La cascade de Bellegarde

 

 

On l'appelait Tom Pouce (Jacques Brasey)

 


Figure 5 4 mars 1989, Bellegarde,
préparatifs pour la plongée en compagnie de "Belu"

 

Dès son retour d'Italie, Tom porte tout son intérêt sur l'exploration de la cascade de Bellegarde qu'il a équipée pour faire une pointe. Le 26 février1989, il plonge et note : " rééquiper pour pointe du 4.3.89 " .

Le 4 mars 1989 est un grand jour pour Tom. Il a demandé à son ami Patrick Serret (Belu)l de venir l'aider à porter les bouteilles et à l'assister pour cette plongée importante. Un ami photographe, Linus Buchs, fera un reportage de cette expédition et un article paraîtra dans "La Gruyère" avec quelques photos. Laissons Tom parler de sa motivation pour cette exploration:

"Le réseau des Morteys, on connaît; on en découvre chaque année un bout de plus. La Cascade de Jaun, spectaculaire émergence vauclusienne, on ne connaît presque rien. Entre les deux : 13 km à vol d'oiseau et certainement l'un des plus importants systèmes hypogés de toutes les Préalpes. Relier les deux bouts par les "rivières de la nuit" n'est, et ne restera probablement qu'un rêve, le plus beau que l'on puisse imaginer. Mais cela n'empêche pas d'en découvrir le plus possible, et maintenant que la folie m'a gagné, l'envie de pénétrer par l'autre bout (la cascade) devient insoutenable.

Hiver 1988, c'est plus possible, je craque.

Après une sortie pour poser une vire, en fixe, de l'entrée de la cascade jusqu'au siphon, le moment tant souhaité arrive. J'allume mes lampes et me laisse couler. Un couloir noir s'ouvre devant mes yeux : l'inconnu ! En fait, pas tout à fait, puisque dès 1973 déjà, les plongeurs du GLPS (Groupe lémanique de plongée souterraine) avaient exploré cette émergence sur 150 m et atteint la profondeur de - 40 m, arrêt au sommet d'un puits faille.
Février 75, nouvelle exploration : faille verticale et fond à - 61 m Au-delà, c'est l'inconnu. Une topo grossière est alors levée, puis plus rien jusqu'en 1981. En mars, Olivier Isler poursuit l'exploration et rajoute une quinzaine de mètres; fond à - 68 m, la galerie (~ 2m de diamètre) est totalement obstruée de gros blocs. C'est la queute stupide sur trémie. La Cascade n'a pas tenu ses promesses, l'explo est déjà terminée et plus personne n'y remettra les palmes...

Voilà ce que je savais déjà de ce siphon, mais ce que mes yeux découvraient était pour moi quelque chose de totalement nouveau et fascinant. En trois plongées, je rééquipe le siphon jusqu'au sommet du puits terminal. Début mars, c'est LA PLONGEE; je pars pour aller voir la queute. Je descends le puits, - 45, - 50, - 55, ... Merde, mon dévidoir qui coince, je tire, salop... de machin, faut faire demi-tour. Je reste sur ma soif et entame la remontée. Soudain, à - 30, on me retient, je ne peux plus avancer. "Mais lâchez-moi, je veux ressortir!!" En fait, ce n'est qu'un vieux fil dAriane qui s'est pris entre une de mes lampes et le casque.. Je sors ma pince coupante et ... attention, s'agit de couper le bon : clic ! Le courant m'emporte à nouveau, je suis libre. Trois jours plus tard, coup de foehn, ça fond, le niveau d'eau monte, fin des expés pour cette année et un grand merci à poilu (Olivier) pour les portages (et la trace).

1989: mon objectif ? Vous l'aurez deviné, c'est évident. Malheureusement, le temps est pourri, je ne peux rien faire car il y a trop d'eau. Deux petites plongées me permettent toutefois de nettoyer le siphon jusqu'au puits terminal. Des centaines de mètres de vieux fils sont ressortis, le siphon est entièrement déséquipé; je pourrai ainsi plonger sans risque. Fin février, je pose rapidement un nouveau fil d Ariane jusqu'au puits terminal, èn prévision d'une pointe, au cas où la météo serait favorable.

Vendredi 3 mars, les prévisions météos annoncent un redoux dès le lendemain. Malgré qu'il ait neigé toute la semaine en altitude, le niveau d eau n'est pas encore au plus bas. Mais je dois me décider : c'est demain ou l'année prochaine.

Samedi 4 mars : Belu est venu me donner un coup de palme, ainsi que Linus, un ami de Jaun. Nous passons la matinée à préparer et transporter le matériel jusqu'au siphon. Midi, je m'équipe. "Tournez la tête, SVP, je mets mes pampers. " 1ère sous-combi, 2e sous-combi en fourrure polaire, combinaison étanche en Néoprène, ... The sun shine et Tom transpire. De l'eau à 6 °C, que c'est agréable ! (On en reparlera dans 4 heures ...). 13 h, j'endosse les bouteilles, je mets mon masque, mon casque, mes gants... où sont-ils ? Je les avais posés sur ce caillou, ils ont dû tomber dans le courant ! Belu les retrouve accrochés à un rocher juste avant la cascade, ouf!

Enfin prêt, un dernier contrôle, dévidoir, phare à main, les lampes fonctionnent, zut y en a une qui ne veut plus s'éteindre. Tant pis, je la déconnecterai lorsqu'elle sera à plat. OK ! Derniers rappels à Belu qui doit m'amener les bouteilles d'oxy et les gueuses pour la décompression, petit signe de la main puis je me laisse couler au fond. J'allume un court instant le gros phare pour qu'ils puissent apprécier le départ, cette fois, c'est parti.

J'avance lentement, le courant est assez fort et je dois palmer dur. Pour soulager les jambes et éviter d'éventuelles crampes, je me tire fréquemment avec les mains. Si ça continue ainsi, je crois que je vais faire demi-tour. Voilà enfin le puits terminal. Je m'arrête, regarde ma montre : 19 minutes. Je me repose un moment, puis j'attache mon fil. C'est décidé, je continue. Je m'avance dans la faille, fixe le fil, et me laisse glisser jusqu'au fond. C'est vraiment pas large, les bouteilles passent juste. - 55, - 60, je touche le sol. Ma lampe faiblit, je la déconnecte et allume une autre. La suite est fortement inclinée, -68, la galerie s'horizontalise; par terre, un amas de blocs : c'est le terminus. L'ivresse des profondeurs me gagne de plus en plus. J'attache mon fil lorsque soudain ma lampe s'éteint. L'ampoule a sauté. C'est le noir complet. J'allume alors une de mes petites lampes de secours, finis d'attacher mon fil, puis allume le phare à main pour la fouille en détail de la queute.

Malgré les 50 watts que dégage le phare, tout m'apparaît très sombre, car les parois sont entièrement recouvertes d'une couche de dépôts noirs qui absorbent une grande partie de la lumière. Sur la gauche, à 1,50 - 2m du sol, j'aperçois un trou noir. Est-ce le départ d'une galerie ou simplement une petite niche ? Pour en être sûr, je m'y engage; ça continue, j'ai trouvé la SUITE !!!. Petite remontée, 10-15 m de galerie, virage à droite et point haut à - 65 m. La galerie, 1,5-2m de diamètre se poursuit en conduite forcée descendante sur faille. Point bas à - 69, je veux amarrer mon fil pour qu'il n'aille pas se placer au plafond, mais tout est super lisse, il n'y a pas de cailloux, rien. Tant pis, je continue. Après - 30 m, virage à gauche et point haut à - 65. On retombe dans une galerie plus délitée. Coup d'oeil à ma montre : 7 minutes. Je contrôle mes manos, change de détendeur et poursuis l'explo. Un petit ressaut m'amène à - 72 m. Je commence à être bien "pété. " Encore 5 m et je me retrouve au sommet d'un ressaut de 6-7 m. Je décide alors de descendre jusqu'au bas du ressaut afin de voir la suite, puis de remonter. Fond à - 80 m et ça continue en légère descente. Je regarde alors l'étiquette sur le fil d Ariane et je lis 250 m. J'ai donc découvert 50-60m de nouvelles galeries.

Je me retourne. "Non pas dans ce sens, tu risques de t'emmêler dans le fil. " L'ivresse des profondeurs altère énormément mes capacités; gestes, réflexes et raisonnements sont fortement ralentis. Je dois encore couper le fil, ne pas lâcher le bon bout et faire ùn noeud. Enfin, je peux remonter. Ma montre m'indique 32 minutes, mes manos ont bien baissés, il est temps de rentrer. Le retour est rapide, avec le courant dans le c... Voilà déjà le puits. Les bouteilles raclent, le fil ne passe pas au meilleur endroit. 37 minutes, j'atteins le premier palier à - 30 m.

Dès maintenant, tous les trois mètres, je dois effectuer un palier de décompression, de plus en plus long. Au palier de 18 m il me semble soudain que tout le siphon s'écroule. Ce n'est que Belu qui apporte mes bouteilles d'oxy à - 12, puis vient à ma rencontre. Echanges de signes, tout va bien, il continue alors la visite du siphon. Lorsqu'il remonte, je lui refile le dévidoir et le phare à main. Il me reste encore plus de 2 h 30 de paliers à effectuer. Dès le palier de 12 m, je respire de l'oxygène pur, afin de diminuer mes temps de paliers et augmenter ma sécurité. Je commence à avoir froid aux pieds, puis un besoin de plus en plus fort de pisser; vive les pampers ! A partir de trois heures de plongée, j'ai de plus en plus froid et de plus en plus de peine à lutter contre. La galerie ne me permet pas de nager. Je ne peux que bouger les mains et les jambes en restant sur place. Je ne peux pas me passer le temps en jouant au Rubik, mes mains sont trop engourdies. Mes réserves d'énergie s'épuisent, je suis fatigué. Je pisse une deuxième, puis une troisième fois, mais les pampers n'absorbent pllus. Sur le moment, ça réchauffe, mais ensuite ... je me les caille. Plus que 4 minutes, 3, 2, 1. Enfin, 4 h 15 après m'être enfoncé dans ce siphon, je refais surface, crevé mais heureux.

Belu et Linus m'attendent. Ils m'aident à me déséquiper tout en me questionnant, puis ramènent tout le matériel pendant que je me change tranquillement. Deux ou trois promeneurs s'arrêtent pour discuter, apparemment ils sont intrigués. Un dernier regard vers la cascade et nous quittons Belle garde, à la tombée de la nuit. Rendez-vous l'hiver prochain pour connaître la suite ... Tom"