénétrable rejoignant des plans d'eau.

La bibliographie de Claude CHABERT (1974) numérote ces cavités de 1 à 6, que nous avons pointées sous le code de l'expédition de 1991.

Grotte n°2 ou YK 403: courte excavation butant sur siphon à 15m de l'entrée, alimenté par une fissure impénétrable.

N°3 ou YK 404: ce superbe porche moussu donne directement sur un vaste plan d'eau parcouru en bateau. La galerie semble se prolonger sous l'eau...

N°4 ou YK 405: Explorée en 1974 par une expédition franco (SCParis)-turque une grande salle chaotique rejoint une diaclase noyée dans la partie inférieure jusqu'au siphon terminal (130m de l'entrée). Une cheminée escaladée à l'aplomb du terminus bute 15m plus haut sur une étroiture.

En 1991, par un passage latéral remarqué mais délaissé en 1974 permet une jonction avec la cavité voisine en aval. Développement=150m

N°5 ou YK 406: Notée mais inexplorée en 1974, nous progressons de 50m dans une jolie galerie sèche jusqu'au ressaut (4m) à la base duquel on retrouve une diaclase occupée par l'eau. Elle se divise en suite en deux branches butant sur des siphons, dont celle de droite jonctionne avec la grotte n°4. Développement=145m

N°6 ou YK 407: il s'agit d'un regard sur le plan d'eau siphonnnant, 7m au-dessus de la rivière. L'eau cascade de gours en bénitiers jusqu'à la manavgat dans un cadre paradisiaque. Elle débitait 15m3/s en août 1968, pour seulement 1,5 à 2 m3/s en juillet 1974 et 1991.

Ces sources posent un problème quant à la compréhension de leur fonctionnement. En effet, d'une année sur l'autre leur débit fluctue considérablement jusqu'à en interdire l'accès, comme en témoigne la rétrospective suivante:

Août 1968 : 20 à 30m3 pour l'ensemble du système,

Juillet 1974 : 1,5 à 2m3 et en octobre le lit de la rivière est à sec. La cause n'est cependant pas à uniquement imputable aux deux années de sécheresse précédentes (1973 et 74), et serait à rechercher dans un fonctionnement particulièrement complexe. Une zone de diffluence, comme celle constatée dans Dudensuyu, en serait-elle à l'origine ? Une étude approfondie apporterait d'intéressants éléments pour la compréhension de ce fantastique système où tout reste à découvrir.

Août 1982 : 20 à 30m3.
1984 : 30 à 40 m3
Juillet 1991 : 2 à 3 m3

Août 1992 : La manavgat est impraticable en amont (Sahap Köprü) et en aval, à la hauteur du cirque de Dudensuyu, des flots torrentiels interdisent le franchissement de la rivière, attestant d'importants apports d'eau venus dangereusement gonfler l'écoulement déjà conséquent avant les Yedi Miyarlar.

GELIF ICI signalée par Claude CHABERT, en rive gauche entre Yedi Miyarlar et DUDENSUYU, n'a pas été revue, à moins qu'il ne s'agisse d'une baume apercue à proximité d'un groupe de platanes.

altinbesik-dudensuyu : (alt.460m)

On descend dans la reculée à partir d'URUNLU. Un autre accès est envisageable par GODENE en rive gauche si la manavgat est franchissable. En tête d'une imposante reculée (falaises de plus de 400m) où un superbe pli déversé se dessine, un large porche est occupé par un lac prolongé sur 196m sous le massif, jusqu'à la base d'une haute escalade.

Une expédition franco-turque réalise l'escalade de la paroi stalagmitique active en moins de 2 heures, et prolonge l'exploration dans la partie fossile jusqu'au puits rejoignant la branche active, alors délaissée car considérée comme un affluent. Une incursion est réalisée dans ce qui est en fait le principal prolongement de la cavité, et après avoir franchi les troisième et quatrième lacs stoppe sur une escalade de six mètres. La fatigue accumulée lors de l'exploration combinée à l'heure avancée de la nuit contraignait au retour.

L'exploration est poursuivie par les mêmes l'année suivante jusqu'au siphon terminal à 1200m de l'entrée, passé le point haut à +85m. La cavité, l'une des plus grandioses de Turquie, développe 1600m et fut préssentie pour un aménagement par Temuçin AYGEN, le MARTEL turc.

En 1973-75, les turcs revoient la cavité (escalade réalisée par Nesip ARAL), de même en 1974 pour l'équipe anglicane (J.EYRE,R.HOWARD), en 1976 pour les allemands menés par T.MULLER qui tentent en apnée un passage latéral siphonnant, puis en 1979 et 1981 (W.CUTVERTE, G.SCHMIDT).

En 1982, Temuçin AYGEN mesure précisément le lac d'entrée (196m).

Une expédition américano-allemande ( Hardcastle , P.KUNKEL, C.PEASE, G.SCHMIDT) plonge en 1986 le siphon terminal colmaté par un fond de graviers.

En ce qui concerne l'origine des eaux qui transitent par DUDENSUYU, Claude CHABERT suppose une provenance lointaine (poljé de Kembos, 33 km au NO et 700m plus haut) par l'intermédiaire de pertes, et présume la cavité comme un amont ou regard sur le collecteur des YEDI MIYARLAR.

"Pour notre part, après avoir aperçu le site en 1991, nous revenions en 1992 pour visiter cette prestigieuse cavité dont nous n'avions obtenu qu'approximations concernant la zone terminale. Les informations de Claude CHABERT, communiquées en retour d'expédition nous confirmèrent rétrospectivement ce que nous avions vu.

Partis à six pour revoir cette résurgence le 15/07/1992, nous avions prévu trois jours de nourriture pour un bivouac installé dans le porche d'entrée.

A IBRADI en achetant les dernières victuailles, nous rencontrons Mustafa AKDEMIR cuisinier lors de l'expédition de Temuçin AYGEN, qui ne manque pas de nous encourager à poursuivre l'exploration, lui-même et les gens du pays étant dans l'ignorance des précédentes explorations. En effet, il semblerait qu'aucun renseignement ni même une topographie n'ait été communiqués aux autochtones (IBRADI, URUNLU, GODENE) en dehors des informations divulguées par voie de presse. Ceci est une grave omission fort regrettable que nous condamnons fermement, surtout lorsqu'on constate l'intérêt que ces gens portent à leur région, et les encouragements et commodités (guidage, hospitalité) qu'ils apportent aux spéléos.

Quelques kilomètres plus loin, nous parquons le véhicule à Urunlu après autorisation des villageois. Spontanément deux jeunes se joignent à nous et nous accompagnent jusqu'à l'entrée, où nous les immortalisons au milieu de notre matériel. Cette photographie leur a été envoyée dans l'attente d'un rapport complet.

Rapidement, le tour du propriétaire est fait et l'installation du camp nous laisse le temps d'aller reconnaître le lac d'entrée, long de plus de 200m. Une première balade en canot confirme la nécessité de refaire l'escalade de 45m au faîte de laquelle se prolonge la cavité.

Nous partons donc, Jack en canot avec le matériel lourd, votre serviteur à la nage en bas de néoprène, accomplir cet équipement afin de gagner un temps précieux le lendemain.

Arrivés à pied d'oeuvre, j'attaque la paroi de droite qui semble déboucher dans un vaste conduit. Un quart d'heure plus tard et 44m plus haut je reconnais les gours photographiés dans l'ouvrage de Temuçin AYGEN. Mais, enfer et damnation ! un court tronçon de galerie est fossile, et j'aperçois sans peine le prolongement de la cavité sur la berge opposée du lac. Nous nous sommes trompés d'escalade !

Penauds de cette méprise, l'ascension de la paroi active est entreprise alors que la nuit tombe sur les falaises de la Manavgat.

A l'autre extrémité du lac, les premières flammèches d'un feu de camp éclairent le bivouac installé à même la plage de sable fin.

Celle-ci est plus technique et le recours aux étriers est parfois d'une aide précieuse. A cette occasion, certains points d'amarrages doivent être sautés du fait de la rapidité de concrétionnement, lequel a colmaté et recouvert des spits dont certains sont récents. Mieux vaut ne pas traîner dans le secteur au risque de se trouver statufié sur place !

D'ailleurs, Jack qui grelotte courageusement dans son short depuis un moment fait savoir qu'il trouve le temps passablement long. L'escalade est terminée en un ultime enchaînement, et la corde coincée plus bas contraint à un amarrage de fortune sur lequel il faut redescendre en déséquipant les relais précédents.

Au-delà le second lac, immense étendue d'eau calme et translucide, vient mourir sur les dernières barrières stalagmitiques.

De retour à l'air libre, un bon feu crépitait sous les étoiles, la lune ronde ternissait le paysage de sa pâle clarté d'albâtre, et Morphée se fît fille facile.

Après une bonne nuit de sommeil dans ce site somptueux, l'équipe au complet se prépare pour l'assaut, excepté deux désistements de dernière minute. Jack, refroidi aux sens propres et figurés du terme par sa prestation précédente ne supporte plus l'idée de se mouiller les pieds, et Claude, convaincu de l'inutilité de porter un duvet de 300g, a passé la nuit à grelotter dans sa sous combinaison pour finalement en faire profiter tout le monde, en allumant bruyamment un feu dès l'aube, bien avant l'heure habituelle du réveil.

Nous sommes donc fins prèts plus tôt que prévu, et ne tardons pas à achever les derniers préparatifs.

Alain et Charles adeptes du cabotage nous accompagnent, christophe et moi-même, prosélytes du "concept néoprène" qui reste le plus approprié à cette cavité pour sa dominante aquatique. Parvenus sans encombre, si ce n'est le blocage du canot lors d'un rappel nécessitant quelques brassées supplémentaires, à l'intersection des branches actives et fossiles nous nous séparons. En effet, la perspective de nombreux lacs à franchir occasionnant de rébarbatives manoeuvres de canot n'enchante personne.

La suite fut fabuleuse. Le parcours varié et sportif se mariant harmonieusement à la beauté des conduits, parfois titanesques, axés sur une charnière de strates verticales. La roche noire, luisante, alterne avec d'imposantes coulées ocrées disséquées par l'érosion. Les lacs d'une eau limpide dont la couleur est absente s'enchainent avec d'immenses salles, où l'écho de nos pas se répercute à l'infini, ricochant vers de sombres voûtes par endroits indiscernables.

Dans un ultime volume, l'argile fait son apparition. L'écoulement s'inverse et dévale irrémédiablement vers la vasque du siphon terminal. Une immersion, dont nous savons d'avance la vanité, pour tenter d'en évaluer la profondeur confirme qu'il s'agit bien là d'un siphon. La galerie noyée s'enfonce vers des profondeurs que nous aurions aimé sonder. Lors du retour, de splendides diverticules aquatiques sont parcourus avant d'entamer le déséquipement de la cascade de 45m.

L'aller-retour aura duré moins de cinq heures, mais les souvenirs, de ceux qui marquent une vie de spéléologue, sont toujours intacts et je pense, le resteront encore longtemps ."

Des prélèvements d'eau et piègeage de faune cavernicole ont été effectués dans ces trois siphons, dans le cadre d'une étude sur les eaux méditerranéennes menée par "Planète Bleue".
En ce qui concerne les spécimens faunistiques capturés, il semblerait qu'une erreur de manipulation de notre part les ait rendus inexploitables (Overdose de formol).
Quant aux prélèvements d'eau nous publions ce qui nous a été communiqué en retour, c'est à dire des résultats bruts, en espérant qu'ils puissent être interprétés pour être utiles à quelqu'un.

 

YK 397 KARAPINAR HANDOS

 

sodium 0.5 0.9 0.7

potassiu 0.2 0.2 0.2

calcium 13.0 12.2 46.8

magnesium 6.0 5.2 1.6

fer : 0.01 0.04 0.04

chlorure : 2 2 4

nitrate : 0 0.1(traces) 0.1

phosphate : 0 0 0

sulfate : 4 3 3

 

Toutes les valeurs sont exprimées en mg/l.

Bucakalan

La dernière semaine de l'expédition s'est déroulée sur la commune de Bucakalan, en bordure du plateau d'Akseki, qui s'étend des gorges de la Manavgat aux contreforts du Tauris occidental, à une altitude moyenne de 1000m.

éveil sur un crépuscule d'expé:

"Puissante masse grise voilée d'obscurité, mouchetée de végétation agrippée à ses flancs, escarpée en gradins rocheux, acérée de lapiaz effilés, la montagne de Bucakalan domine puissante et altière ce coin de vallée où s'éveillent les hommes.

En gravissant les mamelons environnants, le regard ensommeillé s'égare vers la plaine, fuyant un instant l'échine massive dont l'ombrage s'égrène avec l'aurore naissante.

Vastes étendues cultivées, clairsemées de poches forestières ou lapiazées, lacérées par l'axe routier Antalya-Konya s'étalent jusqu'aux premiers contreforts où l'oeil vient accrocher.

Au delà, les jambes se souviennent des profondes gorges de la Manavgat, dont les flots impétueux ont en ce mois de juillet 1992 contrarié nos projets et repoussé nos investigation vers les poljés, à 1000m d'altitude.

En arrière-plan, le ciel azuréen à la profondeur magique, pâlot de sa nuit de ténèbres, augure une de ces merveilleuses journées dont la Turquie nous a généreusement gâtés.

Il était 6 heures tout à l'heure quand comme à l'accoutumée, la cacophonie du réveil, où le chant du coq a bien du mal à percer au milieu des b(r)aillements animaux de toutes sortes, m'a arraché de la douce tiédeur des bras de morphée.

Dans l'apathie d'un réveil forcé, j'avais pris l'appareil photo et, l'esprit embrumé de sommeil, chaussures délassées, emprunté la porte de sortie de l'école désaffectée où nous avions élu domicile.

Allongé sur le seuil, Pilout le chien s'était déplacé pour me laisser passer.

Une nouvelle nuit de veille s'achevait pour ce grand Saint-Bernard qui avait installé ses quartiers dans les nôtres, et montait dorénavant la garde sur le pas de la porte.

Sitôt l'encadrement franchi, le village apparait sur fond de lapiaz, où la sente discrète grimpant vers la gueule de Bucakalan Magara nous est devenu familière. De l'école, l'entrée se devine, désignée par la pointe du minaret. Les dieux étaient avec nous...

Débarqués un beau jour d'on ne sait où avec nos véhicules estampillés, notre matériel hétéroclite et nos projets des plus fous, nous avions spontanément été accueillis avec un enthousiasme fervent par les habitants de ce petit village d'agriculteurs fort de 70 habitants.

A nouveau nous avions été déconcertés par la franchise des relations où tout s'interprète au premier degré, sans artifices ni préméditation.
Force de la simplicité, puissance d'un sourire, intensité d'un regard...

Aujourd'hui, nous avions descendu les deux plus grandes verticales du pays, à l'intérieur de la même cavité de surcroît. Un modeste orifice, oublié là-haut sur les flancs de la montagne était propulsé au rang de record national. Cette révélation avait été vécue au village comme une consécration. Les voisins, villages alentours et même la presse avaient suivi l'affaire de près, et la nouvelle s'était répandue par-delà les vallées, nous devançant parfois dans nos reconnaissances sur le terrain.

Actuellement, alors que la topographie et le déséquipement de BUCAKALAN MAGARA étaient terminés, nous avions entamé l'exploration de Duden Aghsi, modeste perte judicieusement située en bordure de poljé qui promettait de descendre bas.

Aurions-nous à nouveau l'occasion de rendre la pareille à nos amis turcs en réalisant une belle exploration ?

Le soleil a émergé de derrière la montagne, absorbant les ombres subitement rétractées. Du village, les troupeaux s'évadent en vagues désordonnées, suivis des femmes coiffées de blanc en partance pour les champs.

En contrebas, le jeune Ramazan et sa soeur accompagnent leurs moutons au près, me gratifiant en passant d'un salut de la main souligné d'un sourire franc et amusé.

Dans l'aurore mourante, savourant l'instant présent perché sur mon rocher, j'ai l'impression d'avoir participé à quelque chose de sincère, de fort, d'enrichissant. "

Exploration de BUCAKALAN magara, 4° gouffre des plus profonds de Turquie (-345m) qui recèle les deux plus grandes verticales du pays (192 et 305m) durant l'expédition MANAVGAT 92.

" LIBRE!"

Le cri libérateur a fusé dans le grand puits, largement amplifié par le volume de ce vide exceptionnel. L'écho se répercute, sensiblement déformé, puis succombe happé dans les profondeurs encore insondées.

Depuis longtemps déjà la lumière de Régis s'éloignait, ridicule filament à l'incandescence maladive dans l'immensité ténébreuse.
Traditionnel rituel d'installation des bloqueurs, cliquetis caractéristique, puis enchaînement de brassées volontairement dosées, pour maîtriser la remontée de cette verticale de 305m qui, d'ores et déjà, s'avère la plus importante de la Turquie souterraine.

Au cours de l'expédition MANAVGAT 1992, le hasard des prospections et de fructueux contacts avec les autochtones nous avaient conduit à accepter l'hospitalité chaleureuse de BUCAKALAN, petit village agricole de 70 âmes situé sur les grands poljés à 1000m d'altitude.
Et voici qu'à présent nous révèlions, à proximité des habitations, les deux plus grandes verticales du pays, dans la même cavité de surcroît.

Dans l'effort de cette remontée, rythmée par le glissement alternatif des bloqueurs, les souvenirs d'exploration fraîchement imprimés se bousculent et reviennent en force, à la cadence du souffle régulier.

La scission en deux groupes au palier de -35. Ghislaine se charge de topographier la puits exploré auparavant, colmaté par 192m de fond, tâche ingrate mais essentielle sans laquelle une exploration perd toute réalité physique, et que peu abordent avec l'enthousiasme dont notre coéquipière fait preuve. Sous une frêle silhouette féminine et un tempérament discret, elle cache un caractère des mieux trempés que je connaisse et s'acquittera seule de ce travail.

Par une lucarne, 100m de corde avaient été déroulés dans un puits. Arrêt sur rien, sondage à 40m... Environ...

Griserie.

La corde défile indéfiniment dans le descendeur que je devine ardent. Tout autour les parois s'évasent progressivement, refoulant les limites de l'alcôve rocheuse hors de portée du regard.
L'obscurité se dissipe un moment, à la pâleur fugace du halo ocré, puis le puits retourne à sa pénombre originelle.
Les parois calcitées scintillent, étoiles fugitives de cette nuit caverneuse dépourvue d'astres.

Et la verticale se prolonge, accroche la paroi, dévale par une goulotte.
Le choix des itinéraires est vaste, et les amarrages naturels s'offrent, ornements pétrifiés, comme pour encourager notre avancée, quête éperdue de la découverte.

De vigoureux sondages assurent leur fiabilité, et l'heure n'est pas aux considérations esthitetico-philosophiques dont certains sont friands.
L'équipement est réalisé en pointe, il est évident qu'il faudra le revoir s'il est doit être soumis à des passages répétés.

Pour l'instant nous sommes deux et la corde file, c'est beau, grand, merveilleux.
Puissance de l'instant où émotions et sensations ont un arrière-goùt d'adrénaline.
Un spit à planter à la limite de l'adhérence des bottes, et les parois se rapprochent, inaugurant un vaste palier concrétionné.

Un pendule engloutit les derniers mètres de corde dont nous disposons. Nous venons d'en installer 150m d'une seule traite.
Nous sommes à -280, -290, peut-être plus.

La caverne se prolonge à la verticale, inconnu éphémère dont le répit arrive à terme. Environ 50m plus bas, l'éclairage se reflète dans ce qui pourrait être un gour, ou un lac.
Jubilation de la première où toutes les hypothéses sont permises, tous les espoirs possibles, puis remontée sans encombre portée par l'allégresse.

En sortant à la nuit noire, nous avions convenu de prendre des mines dépitées et consternées, de faire croire à un échec, un obstacle insurmontable, rédhibitoire.

Mais nous n'avons pas su, nous n'avons pas pu...

sponsors

-Société PLUX (éclairages sous-marins).
-Service municipal de la jeunesse de Montpellier.
-Société RYOBI.
-Delmas-photo.
-Cevennes-sport.

 

 

 


entree de pinar sarrap
par christian bagarre

 

 

 

 

 

 

 

 


la reculee de altinbesik-dudensuyu par frank vasseur

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

quichou dans pinar sarrap par frank vasseur

 

yedi miyarlar par Frank Vasseur

 

 

 

vallee de la manavgat
par Frank Vasseur

 

 

 

 

 

 

moulins dans la vallée de l'alara par Frank Vasseur

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

lac d'entree d'altinbesik-dudensuyu par Frank Vasseur

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

bivouac dans l'ecole de bucakalan par Fank Vasseur

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

le village de bucakalan par Frank Vasseur