EXPLORATION SOUS LE DEVOIS D'AGONES

Plongée dans le Boulidou des ROUQUETTES

par
Frank VASSEUR

Les Dossiers CELADON N°6 - Septembre 1995

ASSOCIATION CELADON


FEDERATION FRANCAISE DE SPELEOLOGIE


LOCALISATION

Le boulidou des Rouquettes est situé sur la commune d'AGONES, en rive droite de FH-iérault à l'aval du débouché des gorges du Thaurac.

Il sourd au pied du Devois,.petit mamelon qui culmine à 202m à mi-distance de la montagne de la Séranne et du fleuve Hérault, à proximité des vignes et des habitations. L'altitude du seuil de déversement est d'environ 145m, ce qui situe le plan d'eau à 138m, soit une petite dizaine de mètres au-dessus du niveau de l'Hérault.

Coordonnées Lambert: X= 711,475 Y= 178,537 Z= 145m

HISTORIQUE

Le ruisseau du boulidou, bien que sec la majeure partie de l'année, n'était pas passé inaperçu aux yeux des spéléologues locaux.

En effet, le 06/03/1955 une équipe du Groupe Spéléologique Gangeois composée de A.BANCAL, J.CASTANIE et G.VALAT entreprenait la désobstruction de ce qu'ils avaient alors baptisé l'évent de Mon Plaisir, du nom des habitations sises plus en aval.

Malgré l'ingratitude et l'ampleur de la tâche, J.CASTANIE et G.VALAT réitéraient leur tentatives à deux reprises durant l'année 1957, mais prenaient alors conscience que cette désobstruction nécessitait des moyens plus conséquents que l'huile de coude et la détermination., pourtant supérieure à la moyenne, des spéléologues.
Depuis longtemps persuadé que ce chaos de graviers et de blocs cache une réserve d'eau dont il reste à définir les potentialités, Michel MARTIAL, propriétaire de la cavité, et quelques membres de sa famille entament en mai 1995 une désobstruction mécanisée.

L'entonnoir de galets et de blocs est déblayé à la pelle mécanique jusqu'à 4m de profondeur, puis manuellement jusqu'au plan d'eau, 7m sous la surface.

Les déblais sont sortis avec l'aide d'une grue, et le soir du 11 juin l'eau est atteinte et la vasque désobstruée.
Devant la tournure que prend la cavité Michel MARTIAL fait appel aux spéléologues.

Durant l'été, Laurent BACQUET et Christian PASSET (S.C.l'ngarenne -30) ainsi que Jean-Pierre DAUX (S.C.Saint-AFFRIQUE - 12) élargissent l'amorce de la galerie noyée et s'immergent dans l'étroiture d'entrée.

A leur demande, Frank VASSEUR (Association CELADON - 34) plonge ce siphon le 01/09/1995 et explore 80m de conduit au total. Le siphon est franchi après une désobstruction subaquatique au terme de 45m de galerie immergée.

Une nouvelle plongée a lieu le 03/09/1995 pour lever la topographie et inspecter en détail les amorces de conduit repérées perpendiculairement à la galerie principale.

SPELEOMETRIE

Le développement d'une cavité correspond à la somme des distances mesurées dans les diverses ramifications.

Le boulidou développe 80m de conduits au total, dont 60m noyés.  

La dénivellation correspond à la somme des altitudes entre le point le plus haut et le plus bas par rapport à l'entrée.
La dénivelée est de 16m (-12; +4) entre le point bas du siphon et le sommet de la cheminée post-siphon. L'altitude "zéro" est considérée au seuil de déversement, c'est à dire à l'endroit à partir duquel l'eau s'écoule vers l'extérieur.

DESCRIPTION

Le boulidou bée au bord de la piste qui serpente à flanc de massif, en tête du ruisseau qui s'écoule ensuite vers l'Hérault.
On accède au plan d'eau par un puits vertical de 7m bâti pour résister aux crues parfois puissantes et éviter le remblaiement de l'orifice par les galets roulés.

Dans la vasque peu profonde, une strate apparente et affectée d'un léger pendage plonge sous le massif. La galerie noyée s'amorce directement sous la roche par une étroiture délicate qui se franchit en décapelé, c'est à dire en tenant ses bouteilles à la main afin de gagner de l'aisance en "épaisseur" .

II peut être nécessaire d'aménager le passage en ôtant quelques roches qui, suivant la pente en vertu des lois de la pesanteur, viennent s'y nicher.  

Les limons et l'argile fine s'y mettent instantanément en suspension. La visibilité est alors réduite à néant et l'on progresse à l'aveuglette jusqu'à un élargissement de 1,5m de haut pour 2,5m de large.  
La galerie se calque alors sur une fracture orientée sud-ouest qui détermine l'orientation majeure de la cavité. Le conduit adopte une morphologie caractéristique avec une section générale plus haute (1 à 2m) que large (0,5 à lm) affectée de rétrécissements ponctuels.

A 12m de l'entrée une galerie latérale argileuse, orientée sud-est, se développe sur 10m jusqu'à une trémie de gros galets propres suspendue, enchâssée dans une fracture parallèle. Il s'agit certainement d'un aval emprunté par les eaux durant les crues.

  Dans la galerie principale, on observe une série d'alcôves latérales déterminées par des fractures perpendiculaires qui s'étendent sur 4m au maximum.


Après un abaissement de la voûte à la faveur duquel la section devient quadrangulaire, une brusque chicane marque la cote 25m, à -4m.
Une haute fracture dont le sommet est émergé (50cm de revanche sans prolongement) fait suite. II faut remonter à -2m pour survoler un resserrement constitué de blocs recouverts d'argile, puis une nouvelle baïonnette étroite s'infléchit plein sud.

A -5m, le sol est constitué de grosses dalles effondrées sur lesquelles l'argile ne s'est pas déposée.
A l'extrémité sud-ouest de la salle, sous les blocs, un entonnoir de sable provient d'un pincement de la fracture en profondeur. Notons que c'est l'unique endroit où l'on trouve du sable dans le siphon et que l'argile qui empâte la quasi-totalité de la galerie est ici absente.

La continuation est nord-ouest, par un méat exiguë du fait de l'abaissement de la voûte. C'est un laminoir (passage plus large que haut) d'où il a fallu déblayer de grosses dalles qui obturaient partiellement le passage à l'origine.
Cette difficulté est coriace à franchir et l'on passe tout juste avec les bouteilles sur le dos en raclant fortement de toutes parts.

Derrière, on opère un changement radical de direction pour remonter dans une fracture nord-est dont l'extrémité laisse échapper un chapelet de petites bulles. Nous sommes ici à l'aplomb du point 32m dans la seconde baïonnette, et les bulles expirées à cet endroit traversent la paroi par une minuscule échancrure, pour sortir dans la fracture suivant l'étroiture.

Guidé par leur ascension désordonnée, on crève une modeste surface, à 45m de la vasque d'entrée. La distance annoncée ici concerne la longueur de fil tiré et tient compte des détours et de la sinuosité du conduit.
En distance plane, ou "à vol d'oiseau", ce point est à 27,5m de l'étroiture d'entrée. On émerge dans un virage à 90° qui rétablit la direction sud-ouest.
Une diaclase large de 1,5m remonte de 2m jusqu'à la base d'un prolongement vertical. Le sol est jonché de petits blocs en équilibre sur lesquels on peut prendre appui après s'être assuré de leur fiabilité.

La verticale s'élève sur 8m jusqu'à un plafond irrégulier. Seule une niche, difficilement visible du fait de la perspective réduite, pourrait éventuellement se prolonger de 2m en hauteur, à l'extrémité nord-est. Cette cheminée doit être parcourue en période de crue par les eaux d'infiltration provenant du Devois, et son sommet doit demeurer émergé quand l'eau coule dans le ruisseau extérieur, après avoir franchi le seuil de déversement.

Lors du retour, on peut constater que l'argile a été soulevée par les turbulences dues au palmage ainsi que le ramonage des bulles le long des parois. Partout le siphon est opaque, sauf au niveau du point bas de -5m, dans la salle et la seconde étroiture.
Ceci s'explique par le fait qu'il n'y a pas d'argile dans ces zones de la cavité, et éventuellement du fait d'une circulation réduite à son plus faible débit compte tenu de la sécheresse actuelle.


TOPOGRAHIE

En milieu souterrain, les techniques de relevé topographique n'autorisent pas, sauf cas exceptionnels ( professionnels, matériel particulier ), une précision de géomètre.

En plongée souterraine la mise en oeuvre de ces techniques devient aléatoire du fait de la spécificité de l'activité subaquatique (impossibilité de communication orale, problème du froid induit par les séjours prolongés, multiplication des réserves d'air et d'éclairage) et du milieu (turbidité de l'eau, morphologie tourmentée, exiguïté des conduits).

Dans le cas présent, nous avons utilisé les méthodes traditionnelles : cheminement par stations successives sur fil d'ariane métré, utile pour déterminer les distances et l'orientation des visées, profondimètre de plongée et compas immergeable gradué de 10 degrés en 10 degrés.
Les portions de galeries exondées ont été topographies par cultellation (technique dite des ressauts successifs). Cette méthode consiste à ramener l'ensemble du cheminement topographique à une succession de verticales et d'horizontales, afin d'éliminer les erreurs de parallaxe dans la lecture du compas lors de visées inclinées.

Les documents graphiques présentés ici n'ont donc qu'une valeur indicative, avec une marge d'erreur de 20 % environ.
Ils ne pourraient en aucun cas se substituer aux travaux de précision professionnelle, préalable indispensable à un éventuel projet d'exploitation.

 

LÉGENDE TOPOGRAPHIQUE

Pour des raisons pratiques, plusieurs abréviations apparaissent sur les documents graphiques
Les siphons sont notés par un S majuscule, suivi d'un chiffre indiquant leur position par rapport aux autres passages noyés dans la cavité.

Les indications entre parenthèses concernent la longueur (suivie maximale (précédée du signe -).

Et = étroiture
gal. = galerie
Nm = Nord magnétique
(45m) = distance parcourue en cavité depuis l'entrée.
-5 = profondeur depuis la surface du plan d'eau

KARSTOLOGIE

La cavité se développe dans les marno-calcaires du crétacé (ère secondaire) et plus particulièrement dans l'étage Valanginien ou Beniasien. Cet étage jouxte ici les terrains de recouvrement du tertiaire, dominants dans la plaine de Montoulieu.
II s'agit d'une cavité jeune, au regard des stades de creusement évalués à l'observation, située précisément sur un axe de fracturation majeur dans la région qui détermine localement le flanc sud de la montagne de la Séranne et du Thaurac.

Nous ne possédons aucune information relative au bassin d'alimentation de cette source temporaire, en relation avec un système de griffons en bordure de l'Hérault.

Plusieurs hypothèses sont envisageables concernant son impluvium (branche du delta de l'Avèze, flanc septentrional de la Séranne, pertes de la Vis....). La plus réaliste limiterait son bassin d'alimentation à la montagne de Saint Micisse, réputée pour ses sites d'escalade tels l'Euzière ou le rocher de Sion, et à la plaine des Cayzergues. Le secteur drainé par le boulidou se réduirait alors à une alimentation locale, que les calcaires jurassiques sous-jacents pourraient augmenter d'une anivée d'eau plus profonde.

Au sein de la cavité, il semblerait que l'origine de l'eau se situe au point bas (-5) dans l'élargissement précédant l'étroiture. Sous les grosses dalles effondrées, un entonnoir de sable semble provenir d'un interstice rigoureusement impénétrable. C'est le seul endroit du boulidou où l'on trouve du sable plutôt que de l'argile, et comme les matériaux les plus lourds (ici le sable) se déposent avant les plus légers (limons argileux), il s'agirait là de l'amont de la cavité.

De plus, ce lieu est le point extrême et le plus profond par rapport à l'entrée dans l'axe principal sud-ouest.
La température y est de 12°, comme dans les autres sources de la région.

 

BIOSPELEOLOGIE

La cavité est riche en espèces troglobies, c'est à dire en animaux totalement inféodés au monde souterrain où ils vivent continuellement.

Plusieurs Niphargus, petites crevettes dépigmentées, ont été observées en divers points du boulidou. Un spécimen plus "fort" que les autres devait mesurer environ deux centimètres de long.
Ces formes de vie témoignent d'un apport de nourriture, véhiculé depuis la surface par les eaux d'infiltration.

BIBLIOGRAPHIE

Nous avons vainement cherché dans les archives des écrits relatifs à cette cavité. Il semblerait que le boulidou des rouquettes, bien que connu des autochtones et des spéléologues locaux, n'ait jamais fait l'objet de publication spéléologique.

REMERCIEMENTS

•  Michel MARTIAL ainsi que sa famille pour leur accueil, leur sympathie et les apéritifs post­ plongée.
•  Christian PAS SET et Jean-Pierre DAUX pour leur soutien physique lors de la première plongée.
•  Daniel ANDRE pour avoir pensé à nous pour l'exploration en plongée.
•  Georges V ALAT qui avait préssenti les potentialités de cette cavité, pour les renseignements historiques et le récit des désobstructions de 1955 et 1957.
•  Daniel CAUMONT pour ses conseils et hypothèses relatifs à l'organisation hydrogéologique présumée du secteur.

Dossiers CELADON déjà parus:

1. "Event de Gornies" par Frank VASSEUR, Décembre 1991.

2. "Rivière souterraine de Laval de Nize" par Bruno NARANJO et Frank VASSEUR, Mars 1993.

3. "Historique des plongées souterraines dans le département et secteurs limitrophes" par Frank VASSEUR, Août 1993.

4. "Plongée dans la Foux du Mas de Banal" par Frank VASSEUR, Mars 1994.

5. "Plongée dans le système des Cent Fonts" par Benoît POINARD et Frank VASSEUR, Mai 1995.