HENRI LOMBARD

(04/12/1925 - 08/10/1950)

 

Frank Vasseur, d'après les documents de Maurice LAURES

 

 

Il est des destinées qui marquent l'histoire des hommes.

Aussi, dans le cadre d'un document de synthèse, nous tenions à aborder la plongée souterraine héraultaise depuis ses balbutiements, ses premières palmes, par un retour en arrière à l'époque du précurseur en la matière.

Henri LOMBARD naquit à ALES (30), capitale cévenole, le 4 décembre 1925.

Fils d'ingénieur des mines, il passait ses vacances d'adolescent sur la Cèze, au domaine familial voisin de Saint-Gervais sur Cèze. Etait-ce le contact avec cette majestueuse vallée, truffée de grottes et avens, qui fut à l'origine de sa vocation d'explorateur dans laquelle il s'épanouirait pleinement par la suite ?

Bien qu'à l'abri des besoins matériels, il avait poursuivi ses études de droit jusqu'à la licence et obtenu le diplôme d'études supérieures requis pour présenter le doctorat. Ayant ensuite envisagé une thèse sur le sport professionnel, il devait abandonner ce sujet devant l'hostilité des dirigeants de certains milieux sportifs parisiens, au profit d'une étude socio-économique sur la région de Saint-Gervais/Cèze.

L'expression d'une telle mentalité dans un milieu qu'il croyait pur avait profondément déçu Henri LOMBARD, qui s'était courageusement remis à l'oeuvre sur son nouveau sujet.

Ce travail, terminé lors de sa disparition, lui valut un titre de docteur en droit, avec mention très bien et éloges, décerné à titre posthume.

En 1946, son adhésion au Spéléo-Club de Montpellier, alors auréolé par la découverte de la merveilleuse Clamouse, l'amène à fréquenter la région nord-montpelliéraine.

Très rapidement ses qualités tant physiques que morales, appréciées de tous, en font un compagnon d'exploration efficace qui enlève avec brio de périlleuses escalades et s'obstine laborieusement sur de prometteuses désobstructions.

 

Durant quatre années de pratique spéléologique intense, il prend part à l'exploration de nombreuses cavités et s'essaie avec succès à la plongée libre.

Le franchissement de la voûte mouillante dans la célèbre Goule de Foussoubie (été 1949) confirmait son aptitude en milieu aquatique et ses capacités spéléologiques.

Au mois d'Août 1950, le SCM peut enfin disposer d'un équipement particulier, à peine plus élaboré que le prototype: un scaphandre autonome. Il s'agit d'un modèle mis au point par deux jeunes officiers de la marine française, dont un certain Jacques-Yves COUSTEAU qui n'en est qu'à ses débuts...

Ce matériel, fort coûteux et hors de portée du spéléo-club, était mis à disposition par le service hydraulique des Ponts et Chaussées pour qui les spéléologues effectuaient une étude sur la vallée de l'Hérault.

Le remplissage était gracieusement assuré par les Sapeurs-Pompiers de Montpellier, dans le cadre de cette première coopération entre hommes de terrain et services administratifs.

 

Parmi les membres du club, seul Henri LOMBARD semblait posséder les capacités requises pour se lancer dans cette nouvelle discipline, où il découvrait une satisfaction supplémentaire à son goût de l'effort et sa passion pour la découverte.

Excellent apnéiste, il se familiarise à la plongée en scaphandre directement en milieu souterrain.

Toutefois, les techniques sont à un stade tout juste embryonnaire. Il faut composer avec du matériel de plongée adapté pour la circonstance aux particularités du milieu souterrain.

Au mépris du froid et défiant l'inconnu, chargé d'un bi-bouteilles Cousteau-Gagnan, il s'aventure dans les eaux noires avec un slip de bain et un hublot de chasse sous-marine pour tout vêtement.

Une torche électrique étanche portée à la main assurait l'éclairage, une cordelette métrée (70m) la liaison avec la surface.

 

Les spéléonautes, comme on les appelle aujourd'hui, se comptaient alors sur les doigts d'une main (Robert Lacroux-1946, Guy DE Lavaur, Maurice FARGUES-1947) et les rares incursions en siphon revêtaient un caractère exceptionnel.

" Ainsi un siphon théorique, de quarante mètres, formé de deux branches en V inclinées à 45 degrés, constitue déjà un obstacle presque infranchissable, et par la suite, il sera très difficile de passer un siphon naturel de 30 mètres de profondeur, et à peu près impossible de poursuivre l'exploration au-delà..." écrira De Lavaur en 1954.

 

Néanmoins, les potentialités des nombreuses vasques inviolées allaient motiver des explorations systématiques et une véritable campagne, ordonnée, réfléchie et première du genre, prenait corps peu à peu.

Son programme était merveilleusement ambitieux, les eaux limpides et sereines d'exsurgences fabuleuses, enjôleuses et provocantes auguraient de bien alléchantes perspectives qui attisaient l'ardeur de la jeune équipe.

Dans la vallée de l'Hérault, LOMBARD franchit le siphon de la grotte-exsurgence de l'Avencas, fraîchement désobstruée, d'où il exhumait un vase de l'âge de bronze.

A la grotte-exsurgence des Fontanilles, il reconnait la galerie noyée sur 25m (-15) après avoir confirmé la relation entre les différents plans d'eau; puis, au gouffre des Cent Fonts, il progresse de 35m (-15) dans un vaste conduit noyé, jusqu'à la lèvre d'un puits.

Plus bas dans la vallée, une plongée à -12 dans la Perte du Second barrage apportait de nouvelles indications sur cette curieuse cavité.

Sur le versant opposé de la Séranne, la pittoresque vallée de la Vis, qui avait auparavant révélé la rivière post-siphon de la Tuilède, allait amener Henri LOMBARD à la profondeur exceptionnelle de -30m à Gourneyras. Il avait ressenti "un petit déclic dans la tête" vers 15-20 mètres puis un bourdonnement continu. Il sortait en titubant, du sang coulant de ses narines.

Suivit une reconnaissance à Gourneyrou où, à -18m, le conduit plongeait vers des profondeurs insondables pour l'époque.

 

Mais c'est sous les garrigues nord-montpelliéraines que le spéléonaute allait trouver un réseau à la hauteur de ses ambitions.

Après une plongée prolongée jusqu'à 65m de l'entrée dans la foux de Pompignan et une reconnaissance en apnée à la source de Davis (-4), il franchit successivement deux siphons dans le Lirou souterrain.

LOMBARD parcourut alors une cinquantaine de mètres dans la galerie exondée, seul et presque nu, son lourd scaphandre sur le dos.

 

Ainsi s'achevait la campagne du mois d'Août 1950.

Les résultats avaient été à la hauteur des espérances du SCM qui préparait déjà la poursuite des explorations post-siphon à la Tuilède, l'Avencas et au Lirou.

Avec octobre et la saison des feuilles rousses, les niveaux restant exceptionnellement bas, une nouvelle campagne fut organisée.

Le 8 octobre à 17 heures, Henri LOMBARD s'immergeait à nouveau dans ce siphon du Lirou devenu familier,emportant dans un sac étanche les vêtements et matériel indispensables à la poursuite de l'exploration au-delà du terminus du 22 août.

Le plongeur avait convenu d'un délai d'une heure avec l'équipe de surface, mais un quart d'heure seulement après son départ, un signal de retour transmis par la cordelette de liaison précédait l'accident. Henri LOMBARD était mort.

Parmi les nombreux facteurs de son décès, la cause la plus plausible semble être le C02, dont la forte concentration sera constatée au cours de plongées ultérieures. Sa présence est fréquente dans les cavités de ce secteur.

Son corps, retrouvé à proximité de la sortie du siphon, (30m du départ) affichait une expression calme et sereine. Le matériel était en place, le sac de matériel encore fermé,.

Les médecins appelés sur les lieux dont le Dr Schilliro du GRSM conclurent à un arrêt cardiaque.

Dans un élan de mobilisation extraordinaire, la dépouille était extraite de la cavité avec le renfort des plongeurs Leroy de Boiseaumarie et Balensi du groupe de recherches sous-marines de Montpellier, des membres Bournier et Du Cailar du Spéléo-Club Alpin Languedocien, et des habitants des Matelles.

Bien que le matériel, les techniques et les conditions d'utilisation aient été sommaires, il reste difficile d'avancer qu'Henri LOMBARD ait pu commettre une quelconque imprudence en respirant librement une fois le siphon franchi.

Son accident s'apparente hélas à ceux survenus aux pionniers malchanceux, qui ont expérimenté à leurs dépens les dangers spécifiques à l'activité et au milieu souterrain.

 

 

Aujourd'hui, la pratique de la plongée souterraine en pleine expansion s'appuie sur des technologies en constante évolution.

Les spéléonautes, terme apparu à la fin des années 70, en nombre croissant et animés d'une ardeur fiévreuse, ont repoussé parfois jusqu'au seuil des limites humaines les frontières de l'inconnu.

Ces fabuleuses exsurgences sont devenues résurgences suite aux colorations. Aux hypothèses ont succédé des définitions, quoiqu'encore imprécises, des bassins d'alimentation.

Mais curieusement, les méthodes et techniques de topographie subaquatique en sont sensiblement au même point, témoin évocateur des motivations des plongeurs contemporains.

C'est alors que les documents établis par Henri LOMBARD, ses croquis, ses observations, ses comptes-rendus d'explorations parvenus jusqu'à nous sous la plume de Maurice LAURES prennent toute leur valeur.

C'est alors que l'on prend conscience de l'intérêt d'un écrit, de la nécessité de communication, du bien-fondé de la publication.

C'est alors qu'Henri LOMBARD, talentueux pionnier en la matière dont les topographies restèrent, pour certaines cavités, les seules sources fiables jusqu'à la génération actuelle, s'inscrit comme une référence dans la discipline

De nos jours, l'Avencas, les Cent Fonts, les Fontanilles, Gourneyras, Gourneyrou, la Tuilède, la Foux de Pompignan, cavités au passé riche et prestigieux ont vu se succéder bien des équipes.

Des incursions multiples et répétées ont prolongé les réseaux plus loin, plus profond sous les massifs.

Et pourtant, les explorations ralenties faute de moyens techniques et humains butent aujourd'hui, dans ces cavités, sur des points d'interrogation.

C'est-à-dire avec les mêmes contraintes et, à l'échelle des temps géologiques, approximativement au stade où les avait laissées en 1950 le premier spéléo-plongeur héraultais :

 

 

HENRI LOMBARD.

A LOMBARD

(Mort au siphon des Matelles - Hérault - au XXème siècle)

 

Salut mon frère, mon inconnu
Etais-tu grand ou bien petit ?
Salut mon frère, mon ami
Etais-tu blond ou bien bossu ?

Je ne t'ai jamais connu.
Deci-delà j'ai entendu
dire ton nom dans les ténèbres.
A la lueur d'un feu de camp
ou dans l'odeur d'acétylène.

Dans la froideur d'un long siphon,
J'ai bien souvent redit ton nom.
Salut mon frère mon ami
Est-tu grand ou bien petit ?

Mais pourquoi donc es-tu allé
Si bêtement te tracasser ?
Car de ta vie tu as payé.
Moi je le sais.

Salut mon frére.

Daniel BOSC - Octobre 1971 -